Cameron attaqué pour avoir dit que le Royaume-Uni était un pays chrétien : mais d'où vient cette maladie européenne à refuser si violemment son héritage ?<!-- --> | Atlantico.fr
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David Cameron, après avoir souligné qu'il était à la tête d'un "pays chrétien", s'est vu vertement critiqué.
David Cameron, après avoir souligné qu'il était à la tête d'un "pays chrétien", s'est vu vertement critiqué.
©Reuters

En attendant Godot

Le Premier ministre britannique David Cameron, après avoir souligné qu'il était à la tête d'un "pays chrétien", s'est vu vertement critiqué dans une tribune signée par plus de 50 artistes, intellectuels et universitaires qui affirmait que la Grande-Bretagne ne pouvait clairement pas être définie de la sorte. Un énième symptôme de l'amnésie collective qui nous caractérise dès qu'il s'agit d'évoquer le tribut que nous devons aux valeurs du christianisme, de la laïcité et à la notion d'égalité des hommes.

Jean-Claude  Barreau

Jean-Claude Barreau

Jean-Claude Barreau est essayiste. 

Il est conseiller de François Mitterrand sur les questions d'immigration, puis de Charles Pasqua. En 1989, il devient président de l’Office des migrations internationales et président du conseil d'administration de l’Institut national d’études démographiques.

Il est l"auteur de "Liberté, égalité, immigration ?" (éditions de L'Artilleur) et a également publié "Sur la route de Kandahar" (François Bourin, en avril 2014).

 

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Atlantico : 56 personnalités britanniques (scientifiques, écrivains, acteurs...) ont récemment dénoncé dans une tribune du Telegraph (ici) les propos de David Cameron sur la définition de l'Angleterre comme "pays chrétien". Que penser d'une telle réaction ?

Jean-Claude Barreau : En tant qu’historien, je me vois forcé de constater que tous les pays d’Europe sans exception ont connu une très forte phase chrétienne dont les traces sont partout visibles, dans nos villes comme dans nos campagnes. Reste à savoir comment définir ce que l’on appelle aujourd’hui un « pays chrétien », ses interrogations étant légitimes quand on regarde des pays sécularisés comme l’Angleterre, et à plus forte raison, la France de l’après-Révolution. A tel point que je définirais davantage notre Hexagone comme un pays d’origine chrétienne devenu laïque dans le sens où la citoyenneté s’y conçoit en dehors de toute identité religieuse. On peut, certes, arguer que la laïcité telle qu’on l’entend est une invention du catholicisme et plus particulièrement des Evangiles, mais le constat reste le même. De là à nier une identité chrétienne évidente, comme certains imbéciles souhaitent le faire, on peut rester sceptiques. Cette identité se retrouve bien sur en Angleterre où, faut-il le rappeler, Tony Blair a dû attendre de ne plus être au pouvoir pour assumer sa conversion au catholicisme en 2007.

Comment expliquer un tel aveuglement face à un héritage chrétien pourtant si évident en Europe ?

C’est à mon avis le syndrome de l’inquiétant progrès de l’inculture dans nos sociétés contemporaines. Combien d’enfants visitent aujourd’hui les cathédrales, apprennent le sens du message catholique, s’intéressent à l’histoire pré-révolutionnaire ? C’est quelque part le triomphe de la doctrine communiste « Du passé faisons table rase ! » dont le libéralisme s’est visiblement très bien accommodé. Cette amnésie est d’autant plus étonnante dans un pays comme l’Angleterre où il faut rappeler que la Reine reste le chef incontesté de l’Eglise anglicane. S’il est évident que l’on peut aujourd’hui être citoyen et musulman, citoyen et marxiste ou simplement citoyen et athée, on oublie un peu trop vite parfois les réalités de ce qui nous a précédé.

Des pays que l'on pourrait qualifier d'occidentaux comme la Russie et les Etats-Unis continuent de se définir par des déclarations et principes issus du christianisme. Comment expliquer que le Vieux Continent soit une exception ?

Parce que, contrairement à ce que l’on entend souvent, l’Europe est très en avance sur le reste du monde sur le plan du déclin de la spiritualité. Pour être Président aux Etats-Unis, il faut prêter serment sur la Bible, et par conséquent être de confession chrétienne, une condition que l’on imagine mal ici. La différence avec notre situation est que la religion continue d’être intrinsèquement liée au politique, à Washington comme à Moscou et comme dans le reste du monde d’ailleurs. Dans le cas russe, le retour en force de l’Eglise orthodoxe s’explique évidemment par le retour de bâton de 70 ans de persécutions par le stalinisme, la religion venant à terme combler le vide identitaire qu’a provoqué la chute de l’idéologie soviétique.

La condamnation des propos de M. Cameron semble être motivée par la prévention d'une politique racialiste, les auteurs évoquant le risque d'un "débat sectaire" qui agiterait les tensions. Faut-il y voir l'illustration d'un amalgame souvent trop rapide entre défense des racines et suprématisme identitaire ?

Je ne connais pas suffisamment la politique de M. Cameron, mais s’il menait une politique racialiste à travers des arguments spiritualistes c’est bien sur cette question qu’il faudrait l’attaquer plutôt que de dénoncer des déclarations sur le rôle de l’Eglise. Sans être dans l'absolu un inconditionnel du mot « racine » auquel je préfère substituer celui « d’histoire », je pense que les détracteurs de M. Cameron auraient à priori bien tort de déceler un racisme ou un identitarisme rampant derrière de telles affirmations. Le Christianisme, faut-il encore le rappeler, est l’un des premiers à avoir développé la notion d’égalité des hommes devant Dieu, un concept qui aurait fait bondir des hommes comme Aristote et Socrate… Si l'on rappelle à chaque fois les phases sombres de l'Eglise (inquisition, exécutions...), j'aimerai simplement affirmer que je ne trouverais pas cohérent de critiquer les principes communistes simplement parce que le Goulag a existé. Tout idéal peut se pervertir, il suffit d'y revenir de temps en temps.

A trop vouloir combattre un "étiquetage" supposé, n'en finit-on pas parfois par défendre une identité hors-sol et vide de contenu ?

Effectivement... c'est quelque part la grande faute de la pensée et du conformisme contemporain. N'en déplaise, l'Histoire est une succession de faits avant d'être une succession d'interprétations : l'Europe et ses nations n'ont pas seulement été chrétiennes, elles ont été façonnées par le christianisme. Cela ne veut pas dire qu'elles peuvent encore se définir comme fondamentalement chrétiennes aujourd'hui, mais l'importance de leurs origines ne saurait être niée.

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