Les Allemands continuent-ils à former et conseiller l’armée russe malgré le déclenchement de la crise ukrainienne ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Photo d'illustration / Le drapeau de la Russie avec un soldat russe derrière.
Photo d'illustration / Le drapeau de la Russie avec un soldat russe derrière.
©Reuters

Ah oui…?

Depuis plusieurs années déjà, l'Occident tente de se rapprocher de la Russie, et ce au travers d'échanges militaires. Ainsi, le conglomérat allemand Rheinmetall signait en 2011 avec la Russie un contrat à hauteur de 140 millions de dollars pour la construction d'un camp d'entrainement des forces russes. L'Allemagne n'est cependant pas la seule : la France et l'Italie, moyennant paiement, ont également contribué à améliorer le matériel russe.

Xavier Roux

Xavier Roux

Xavier Roux est contre-amiral de la Marine nationale et vice-président du Cercle de la mer.

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Atlantico : En 2011, l'Allemagne signait un contrat de 140 millions de dollars avec la Russie, visant à la construction d'un camp d'entrainement dans le sud-ouest de la Russie. Ce camp était supposé entrainer 30 000 soldats par an. Les Etats-Unis pensent aujourd'hui que l'Allemagne aurait entrainé les troupes russes. Cela vous parait-il crédible ?

Xavier Roux : Le terme d’"entraîner les troupes russes" est trop vague et trop imprécis. De façon générale, quand il y a des accords entre des pays et notamment militaires, ça veut dire qu’on s’échange un certain nombre de choses. On s’échange un certain savoir faire. Un camp militaire ne se bâtit pas en l’espace d’un an, ni même un an et demi, à moins d’avoir des espaces désertiques. D'autant plus que le savoir-faire des Russes n’a pas tellement besoin d’être amplifié en matière d’emploi des chars, ils l’ont largement prouvé dans les années passées. S’il s’agit de camp pour des opérations spéciales ou des actions de la sorte, ça demande du temps. On ne peut pas dire qu’en l’espace de deux ou trois ans les Allemands aient entraîné l’armée russe. Encore une fois, l’armée russe a prouvé sa valeur dans les années passées, les Russes sont loin d’être des incapables. Il ne faut pas les sous-estimer et dire que l'Allemagne a formé l’armée russe est un raccourci qui, sans doute, fait bien mais qui n'est pas l'image de la réalité.

L’armée russe occupe l'ensemble du territoire couvert par la Russie, et elle est bien sûr plus près des frontières que du centre. La Russie est depuis longtemps dotée de forces de protection des frontières, semblables à une douane et spécialisées dans la lutte pour la défense de celles-ci. Elle n'est donc ni massée autour de Moscou ni à la frontière ukrainienne. Il faut regarder chaque armée à l’aune de son propre territoire. La Russie est vaste donc les armées russes sont éparpillées sur l’ensemble du territoire. De même que l’armée française qui jusqu’il y a dix ans était répartie sur l’ensemble du territoire. Ce n’était pas simplement à la frontière de l’est, il y en avait partout. Il faut faire attention aux effets qui consisteraient à dire que l'ensemble des effectifs de l’armée russe est massée à la frontière ukrainienne. De toute façon il y en a de l’autre côté à la frontière asiatique, à la frontière du sud, et partout où c’est nécessaire. Il ne faut pas faire des totaux qui n’ont pas de rapport. Ce qu’il faut comparer, ce sont les capacités de projection, c’est-à-dire les capacités à déployer les troupes qui sont des troupes professionnalisées. Des troupes susceptibles de combattre dans des terrains divers, inconnus, et qui sont capables d’être projetées, comme les parachutistes ou des troupes mécanisées et qui soient susceptibles d’intervenir ailleurs que dans les endroits qu’elles connaissent bien.

Les comparaisons il faut les faire sur des questions de savoir faire et de logistique. Un soldat peut porter 20kg ou 30kg mais ne peut pas marcher pendant une semaine tout seul. Il lui faut de la nourriture, de l’eau… Tout ceci mérite une analyse plus spécifique même si le nombre des effectifs de l’armée de terre est un critère qui vaut quelque chose mais c’est un critère absolu.

Durant les dernières années, l'Occident a cherché à se rapprocher de la Russie, voire à coopérer avec elle y compris militairement. La France et l'Italie ont vendu du matériel à l'armée russe. L'Europe, et les Etats-Unis, sont-ils tous responsables de l'équipement que possède l'armée russe aujourd'hui ?

"Responsable" est à mon sens un mot valide. Chacun l’utilise, mais quand on promène le mot on ne sait pas forcément ce qu’il y a dedans. On aurait aussi pu reprocher à l'Occident dans les années passées de ne même pas avoir développé de coopération honnête et complète avec la Russie. L’idée de bâtir un réseau de relation avec les Russes, qui soient des relations de confiance, de fraternité et de proximité, cela incombe aussi des échanges sur des sujets délicats. Il n'est pas possible de prétendre faire confiance à quelqu’un si on refuse de traiter de choses délicates avec lui. Il faut bien coopérer que ce soit sur le plan civil ou sur le plan militaire.

Tout le monde se méfie de tout le monde, c’est vieux comme le monde. Depuis dix mille ans les alliances ont fait toujours en sorte que chacun garde une part de son savoir. Donc dire que les Alliés sont "responsables" là aussi c’est un mot qui est trop fort voire qui est inadapté. Cela fait partie des mesures pour susciter la confiance. De la même façon que l’Europe s’approvisionne en gaz, ce qui la rend dépendante. Ne sommes-nous pas responsables du fait d’avoir donné aux Russes trop de pouvoir, puisque nous avons acheté leur gaz ? On peut renverser la chose de cette manière là : nous avons besoin de gaz, ils en ont, on espère qu’on réussira à s’entendre avec eux de façon convenable.

Pour les armes, ça se passe avec des règles différentes. Pour faire simple et raccourci : il existe deux types d'armes, les armes offensives et les armes défensives. Il y a des choses qu’on évite de donner. Par exemple sur le domaine du nucléaire il est certain que chacun veille à conserver son savoir-faire de façon extrêmement jalouse. Pour autant nous avons avec les Américains des relations extrêmement franches au point de pouvoir faire des échanges techniques et technologiques sur les catapultes des porte-avions. Ce qui représente un savoir-faire qu’on ne va pas brader à droite et à gauche. Ca fait partie des sujets qui sont particulièrement délicats. Tout le monde comprend ça. Les militaires le comprennent très bien, les diplomates aussi, donc là-dedans il n’y a aucune entourloupe. Ca fait partie des jeux diplomatiques et diplomatico-militaires. On essaye d’avancer mais chacun sait bien qu’il va garder une part de son pré carré et qu’il faut du temps pour bâtir une relation de confiance.

Quel était l'objectif qui a prôné un rapprochement, ou du moins une tentative de rapprochement ? Quels étaient les intérêts occidentaux ? Et russes ?

Au moment de la chute du mur de Berlin, la Russie s’est sentie défaite. Elle s’est sentie humiliée notamment parce que le pacte de Varsovie a été dissous. L’URSS s’est repliée sur la Russie actuelle ce qui a été sur le plan géographique une réduction du territoire même si c’était des républiques amies. On peut donc dire que le pouvoir russe, de Moscou, a vu son territoire se réduire. Il faut imaginer ce que serait en France une réduction du territoire si la Bretagne passait en d’autres mains. Si la Bretagne s’alliait à la Cornouailles britannique pour en faire un pays celtique, même si c’était un pays pro-européen, nous aurions sans doute du mal. Si la Provence, si le Pays Basque s’alliaient au Pays Basque espagnol ce serait une situation strictement similaire, de la même façon que si la Savoie décidait de redevenir italienne. Même dans le cadre d'une alliance avec la France, pleine de bonnes intentions, il y aurait des gens pour trouver que c’est quand même une réduction du territoire national qui ne va pas dans le sens de l’histoire ancienne.

On peut imaginer que les Russes ont vécu la disparition de l’URSS et le repli sur la Russie actuelle comme une humiliation, une réduction de leur aura. Les occidentaux ont donc cherché à tisser avec eux des relations plus cordiales, plus économiques. Ils ont fait en sorte de les sortir de ce sentiment-là pour en faire des partenaires réguliers et fiables. C’est une voie indispensable. Nous aurions été coupables de ne pas chercher à avoir avec eux des relations franches et cordiales ; avec tous les aléas que cela suppose. Avoir cherché à se rapprocher de la Russie était indispensable. Et on pourrait même se dire : est-ce qu’au contraire on n’aurait pas dû aller encore plus loin ? Est-ce qu’on n’aurait pas dû faire plus ? La question, à mon sens, ce n’est pas "Est-ce qu’on en a fait trop ?" mais c’est plutôt "Est-ce qu’on en a fait assez ?"

C’est l’avenir qui tranchera là-dessus. Cependant, jusqu'à présent on peut dire qu’on n’a pas réussi à rassurer les Russes ou que nous avons voulu être trop rapides vis-à-vis de l’Ukraine. Cela a amplifié ce sentiment qui est quand même assez récent. La suppression de l’URSS ce n’est pas très vieux. Nous n'en avons peut-être pas fait assez puisque nous n’avons pas réussi à amener suffisamment les Russes sur ce terrain des relations apaisées. Peut-être que nous avons a oublié encore une fois le vieux désir de Pierre Legrand d’accès aux mers chaudes. Ce sentiment d’isolement de la Russie qui, en Occident passait pour oublié, ne l'était pas. De toute évidence, nous ne nous sommes pas assez transportés dans le mental de notre partenaire pour pouvoir comprendre que son sentiment d’enfermement entre les mers glacées et les déserts était très fort.

Finalement, le niveau auquel l'armée russe s'est hissée aujourd'hui est-il véritablement surprenant ? Pourquoi ?

Là encore, il faut faire attention aux termes et à ce qu’on désigne par "l’armée russe". Dans toutes les armées il y a des choses extrêmement diverses : une armée de terre, une armée de terre territoriale, des gardes frontières, qui sont des troupes spécialisées dans la lutte aux frontières et ne sont donc pas destinées à être projetées ailleurs. Les Russes ont toujours été des très bons combattants. Les forces russes avaient un niveau de technicité qui était parfois un peu inférieur à celui de l’Occident et des Américains en particulier mais ils ont quand même été capables d’envoyer des gens dans l’espace. Le premier Spoutnik était Russe. Même s’ils ont des méthodes un peu plus frustes, ils ont de très bonnes capacités. Les avions soviétiques étaient capables de voler pendant des heures avec des moyens extrêmement sophistiqués. Ils ont des troupes qui sont aguerries. Ils ont des gens résistants. Les Russes ont également été sur la lune, même s'ils n’ont pas été loin. Ils ont fait, en matière de technologie, des choses d’excellente qualité. Le croiseur Pierre le Grand est un croiseur nucléaire. Leurs avions, les MIG 25 et 27, ne sont clairement pas des ULMs. Définitivement, les Russes ont des troupes, du matériel et des capacités.

Ils ont peut-être retrouvé un niveau qu’ils ont eu. Il n’y a pas d’étonnement à avoir. Les Russes ont toujours été de très bons combattants, Napoléon s’en souvient, il en a fait les frais. Ils ont également fait leurs preuves, pendant la Guerre Froide durant laquelle ils ont été capables de faire des choses étonnantes : le développement de la marine russe dans les années 60-70, le développement de l’aéronautique russe, de l’aviation russe, grâce à Mikoyan et Gourevitch. Il n'y a rien de surprenant à mon sens : c'est dans l'ordre des choses, et sous-estimer les Russes serait une grave erreur.

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