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Mario Draghi a autant de raisons d'intervenir sur la politique monétaire que de raisons de ne rien faire
©Reuters

L'édito de Jean-Marc Sylvestre

Attendu comme la Pythie dans la religion grecque, Mario Draghi a laissé entendre qu‘il allait bouger, mais il n’a pas dit exactement dans quel sens et selon quel calendrier. Le président de la Banque Centrale européenne a autant de raisons d’intervenir sur la politique monétaire que de raisons de ne rien faire. Voici pourquoi.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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S’il ne s’agissait pas d’une des composantes de la politique économique des plus sérieuses, on pourrait dire que ça relève du comique de répétition. Depuis des mois et des semaines, on nous bassine avec la promesse d’un changement d’attitude de la BCE. Mario Draghi va bouger, il devrait bouger, il a même dit qu’il allait bouger. Pour ceux qui connaissent Francfort et le siège de la BCE, on est loin de l’exercice comique. Ni le cadre austère, ni les acteurs de la pièce, un peu triste, et encore moins le scénario très stricte, s’y prête.

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Si Mario Draghi bouge un doigt, ce sera un petit doigt. Depuis quinze jours les indicateurs et les évènements sur les marchés monétaires se sont multipliés dans des directions très contradictoires qui peuvent inciter la Banque Centrale à agir dans un sens ou dans un autre.

1) Une première raison d’intervenir. Les indicateurs de croissance et d’inflation marquent fortement le risque de déflation. Or, la déflation est mortifère en économie. A un moment où tous les pays cherchent de la croissance à tout prix, beaucoup sont tentés de demander à la BCE d’agir avec générosité pour accroitre le montant des liquidités.

2) Une deuxième raison d’intervenir. La valeur de l’euro, 1,38$ est telle qu’elle risque de freiner le commerce extérieur. Plus grave, elle annule tous les efforts qui sont fait pour gagner de la compétitivité. La BCE est invitée par beaucoup d’acteurs à essayer de faire  baisser l’euro. Comment ? En accroissant l’offre de monnaie face à une demande déjà importante.

Les cours de change peuvent se calmer. Le problème, c’est que le cours des changes dépend aussi des autres monnaies. Or, si l’euro est si fort c’est que le dollar, le yen et le yuan sont artificiellement trop faibles. La BCE le sait mais son intérêt n’est pas d’entrer dans cette guerre des monnaies. Donc oui, il faudrait intervenir mais avec prudence et attention aux dégâts collatéraux. Si on fait la guerre, il y en a toujours qui trinquent plus que d’autres.

3) Troisième raison d’intervenir, les entreprises hésitent à emprunter de l’argent. Au cours du premier trimestre de l’année, les émissions d’obligations ont baissé de 8%. Les prêts syndiqués ont chuté de 33%. Les chiffres sont spectaculaires. Le financement par les banques ou le marché obligataire a reculé de façon importante. Pour les experts de la banque, ce n’est pas à cause d’un déficit d’offre de crédit, mais bien de demande. Les entreprises auraient déjà pris, l’année dernière, les financements dont elles avaient besoin. Par ailleurs, cet euro fort pousse les entreprises à se désendetter. Cette situation devrait inciter la BCE à sortir de son mutisme pour faire baisser l’euro. 

Le problème enfin, c'est que les entreprises européennes n’ont pas d’énormes projets ou d’énormes ambitions. Elles sont attentistes. La situation européenne n’est pas assainie et les rapports de la Russie avec l’Ukraine sont très menaçants pour l’équilibre de cette région du monde. Quand les entreprises ont des besoins, elles plongent. Ce qu’à fait Numéricâble qui a lancé une opération record de 10 milliards d’euros cette semaine pour financer la reprise de SFR. Les dirigeants se sont précipités parce qu’ils craignent une tension sur les taux. Ce qui n’est pas le cas actuellement.

4) Une raison de ne pas bouger. Les taux d’intérêt appliqués à la France n’ont jamais été aussi bas : sous la barre des 2% pour les emprunts d’état à 10 ans. C’est un record battu quelques minutes après que Manuel Valls ait donné le détail des 50 milliards d’économies. Les marchés attendaient ce détail mais ils n’y croyaient pas. Ceci dit le plan n’est pas voté, et encore moins appliqué. Cette amélioration des taux d’intérêt n’est pas de nature à pousser la BCE à forcer le destin. Ce que la BCE pourrait faire c’est baisser les taux d’intervention, oui, mais les marchés s’en chargent. Alors Mario Draghi peut être tenté de ne rien faire.

5) Une deuxième raison de ne pas bouger. Les stress-tests des banques européennes qui ont été demandé par la BCE justement seront rendus dans quelques jours mais on sait que le système bancaire européen s’est mis en ligne avec les conditions de sécurité maximum. Les banques ont toutes, sauf exception, faites des efforts pour renforcer leurs fonds propres et constituer des provisions considérables pour couvrir les créances douteuses. Donc la BCE sera satisfaite puisque c’est elle qui avait demandé les stress test. Sauf que cette politique de sécurisation a pompé beaucoup de liquidités et empêche les banques de servir des crédits. Tout a un coût. Si on sécurise au maximum les banques, on limite leur prise de risque, donc leur offre de crédit.

Si on s’en tient à ce seul critère, il faudrait que la Banque Centrale intervienne pour inciter les banques à distribuer du crédit. Si elle le fait, ce qui serait souhaitable, ça voudrait dire que c’est la BCE qui prendrait alors à sa charge une partie de ces risques. Pas sûr que ce soit son métier. Donc selon ce critère la BCE n’a aucune raison d’intervenir pour assouplir la donne.

6 ) Dernier facteur, les élections européennes approchent et la vague de scepticisme gonfle démesurément. Pour la freiner un peu et éviter que la zone euro soit balayée par la démagogie, la Banque Centrale européenne peut avoir intérêt à donner un peu de souplesse pour faire tomber la fièvre. Mario Draghi sait très bien que la politique et la démocratie peuvent entrainer quelques entorses au dogme de la neutralité monétaire. Les Allemands sont contre toute facilité. Mais faut-il se rappeler que la Banque Centrale européenne est indépendante de tous les pouvoirs politiques y compris du pouvoir politique allemand.

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