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Si les Français regardent Top Chef, c’est parce que la soupe politique est devenue indigeste
©Reuters

L'Édito de Jean-Marc Sylvestre

L’évènement hier soir avait lieu à la télévision avec sur M6 la grande finale de Top Chef, véritable condensé de leçons de gestion politique et managériale dont le président et son Premier ministre ferait bien de s'inspirer.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Ridicule ! penseront certains. Comment attacher de l’importance à un spectacle de télévision dont le principal objectif est de distraire le maximum de gens. Ridicule ? Sans doute, sauf que le spectacle et la distraction ne  sont pas toujours le fruit du hasard, de la vulgarité ou de la démagogie. Les deux finalistes, Pierre Augé, restaurateur a Béziers, qui a finalement gagné et Thibault Sombardier, un lyonnais, chef de cuisine à Paris, formé à l’école hôtelière d’Orléans, ont apporté bien autre chose que de la cuisine .  

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Top Chef est une émission qui met en compétition des jeunes chefs de cuisine. Les candidats doivent réaliser les menus, des plats, des sauces et ils sont jugés tout au long des épreuves par leurs pairs, par des consommateurs et par le public. Les économistes diraient qu’ils sont jugés par le marché et ça ne choque personne.

C’est une émission d’origine française diffusée sur M6 mais dont le succès est désormais international. Une fois de plus hier soir, les trois heures d’émission ont battu des records  d’audience. Alors pourquoi un tel succès ?

On dira que l’émission est bien faite, rythmée, les casting sont agréables , les candidats souvent émouvants et surtout le produit , "la cuisine"  concerne la majorité d’entre nous . Tout le monde mange certes, et la plupart aime bien manger, sans savoir  cuisiner.

 Mais ce n’est ce n’est pas tout. Ces Top chefs véhiculent  des valeurs extraordinairement fortes qui sont rarement portée sans notre société. Les responsables politiques qui pourtant n’arrêtent pas de donner des leçons de morales ou de droiture, ne le font pas. Ils s’occupent de leur carrière.  Ces valeurs ne sont même plus portées par l’Éducation nationale complètement débordée par des intérêts idéologiques très éloignés de nos préoccupations quotidiennes. 

Très sérieusement, les responsables politiques et les chefs d’entreprise feraient bien de jeter un œil à ce que raconte ce type d’émission et se demander pourquoi un tel succès.

La première valeur véhiculée par Top Chef, c’est le talent. La reconnaissante du talent. On repère des talents, on les sélectionne et on leur donne les moyens de l’exercer. C’est très important, le talent. Le talent, c’est l’inspiration, l’imagination, pour présenter un plat de légumes, ou assurer la cuisson parfaite d’un rouget.

Le talent  c’est le premier facteur de la création de richesse. Dans tous les domaines. Le talent ne s’apprend pas sauf qu'il faut comme dans la musique apprendre le solfège et faire ses gammes pour aller plus loin. Et savoir si on en a.  On ne manque pas de talents en France. En revanche, on manque de capacité à les reconnaitre et à les aimer.Certains en ont même peur, alors ils les étouffent.

La deuxième valeur, c’est le travail. Ces chefs travaillent dix ou quinze heures par jour : n’allez pas leur parler des 35 heures ! Ils passent des années en formation avant de se lancer. Le talent et le travail sont les deux ingrédients de base de la création de valeur. Les économistes qui se tortillent les neurones pour essayer d’expliquer comment on crée de la richesse et par conséquent de la croissance devraient regarder Top Chef.  Que cette valeur soit artistique, scientifique, gastronomique, économique. Le progrès, l’activité, l’emploi dépend de cette combinaison magique entre le travail et le talent. L’argent, le capital viennent après. Avant, il faut  inventer. Les chefs sont au top s’ils savent inventer.

La troisième valeur qui est portée avec violence, c’est l’expertise, la qualité, le zéro défaut, dans le travail, dans les produits et dans la gestion des équipes qui participent à la production. L’appareil industriel français a-t-il la culture de l’expertise et de la qualité ? Sans doute pas. Si le système français avait cette culture on aurait moins de problème de compétitivité, de croissance et d’emplois.

Les autres valeurs  portent sur les comportements  personnels. Tous ces top-chefs qui arrivent en finale ont une capacité à transcender ce qu’ils font. Ils ne produisent pas seulement une salade ou un poulet grillé. L’assiette qu’ils composent  c’est d’abord une œuvre d’art qui  raconte une histoire ;  laquelle dépasse les qualités premières du produit. On ne mange pas seulement une salade ou un poulet, on passe un moment de bonheur, d’esthétique et de culture inouïe. Mais ce qui est évident au restaurant gastronomique, devrait l’être pour n’importe quel acte de consommation. La voiture par exemple est autre chose qu'un moyen de transport, c’est un marqueur social, un signe d’appartenance à une tribu, un outil d’exigence. Les constructeurs allemands ont bien compris cela. Les constructeurs français beaucoup moins.

Parallèlement, ces chefs savent mobiliser leur équipe, l’entrainer dans leur rêve et leur performance, parce que sans orchestre, le chef ne serait rien. Stérile, impuissant ou épuisé.

Pour terminer, il y a dans ces top-chef, l’idée qu'ils ne sont pas indispensables mais que, s’ils réussissent, ils deviennent incontournables. A priori, le marché n’a pas de demande, mais l’offre est intéressante, compétitive, originale, etc,  et va convaincre le marché.  

La cuisine, un peu sophistiquée, un peu gastronomique, n’appartient pas à la catégorie des produits ou services qui répondraient aux besoins primaires ou même secondaires.

Ces Top chefs ne travaillent que s’ils sont capables de présenter une offre originale qui viendra séduire le client. Ils sont totalement dans cette logique d’offre dont nous manquons tellement. C’est un exemple à l’état pur  d’économie d’offre, ce modèle  qui est tellement décriée aujourd’hui par tous ceux qui ont peur de l’effort.

Le talent, le  travail, l’expertise, la qualité, la compétition, la loyauté, l’exemplarité, etc.,  toutes ces valeurs sont présentes du début à la fin de cette compétition. Portées par les candidats, le jury et le public.

Alors si ce type d’émission a autant de succès, c’est peut-être parce que le besoin de vérité est énorme dans notrepays. Au niveau de l’État comme au niveau des entreprises. Pendant cela, on a une gouvernance qui passe son temps à protéger des petits intérêts, privilèges, à palabrer sur les valeurs sociétales  et celles de la République, et sans s’inquiéter de celles qui équilibrent les enjeux économiques et qui sont capables de nourrir l’activité. Les ministres du gouvernement n’ont peut-être pas le temps de regarder Top Chef ou Master Chef (l’émission concurrente de TF1). Il faudrait peut-être la projeter à l’Élysée. Ou à l’école. On en apprendrait plus sur les moyens pour sortir de la crise qu’en deux heures de questions à l’Assemblée nationale.

Si la France profonde regarde avec autant de passion les émissions de gastronomie, c’est peut-être qu’elle en a assez d’ingurgiter de la soupe politique.   

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