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Gel des retraites et niveaux de vie : qui s’en sortira, qui ne s’en sortira pas
©Flickr / zigazou76

Peau de chagrin

Manuel Valls a annoncé ce 16 avril 2014 à l'issue du Conseil des ministres que les retraites ne seront pas indexées par rapport à l'inflation cette année. Ce gel des pensions complémentaires, mais aussi de base, figure parmi les 11 milliards d'euros d'économies réalisés "sur la gestion du système social". Les gagnants et les perdants de la dernière surprise du Premier ministre.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Manuel Valls annonce le gel des retraites, au moins jusqu'en octobre 2015. Quelles vont être les conséquences de cette mesure ? Qui va en payer le prix ?

Philippe Crevel : Les retraités sont les principales victimes du plan Valls qui prévoit le gel jusqu'au 1er octobre 2015. Cette mesure s'appliquera aux pensions des régimes de base et certainement aux complémentaires même si en la matière ce sont les partenaires sociaux qui ont la main. Dans les faits, avec le report du 1er avril au 1er octobre 2014 qui était prévu par la loi sur les retraites du 20 janvier 2014, les retraités subiront plus de deux ans sans indexation ce qui est un tournant dans la politique des retraites. Après la désindexation par rapport aux salaires engagée en 1993, le Gouvernement serre un cran de plus avec la désindexation totale. Le gain attendu avec les complémentaires sera sur la période 2013 6 2015 de plus de 3 milliards d'euros ce qui revient à amputer le pouvoir d'achat des retraités d'au moins 1 %. Certes, les bénéficiaires du minimum vieillesse ne seront pas concernés par cette désindexation, cela concerne 600 000 retraités. Avec l'instauration de la contribution de solidarité de 0,3 %, le gouvernement a décidé de mettre le paquet sur le premier poste de dépenses sociales. Cette politique de désindexation a été utilisée par de nombreux pays en particulier ceux qui ont rencontré des problèmes de dettes souveraines.

Une récente étude de l'INSEE démontrerait que le niveau de vie des retraités baissera progressivement par rapport aux actifs au cours des prochaines années, l'écart s'agrandissant nettement à partir de 2060. Au regard de la situation actuelle, de telles prévisions semblent-elles fondées ?

L’application des réformes engagées depuis 1993 commence à se faire sentir et se feront de plus en plus sentir. Les économies réalisées sur le dos des retraités représenteront d’ici 2050 6 points de PIB. Il est donc assez logique le pouvoir d’achat des futurs retraités en subisse les conséquences. Comme le souligne l’INSEE, la désindexation par rapport aux salaires constitue une des mesures qui aura le plus fort impact. Elle concerne tout à la fois les pensions qui sont payées mais aussi les droits constitués. Les salaires de référence qui sont utilisés pour le calcul de la retraite de base ne sont réévalués au mieux en fonction de l’indice INSEE hors tabac et non en fonction de l’évolution du salaire comme cela était le cas avant 1993. Or, les retraités sont des consommateurs de services dont les prix suivent les salaires ; de ce fait, leur pouvoir d’achat sera réduit par ce changement d’indexation. Si par ailleurs, ce qui est à craindre, les pensions comme les droits à la retraite ne sont plus du tout indexés durant une certaine période, le niveau de vie des retraités ne pourra que baisser. Il faut également souligner que le passage des dix aux vingt cinq meilleures années affectera le montant des pensions. Depuis 2006, le pouvoir d’achat des retraités ne s’améliore plus, voire il décline légèrement. L’augmentation des prélèvements et en particulier l’introduction de la contribution de solidarité autonomie explique en partie cette évolution. Les retraités ont été également touchés par le relèvement des taxes sur les revenus financiers et fonciers.

Quels sont les retraités qui pourront continuer à s'en sortir et ceux qui seront moins favorisés ?

Ceux qui bénéficient, soit à titre collectif dans les entreprises, soit à titre individuel à travers des compléments de retraite par capitalisation, seront logiquement un peu mieux couvert que ceux qui profitent du régime par répartition. Par ailleurs ceux qui ont pu se constituer un patrimoine et qui sont détenteurs, ou futur détenteurs, de leur résidence principale, et plus largement ceux qui détiennent de l'immobilier et du foncier, font partie de ceux qui sauront le mieux faire face aux mesures de corrections du système de retraite par réparition. Enfin, même si l'on a eu jusqu'ici tendance à dire que la retraite de la fonction publique était plus avantageuse de par son monde de calcul basé sur la référence des six derniers mois de travail, les fonctionnaires seront aussi pénalisés dans leur pouvoir d'achat par le gel du point d'indice qui sera gelé jusqu'en 2017 comme vient de l'annoncer le Premier ministre.

En 2010, le niveau de vie des retraités était pourtant similaire à celui des actifs. La retraite est-elle finalement en train de devenir une trappe à pauvreté ?

Le niveau de vie des retraités est légèrement inférieur à celui des actifs. Certes, en intégrant le gain généré par la possession de la résidence principale, les retraités font jeu égal avec les actifs. En effet, trois quart des retraités sont propriétaires de leur résidence principale quand ce taux est de 57 % pour l’ensemble de la population. Il faut également noter que le taux de pauvreté des retraités est de 10 % quand la moyenne nationale se situe légèrement au-dessus e 14 %. Ces trente dernières années ont été marquées par une amélioration des conditions de vie des retraités. Si en 1970, il y avait plus de 2 millions de bénéficiaires du minimum vieillesse, ils ne sont plus que 600 000 aujourd’hui quand en 44 ans le nombre de retraités est passé de 10 à15 millions. Si aujourd’hui, la situation peut apparaître correcte, il n’en demeure pas moins que nous arrivés à un plateau et que tout pousse à croire que le taux de pauvreté devrait s’accroître durant les prochaines décennies.

Le vieillissement de la population semble être le premier facteur de cette tendance à la paupérisation. D'autres causes peuvent-elles être invoquées ?

Le vieillissement de la population constitue évidemment la principale raison de cette évolution. Nous sommes confrontés à une révolution démographique. Nous devons gérer une double mutation quantitative et qualitative ; quantitative avec le passage des baby-boomers à l’âge de la retraite ; qualitative avec l’allongement de l’espérance de vie. Le nombre de départ à la retraite qui était de 300 000 au début des années 80 est désormais d’environ 700 000 et cela devrait durer jusque dans les années 2050 - 2060. L’espérance de vie a gagné 10 ans en cinquante ans. Le Français peut espérer passer plus de 22 ans à la retraite ; voire 25 ans pour les femmes. Cette mutation est d’autant plus difficile à gérer que le taux de croissance de la France est passé de plus de 3 à moins de 1 %. Dans ces conditions, les pouvoirs publics ont été amenés à gérer la pénurie en tentant de compresser par tous les moyens les pensions. Il faut savoir que les retraites obligatoires représentent 300 milliards d’euros de prestations, c’est le premier poste social de la nation. La France aurait pu réaliser des économies en simplifiant ses structures. La cohabitation d’un grand nombre de régimes de base et de régimes complémentaires aboutit à des coûts de gestion supérieurs à ceux de nos partenaires. Par ailleurs, les rigidités sur l’âge légal de départ à la retraite compliquent la donne même si la France dispose en contrepartie d’une des plus longues durée de cotisation.

Toujours selon l'INSEE, la part des dépenses de pensions passera à 14% du PIB en 2060 si aucune réforme n'est engagée. Que penser de telles prospectives pour notre système de retraites ?

Le montant des dépenses des pensions est relativement connu du fait que nous connaissons le nombre de retraités à venir sous réserve d’un changement de l’âge de cessation d’activité. En revanche, les ressources représentées par les cotisations sociales fluctuent en fonction de l’activité. Du fait d’un taux d’emploi faible et d’une masse salariale en stagnation, les régimes de retraite par répartition sont confrontés à des déficits récurrents.

Quelles pistes d'améliorations concrètes peuvent-être envisagées en perspective ? Une refonte fondamentale du système est-elle nécessaire ?

L’idée de la réforme systémique est séduisante sur le papier mais difficile à réaliser en raison de l’absence de consensus sur le sujet. Une telle réforme aurait pour objectif de créer un seul régime de retraite à points en suivant le modèle suédois. Au-delà des problèmes syndicaux, l’unification des régimes actuels serait dans un premier temps sources de surcoûts en particulier informatiques. En revanche, dans un second temps, elle permettrait des gains au niveau des coûts de gestion. Par ailleurs, elle serait source d’équité en permettant le traitement identique de tous les actifs. Evidemment, en changeant de règles, il y a des perdants qui hurlent et des gagnants qui se taisent. De ce fait, les gouvernements reportent d’année en année une telle réforme. Pour éviter une érosion des retraites, à défaut de renouer avec la croissance, il faut jouer sur l’âge de départ à la retraite et développer l’épargne retraite. Tous nos partenaires ont favorisé des dispositifs d’affiliation large à des compléments par capitalisation. En France, l’épargne représente 5 % des dépenses de pension quand, en moyenne, au sein de l’OCDE, ce taux est de 20 %. Sans les retraites par capitalisation, la situation des retraités allemands ou américains serait très délicate. C’est par ses compléments que le pouvoir d’achat des retraités arrive à se maintenir à l’étranger…

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