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Assainissement des finances publiques françaises, le match des plans : ce que propose la France, ce que réclame Bruxelles
©Reuters

Bruxelles 1 - Paris 0

Le gouvernement présentera son plan d'assainissement des finances publiques mardi. Les 50 milliards de baisse des dépenses promis sur trois ans suffiront-ils à atteindre l'objectif du retour à 3% de déficit public pour 2015 réclamé par Bruxelles ?

Gérard  Thoris et Philippe Waechter

Gérard Thoris et Philippe Waechter

Gérard Thoris est maître de conférence à Sciences Po. il a notamment rédigé une Analyse économique des systèmes (Paris, Armand Colin, 1997), contribue au Rapport Antheios et publie régulièrement des articles en matière de politique économique et sociale (Sociétal, Revue française des finances publiques…).

Philippe Waechter est directeur des études économiques chez Natixis Asset Management. Ses thèmes de prédilection sont l'analyse du cycle économique, le comportement des banques centrales, l'emploi, et le marché des changes et des flux internationaux de capitaux. Il est l'auteur de "Subprime, la faillite mondiale ? Cette crise financière qui va changer votre vie" (Editions Alphée, 2008).

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Atlantico : Mardi, le gouvernement doit présenter le détail de son plan pour assainir les finances publiques françaises. Bruxelles a exigé de la France un retour à 3% de déficit public pour 2015. Si l'on s'en tient aux déclarations d'intention du gouvernement (50 milliards de baisse des dépenses sur trois ans), cet objectif est-il atteignable ?

Philippe Waechter : Les 50 milliards de réductions de dépenses dont Manuel Valls a parlé dans son discours de politique générale portent sur la période 2015-2017. Si l'on suit les propos de François Hollande lors de sa conférence de presse du 14 janvier, le chiffre de réduction des dépenses devrait être proche de 20 milliards en 2015. Cela viendra après la réduction d'une quinzaine de milliards pour 2014. En anticipant une croissance nominale raisonnable, cela devrait se refléter dans une économie de 1.5% du PIB. Cela suggère que l'objectif de 3% est probablement atteignable si la croissance nominale est de l'ordre de 2% en 2014 (1% en volume et 1% de prix) et de 2.5 – 3 % en 2015(chiffres cohérents avec les prévisions de la Commission Européenne).

Cela suppose néanmoins que l'économie française sera capable de capter et d'amplifier l'embellie cyclique que l'on constate aux Etats-Unis et en Europe. Il faut donc que les mesures de politique économique présentées soient mises en œuvre rapidement. Car l'objectif du pacte de responsabilité est de permettre aux entreprises françaises de se caler davantage sur la dynamique européenne afin de créer une impulsion positive sur l'activité économique française. Manuel Valls semble convaincu de la nécessité d'aller vite.

La difficulté de l'économie française depuis 2011 est son incapacité à retrouver le chemin de la croissance. Si une impulsion extérieure permet de redynamiser la croissance, alors profitons-en pour remettre l'économie en ordre de marché, c'est l'objectif du pacte de responsabilité. Les comptes publics s'amélioreront alors en conséquence.

Gérard Thoris : D’abord, on peut rappeler que Bruxelles n’exige rien. La France, dans sa représentation parlementaire a accepté d’abord les critères de convergence puis le Pacte de stabilité dont l’un des critères est un déficit budgétaire inférieur à 3 %. C’est sa signature ; cette signature l’engage ; elle ne peut reprocher à personne l’objectif qu’elle s’est elle-même donnée. Dans n’importe quel contrat, il y a des clauses de sortie ; elle n’a pas pensé en mettre ; il lui faut assurer dignement son engagement.

Ensuite, l’objectif de déficit budgétaire de 3 % n’était qu’une étape dans un horizon plus large d’équilibre budgétaire en 2017 puis de diminution du ratio d’endettement pour le ramener à 60 % à raison de un vingtième de la différence entre le taux d’endettement public effectif et le ratio de 60%. Ces chiffres (3% de déficit, 60% de dette publique) ne sont pas des chiffres tabous. Néanmoins, ils sont la limite à partir de laquelle la dette publique n’est plus soutenable pour une croissance nominale de 5 % et des taux d’intérêt de 5 %. Au-delà, l’effet boule de neige de la dette se met en route et l’on paie les intérêts de la dette avec de nouveaux emprunts, ce qui est la meilleure façon de se ruiner.

Certes, les taux d’intérêts instantanés de la dette ne sont pas de 5 %, mais l’effet  boule de neige de la dette est effectif en Grèce, en Espagne, en Italie, au Portugal et maintenant en France. Le retour du budget à l’équilibre est une urgence, ne serait-ce que pour se préparer au moment où les taux d’intérêt vont se mettre à remonter. Il est assez probable que les Etats-Unis s’y mettent en 2015. Que fera la Banque centrale européenne ?

Evidemment, on n’arrive plus facilement à l’équilibre budgétaire en évitant les dépenses. Or, il faut rappeler que les 50 milliards de baisse des dépenses sont la contrepartie de 50 milliards de moindres recettes. Les variations de recettes et de dépenses sont équilibrées, au moins sur le papier et sous réserve du calendrier de mise en œuvre. Dans les faits, on peut craindre que les réductions de recettes précèdent des réductions de dépenses qui ne sont pas encore rendues publiques. Certes, on peut rappeler que, dans les 50 milliards, il y a les 20 milliards du CICE théoriquement financés par l’augmentation de la TVA, effective depuis le 1er janvier 2014.

Comme les modèles économétriques reposent sur les coefficients d’élasticité établis sur des données passées, les évaluations chiffrées de ce qui va se passer sont pour le moins aléatoires. En octobre 2013, l’OFCE donnait quitus au gouvernement pour l’objectif de 3 % en 2015. Mais c’était avant le Pacte de responsabilité. En mars 2014, COE-Rexecode estime que l’objectif de 3 % ne sera atteint qu’en 2016. On aura toujours le temps de réviser cette estimation à la hausse au fur et à mesure que la crise va continuer à s’approfondir. Car, ce qui est toujours certain, c’est l’effet récessif d’une diminution immédiate de la dépense publique. Or, l’effort demandé aux administrations de Sécurité sociale et aux collectivités territoriales n’est pas neutre puisqu’il représente environ 300€ par français !

Bruxelles appelle également la France à engager des réformes structurelles sans préciser les moyens d'y parvenir (les Etats restant souverains dans l'application de cette volonté). Si l'on se base sur les observations que Bruxelles a déjà pu faire à la France par le passé, qu'attend réellement l'Union européenne de la France ? Quelles mesures lui apporteraient satisfaction ?

Gérard Thoris : La déclaration de politique générale de Manuel Valls n’échappe pas à ce qui est un des plus grands malentendus de la macroéconomie moderne. C’est une habitude ancienne en France qu’elle soit réduite à une sorte de jeu de tuyaux et de vannes. La responsabilité du Premier ministre ou du ministre de l’Economie et des Finances consiste à orienter les flux de richesses d’une manière qui soit la plus favorable à la croissance. Pourtant, on devrait savoir que cette approche ne peut concerner qu’une richesse déjà créée. Avant cette étape, il y a la décision d’acheter ou d’épargner, d’investir ou de placer. Ces décisions sont prises en fonction de taux de rendement qui dépendent de multiples paramètres dont on parle moins souvent : l’abondance des fonds propres – soit les profits passés, la fluidité du marché du travail – soit la capacité d’ajuster les effectifs à l’état de la demande, le niveau d’endettement – souvent la conséquence de l’un et de l’autre. Sans vouloir jouer les Cassandre, malgré le tabou levé par le Président François Hollande le 14 janvier dernier, nous n’avons pas encore les conditions d’une véritable politique de l’offre.

Les réformes structurelles à faire sont légion. Nicolas Sarkozy s’y était un peu essayé ; les six premiers mois du gouvernement Ayrault ont servi, pour partie, à défaire ce qui était à peine en chantier. L’OCDE avait un peu tenté de nous aiguiller. Le Premier Ministre avait tout fait pour retarder la publication de ce rapport. Les têtes de chapitre de ce rapport sont un programme en soit : 1/ renforcer la recherche et stimuler l’innovation ; 2/ renforcer la concurrence et le cadre réglementaire ; 3/ rendre le secteur public plus efficace ; 4/ réformer la fiscalité pour favoriser l’emploi et l’investissement ; 5/ réformer le marché du travail ; 6/ améliorer la performance du système éducatif ; 7/ améliorer la formation professionnelle ; 8/ améliorer le fonctionnement du marché du logement.

Il faudrait prendre le temps d’étudier les réformes récentes thème par thème pour voir à quel point elles tournent le dos aux orientations ainsi proposées. Quant à la concurrence, on attend le proche rapport de Thierry Thévenoud sur les véhicules de tourisme avec chauffeur ; mais il faut rappeler que ce fut l’un des premiers bras de fer mal mené et perdu par le gouvernement de François Fillon, il y a pratiquement six ans ; assurément, c’est une bonne nouvelle pour l’attentisme. Quant à la fiscalité, on oppose réduction du taux de l’IS à un moment où la profitabilité est des plus faibles sans revenir sur aucune des mesures touchant au patrimoine qui a frappé l’activité économique comme un tir de grenaille. Quant à la réforme du marché du travail, on vient de faire un pas extraordinaire en proposant de renforcer le pouvoir des inspecteurs du travail au travers des ordonnances pénales. Il y a une science des systèmes qui s’attache à étudier les interactions et pour laquelle le tout est à la fois différent de la somme des parties et cohérent avec ce qu’elles sont. Ici, le tout de macroéconomie s’est complètement émancipé du milieu dans lequel baignent les parties. Ce devrait être le rôle d’un chef de gouvernement de s’attacher à la vision et de laisser les acteurs s’inscrire dans cette vision. Nous sommes dans l’injonction permanente et, on le voit tous les jours, dans la multiplication des pouvoirs de contravention.

Face à cela, fondamentalement, la Commission européenne n’impose rien. Ce qui lui donnerait satisfaction, c’est une France prospère, ouverte au monde, rayonnante d’unité pour porter le projet européen à la fois en interne et vis-à-vis du reste du monde. Dans cet ailleurs, le plus souvent, l’économie est régulée mais les hommes politiques ne tentent pas de contraindre les entreprises à maintenir des emplois qui n’ont plus d’utilité sociale ; le progrès technique est considéré comme une opportunité pour développer l’emploi dans des entreprises nouvelles ; le profit est l’indicateur de la réussite économique et le signe d’une contribution à l’enrichissement collectif.

Philippe Waechter : Dans lesderniers rapports relatifs à la France, Bruxelles s'alerte d'abord sur la difficulté de l'économie française à améliorer sa compétitivité et lui demande de ce fait de faire des efforts afin de mettre en œuvre des réformes structurelles qui redonnerait de l'autonomie à la croissance française.

Le point de préoccupation concernant l'économie française est ici: sa demande privée est peu dynamique et ses gains de productivité sont limités. Cela ne permet pas de progresser de façon autonome ni de tirer l'ensemble de l'économie de la zone Euro vers le haut. Aujourd'hui l'économie européenne dans son ensemble doit trouver le moyen de développer sa dynamique interne pour disposer d'une conjoncture dépendant davantage de ses propres capacités à croitre plutôt que d'attendre une amélioration de l'environnement global.

Dans ce cadre, l'économie française, comme deuxième économie de la zone Euro, doit avoir un rôle de leader mais ce n'est pas encore le cas. Il est là l'enjeu pour Bruxelles.

De ce point de vue, la Commission Européenne s'est rendu-compte que la capacité à croitre était l'objectif plus ambitieux et plus durable qui permettra in fine une amélioration des comptes publics. En 2011 et 2012 c'est le contraire qui était pensé à Bruxelles, notamment en s'appuyant sur les résultats de Reinhart et Rogoff sur le fameux seuil de dette publique de 90% censé anéantir la croissance. Ces résultats ont été invalidés et Bruxelles a changé la hiérarchie de ses objectifs. Et c'est tant mieux.

Quelles sont à l'inverse les mesures, parmi celles que doit annoncer le gouvernement, qui pourraient braquer Bruxelles et qui rendraient les relations avec l'UE très difficiles ?

Philippe Waechter : Les attentes de Bruxelles sont l'atteinte du solde budgétaire de 3% avec une amélioration du solde structurel et la mise en place de mesures de réformes qui donneront à l'économie française une plus grande autonomie de croissance.

L'analyse de la  dynamique conjoncturelle française depuis le début de la crise montre que celle-ci dépend davantage de la demande des administrations publiques que de la demande privée. Cela n'est pas soutenable à moyen terme. La demande privée doit être au cœur de la dynamique économique plutôt que la demande publique. C'est cette hiérarchie des demandes qui est aujourd'hui pénalisante pour la France. L'objectif du pacte de responsabilité doit permettre de redynamiser la demande privée via l'investissement à court terme puis via une distribution de revenus plus importante notamment par la création d'emplois.

Bruxelles indique que la hiérarchie actuelle qui a permis à l'économie française d'amortir les chocs de la crise de façon plus importante que d'autres pays de la zone, doit maintenant être changée. La France doit retrouver davantage de compétitivité pour réduire ses pertes de part de marché à l'exportation. Il faut pour cela redonner aux entreprises des capacités à investir et à s'adapter à un environnement économique global qui a été bouleversé au cours des dernières années.

La France a réussi à se protéger pendant une bonne partie de la crise, il faut maintenant qu'elle s'ouvre à nouveau au reste du monde, non pas pour le subir mais pour y faire sa place. Cela va obliger tous les français à améliorer leurs capacités d'adaptation. Cela passera par des efforts de chacun, pas nécessairement pécuniaires mais être capable de s'adapter car le monde change très vite et nos partenaires commerciaux les plus proches changent radicalement leur façon de faire pour être compétitif. C'est cela notre enjeu; qu'il y ait Bruxelles comme gendarme ou pas.

Gérard Thoris : Nous sommes dans le domaine de la diplomatie. Il y a le dit et le non-dit. A plusieurs reprises, le président de la Commission européenne a pressé la France d’engager des réformes. Nous sortons à peine de la passe d’armes entre François Hollande et José-Manuel Barroso en juin 2013 et nous ouvrons à nouveau le feu à la veille des élections européennes.

A un moment ou à un autre, il faut se poser la question de savoir si nous n’épuisons pas nos partenaires à force de réclamer un statut spécial. Peut-être que le principal d’entre eux pourrait être tenté, à un moment ou à un autre, de reprendre son jeu et sa monnaie et d’abandonner le reste de l’Europe à son destin. Qui sait sur quoi débouchent les crises qui durent. On commence par jouer un jeu non coopératif ; cette formule diminue le gain du jeu ; à la fin, il y a toujours quelqu’un qui n’a plus envie de jouer.

Les 50 milliards annoncés par la France semblent modestes par rapport aux presque 100 milliards d'économies que Bruxelles a imposé à la Grèce. Quel message l'incapacité de la France – jusque-là – à tenir des engagements envoie-t-elle à Bruxelles et aux autres partenaires européens ?

Philippe Waechter : La situation n'a rien de comparable. La Grèce était quasiment en défaut de paiement avec un déficit extérieur et un déficit public qui n'étaient ni l'un ni l'autre contrôlables. La France n'a jamais été proche du défaut de paiement. Sinon les taux d'intérêt français ne seraient pas à 2% sur les obligations d'Etat à 10 ans. L'effort fait en Grèce a été considérable mais il y avait une situation antérieure (de 2000 à 2009) qui n'était pas soutenable. Ce sont ces excès qui ont été corrigés (voir sur ce point mon article mais aussi un article récent publié sur Atlantico)

L'Elysée semble tenté de proposer de nouvelles négociations pour obtenir un délai supplémentaire dans la réduction du déficit auprès de l'UE. Bruxelles va-t-elle encore accepter d'être conciliante ? Cela ne sonne-t-il pas déjà comme un aveu d'impuissance ?

Philippe Waechter : Le gouvernement français a défini un certain nombre d'objectifs qui lui paraissent nécessaires pour le retour vers une situation de croissance plus équilibrée. C'est ce qui a été indiqué dans le discours de politique générale de Manuel Valls. Les discussions avec Bruxelles porteront davantage sur la cohérence entre les moyens que le gouvernement français veut mettre en œuvre pour atteindre ses objectifs et ceux souhaités par Bruxelles sur l'autonomie plus grande de la croissance française et sa capacité à créer une dynamique d'entrainement sur la zone Euro.

La façon dont le gouvernement français souhaite réduire ses dépenses sera examinée de près, les réformes structurelles et l'amélioration de la rentabilité des entreprises seront au cœur de la discussion. C'est cela qui est important. Si l'on suit les prévisions de la commission européenne, la croissance en France sera proche de 3% en valeur. Cela devrait permettre de converger vers l'objectif de déficit de 3% et d'écarter la question des délais.

La France étant une puissance européenne bien supérieure à ce que pouvait être la Grèce ou le Portugal lorsque Bruxelles exigeait avec autorité l'assainissement de leurs comptes publics, que pourrait-il se passer à terme si ce que propose la France ne satisfait pas les exigences européennes ?

Philippe Waechter : Je ne pense pas qu'un affrontement soit à l'ordre du jour mais clairement Bruxelles sera très attentif aux développements mis en œuvre par Paris. La difficulté pendant la longue période de stagnation, c’est-à-dire depuis 2011, la France n'offrait pas beaucoup de solutions pour retrouver de la croissance. Là il y a un plan dont les précisions seront fournies à la Commission Européenne et qui pourra permettre à l'économie française de retrouver davantage de croissance et d'autonomie. Avant de parler de sanctions, Bruxelles surveillera  la mise en œuvre des engagements pris. C'est cela qui sera le plus important dans les prochains mois.

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"


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