Les racines qu’on n’attendait pas : le djihadisme français alimenté par des familles athées<!-- --> | Atlantico.fr
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Les jeunes candidats au Djihad seraient davantage issus de familles athées.
Les jeunes candidats au Djihad seraient davantage issus de familles athées.
©Reuters

De l'athéisme au Djihad

Les jeunes candidats au djihad seraient davantage issus de familles athées que bercés dans un tissu familial religieux musulman. Un constat décelant que l'origine de cette vocation est nourrie par une crise identitaire.

Jean-Charles Brisard

Jean-Charles Brisard

Jean-Charles Brisard est spécialiste du terrorisme et ancien enquêteur en chef pour les familles de victimes des attentats du 11 septembre 2001. Il est Président du Centre d'Analyse du Terrorisme (CAT) 

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Atlantico : Alors que le Conseil des ministres se penche aujourd'hui sur les moyens de lutter contre l'expansion du djihad dans la jeunesse française, il n'est pas inutile de s’intéresser aux quelques données statistiques existantes. Le centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l'Islam évoque ainsi le fait que 63 % des "candidats" potentiels étaient originaires de familles athées contre seulement 7% issus de milieux musulmans pratiquants. La dimension religieuse est-elle finalement secondaire pour comprendre les ressorts du phénomène ?

Jean-Charles Brisard :Il convient tout d’abord d’être prudent sur les statistiques que vous donnez, et préciser qu’elles portent sur seulement 40 familles concernées. Elles reflètent néanmoins une tendance lourde, à savoir la multiplication des processus très rapides de radicalisation, sans lien avec un cheminement religieux, qui conduisent vers le djihad. La dimension religieuse n’est qu’accessoire et sert de justification à ces candidats au djihad, motivés avant tout par des raisons personnelles - crise identitaire et sociale - qui les conduit, individuellement ou en groupe, à concevoir le djihad comme une échappatoire.

Les médias ont présenté de nombreux cas de jeunes gens se dénommant Thomas ou Romain et qui se rebaptisent Abou Shaheed pour coller à leurs nouvelles identités. Comment expliquer de telles passerelles dans des milieux qui n'ont à l'origine que peu de choses à partager avec le monde musulman ?

La religion sert de prétexte à l’engagement de ces jeunes qui peuvent être récemment convertis et même dans certains cas totalement étrangers à la religion musulmane dans leur famille ou leur milieu social. Les basculements sont très rapides et le djihad est même dans certains cas un élément inhérent à la conversion pour ces jeunes. L’effet de groupe joue pleinement pour ces convertis récents qui ressentent le besoin de prendre une nouvelle identité correspondant à leur engagement.

Qu'est que cette réalité sociologique dit en creux de la crise identitaire qui caractérise notre époque ? Le djihadisme est-il finalement comparable au "Mal du siècle" qui taraudait les générations du XIXe siècle ?

Le djihad, on le voit avec le conflit syrien, est sorti de la sphère religieuse et s’est démocratisé. C’est dans bien des cas une aventure individuelle et un recours identitaire, alimenté par une propagande en pleine expansion sur Internet.

Parmi les pistes évoquées par Manuel Valls, on avance l'idée d'une "formation" des animateurs de banlieue pour qu'ils puissent "détecter" plus rapidement les individus à risques. Intéressante sur le papier, cette idée a t-elle une chance de se voir concrétiser sur le terrain ?

Notre pays est très en retard dans ce domaine, comparé à la plupart des grands pays européens qui mettent en œuvre, parfois depuis plus de quinze ans, des programmes destinés à sensibiliser et identifier les personnes à risque au niveau local à partir d’indicateurs et, le cas échéant, à les signaler aux autorités. Ces programmes qui associent les acteurs éducatifs et sociaux, sont essentiels pour détecter de manière précoce les personnes à risque. Ils sont en revanche peu efficaces pour réinsérer des personnes à la dérive, notamment celles qui ont déjà basculé. Pour être efficaces, ces processus doivent également s’appuyer sur une formation des personnels locaux chargés d’identifier les dérives djihadistes.

Quels moyens d'actions seraient les plus efficaces face à une telle tendance ?

Les moyens préventifs sont essentiels pour identifier et entraver les dérives djihadistes, qu’ils soient mis en œuvre dans le cadre de programmes locaux ou par les services de renseignement. Mais ces seuls moyens sont inopérants sans moyens répressifs, notamment contre les sites djihadistes qui prolifèrent sur Internet, et contre les apprentis djihadistes, en particulier les jeunes. La suppression de l’autorisation de sortie du territoire des mineurs en 2013 a été une erreur. De même, d’autres mesures mises en œuvre avec succès à l’étranger, peuvent faciliter la neutralisation des candidats au djihad dès lors qu’ils sont identifiés. En Allemagne, les autorités peuvent retirer le passeport d’une personne soupçonnée de vouloir se rendre à l’étranger et de menacer les intérêts du pays ; en Belgique il existe une loi qui interdit purement et simplement de se rendre à l’étranger pour y combattre, en Belgique toujours, certaines municipalités suppriment les allocations sociales de ces personnes. Autant de mesures dissuasives qui peuvent contribuer à limiter ce phénomène. L’essentiel est de pouvoir gérer ou neutraliser judiciairement ces personnes très en amont, avant leur départ, pour ne pas avoir à gérer leur retour qui, compte tenu du nombre, serait tout simplement illusoire. Judiciairement, la France est aujourd’hui dans l’incapacité de prévenir ces départs, sauf à démontrer l’existence d’une association de malfaiteurs. Une réforme devra également être menée pour prendre en compte la dimension de plus en plus individuelle du djihad et du terrorisme.

Le délitement d'une "France périphérique" qu'évoquait le géographe Christophe Guilluy en soulignant l'abandon progressif de territoires déconnectés de l'activité économique permet-il de mieux comprendre le phénomène ?

Ce qui explique cette dérive, c’est d’abord une crise identitaire chez la plupart de ces jeunes. Les facteurs économiques et sociaux sont des accélérateurs, mais rarement des déclencheurs de dérives djihadistes. N'oublions pas non plus que cette dérive n'est pas propre à la France et qu'elle touche l'ensemble des pays européens.

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