Faut-il faire déshabiller son patient lors d'une consultation ? Une question bien plus complexe qu'on ne le pense <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
Faut-il faire déshabiller son patient lors d'une consultation ? Une question bien plus complexe qu'on ne le pense
©

Bonnes feuilles

"Promenade de santé" raconte le parcours d'une jeune médecin généraliste, depuis ses études de médecine jusqu'à son installation dans un village. Une chronique dans laquelle se succèdent des patients de tous âges et les réflexions que lui inspire son expérience de médecin de famille. Extraits (2/2).

 Fluorette

Fluorette

Fluorette est médecin généraliste. Après quelques années de remplacements, elle a fini par poser sa plaque il y a cinq ans. Fluorette tient un blog très suivi, Promenade de santé

Voir la bio »

Faire déshabiller les patients ou non est une question que je me pose souvent… Quelle est la place de la pudeur en consultation ? A l’hôpital, la question ne se posait pas. Aux urgences, les patients venaient pour un problème : une cheville, un nez, on se concentrait sur la zone. Si le problème était un peu plus complexe, les aides-soignantes étaient passées avant et le patient était déjà en blouse, on pouvait le regarder sous toutes les coutures. Pendant l’hospitalisation, personne ne se demande si les patients aiment ça, être déshabillés, c’est comme ça et pis c’est tout.

Personne ne leur demande non plus s’ils sont d’accord pour que le matin, douze personnes en blouse défilent dans leur chambre pour discuter du « cas », grand moment décrit dans la merveilleuse bande dessinée de Binet, Les Bidochon assujettis sociaux. Peu de médecins demandent au patient hospitalisé l’autorisation d’être à douze à regarder son zizi. A l’hôpital, on infantilise souvent les gens, on ne leur demande pas leur avis, on décide pour eux.

Mais en médecine générale, c’est différent. Il faut composer avec le patient qui peut refuser ce que le médecin lui propose. Lors de mon premier stage en médecine générale, j’ai été confrontée à plusieurs façons d’examiner les patients allant de ne toujours faire relever qu’une manche à les faire déshabiller entièrement pour tout voir. J’ai vite compris que je préférais tout voir. Certains ne viennent chez le médecin qu’une fois par an pour un rhume, c’est l’occasion de faire de la prévention, par exemple demander pour les vaccins
et en profiter pour chercher les pouls périphériques chez un fumeur.

Par la suite, j’ai fait déshabiller les gens. Chaque problème pour lequel ils étaient venus mais aussi de faire de la prévention et du dépistage. Je leur expliquais pourquoi je leur demandais de se déshabiller. Je leur posais des tas de questions. Remplaçant souvent dans les mêmes cabinets, il y avait une routine avec certains patients, et puis être en sous-vêtements ce n’est pas très différent d’être en maillot de bain.

Je faisais des méga-bilans sur chaque dossier de diabétique. Mes consultations duraient longtemps. J’estimais faire très bien mon travail. Après vingt-deux patients par jour, j’étais satisfaite mais je rentrais tard à la maison, complètement au bout du rouleau. Et puis j’ai lu quelques textes trouvés sur la pudeur, j’en ai parlé avec des amis. Et le doute m’est venu : pourquoi poser autant de questions ? Les patients ont-ils l’impression que je m’insinue dans leur vie, que je vais trop loin ? Martin Winckler a écrit que trop de médecins posent des questions intrusives et déplacées. Cependant, comme dans toute discussion à deux, ce qui peut paraître déplacé pour l’un ne l’est pas pour l’autre.

Ces derniers temps j’ai vu des patients venir pour des dépistages de maladies sexuellement transmissibles alors qu’ils en ont déjà fait il y a deux mois ; si je demande s’il y a un risque, ils me répondent que non vraiment aucun mais que « pour voir ça serait bien ». Cette question me semble adaptée car après discussion on peut parfois modifier la prescription. Mais cela peut sembler intrusif. De la même façon, pourquoi obliger des gens qui n’en ont pas envie à se déshabiller ? Forcer au déshabillage est-il une forme de maltraitance ?

Ceux qui viennent pleurer et déballer leurs horribles histoires n’ont pas envie de montrer leur corps après avoir étalé leur esprit. Si les patients viennent pour un problème A, pourquoi chercher un problème B qui ne les dérange pas et pour lequel ils n’auraient pas consulté ? Jusqu’où aller ? N’est-ce pas pour me donner bonne conscience que je travaille comme ça ? Comment tenir sur le long terme physiquement en faisant certes peu de consultations, mais d’épuisantes et longues consultations ? Et puis, même si je ne cours pas après l’argent, comment être rentable en travaillant comme cela ?

C’est à ce moment de mes réflexions que j’ai changé de région, de patients, de remplacés. J’ai travaillé à SOS-Médecins, caricature de la consultation pour UN problème. J’ai de nouveau remplacé des médecins qui travaillent à la chaîne, qui « voient » trois patients à la fois, qui ne suivent pas les dernières recommandations, qui recopient des ordonnances, qui donnent une solution-médicament à chaque plainte parce que ça va plus vite. Certains patients en sont satisfaits parce qu’ils ne viennent chercher qu’une solution rapide à leur problème, ils n’ont pas envie qu’on aille plus loin. Même si cette façon de travailler ne me convient pas, ça fait réfléchir.

Alors j’ai changé. Je ne suis plus l’extrémiste de l’interrogatoire et de l’examen complet que j’ai été. Je ne déshabille plus systématiquement les gens.

Extraits de "Promenade de santé. Chroniques d'une jeune généraliste" de Fluorette publié aux Editions Grasset. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !