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DSK : sous les pavés des faits,
le spectacle
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Affaire DSK

Comme l'illustre le traitement médiatique de l'affaire DSK, notre époque semble prêter finalement moins d'importance aux faits qu'à leur mise en scène...

Clément  Bosqué

Clément Bosqué

Clément Bosqué est Agrégé d'anglais, formé à l'Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique et diplômé du Conservatoire National des Arts et Métiers. Il dirige un établissement départemental de l'aide sociale à l'enfance. Il est l'auteur de chroniques sur le cinéma, la littérature et la musique ainsi que d'un roman écrit à quatre mains avec Emmanuelle Maffesoli, *Septembre ! Septembre !* (éditions Léo Scheer).

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La préoccupation de certains commentateurs semble être aujourd'hui d'établir les faits ; de les juger s'ils sont avérés ; de juger la justice américaine ; d'établir les faits politiques conséquents ; de juger ces faits politiques, etc.

C'est une erreur  : comme chacun le sait (les idées contenues dans la Société du Spectacle de Guy Debord sont non seulement dans toutes les têtes, mais sur toutes les lèvres), ce ne sont pas les faits qui comptent, mais leur visibilité, leur mise en scène. L'anthropologue britannique Mary Douglas disait que les rituels sont à la société davantage que les mots ne sont à la pensée.

Prenons les symboles au sérieux. La tête de DSK a déjà été coupée - « médiatiquement », comme on dit - devant nos yeux. C'est pourquoi, n'en déplaise aux soucieux de « sourcer », de « vérifier », « d'objectivité », plus nous nous raccrochons aux sacro-saints « faits » (son bilan objectif au sein du FMI, la nature exacte de ses actes envers Ms D., la véritable histoire de ses adultères de par le monde, etc.), moins nous sommes honnêtes. Décollons un instant le nez du personnage. L'homme n'a pas encore beaucoup parlé, certes, mais il dit quelque chose... de nous-mêmes.

En effet, ce qui frappe immédiatement est une unanime empathie. On éprouve, comme au théâtre, terreur et pitié : a-t-il vraiment commis ce viol, pourquoi porte-t-il des menottes, quelle est la taille de sa cellule, combien de temps durera son procès, est-il fatigué, a-t-il bien dormi, a-t-il vu sa femme et sa fille, etc. Quoique moralement l'on pense du personnage, on ne retient pas un serrement de gorge lorsqu'on le voit comparaître ; on ne peut s'empêcher d'être soulagé à la nouvelle de sa libération provisoire. Comment comprendre cette fascination, ce sentiment d'être possédé par les images du destin de cet homme ? De quelle pièce de théâtre cette scène est-elle extraite ?

Un rituel judéo-chrétien ?

Entre tragédie grecque et fable judéo-chrétienne, on pourrait très bien se contenter de lire cette l'histoire comme celle d'un homme dont le vice (l'argent est sale, après tout) finit par éclater au grand jour par un crime sordide. Bien sûr, on répète partout qu'il faut s'attacher à ne pas faire d'amalgame : entre adultère et viol, entre prédation politique et sexuelle, entre fraude et finance. Mais ironiquement, cette obsession démontre à quel point ces choses se nouent dans notre esprit. DSK incarne ce nouage. Ce serait, en quelque sorte, ce qu'il paye. Jadis comme aujourd'hui, on punissait le meurtre et la « bestialité », mais le lèse-majesté, le faux-monnayage, la trahison étaient les crimes à la mode : le viol n'était pas, comme aujourd'hui, le crime suprême. Aussi cette affaire ne serait qu'un prétexte. Par catharsis, les crimes du vieux sanglier - sacrificiel, eût dit St-Paul - profiteraient à tous en nous purgeant des nôtres.

Ainsi, par réaction tout autant judéo-chrétienne, nombreux seront ceux tentés de prôner un harnachement de l'efficience aux valeurs, une politique faite d'idées exemplaires et d'actes responsables assumés jusqu'au bout par des chefs purs. Du côté des médias, on se drape d'ores et déjà dans un débat éthique, incroyablement sans intérêt, sur le curseur à placer entre respect de la vie privée et devoir d'éclairer le citoyen, oubliant que la gloire du journaliste est d'être fondamentalement et inévitablement ce que Teddy Roosevelt appelait un « muckraker », un fouilleur de fange, là pour faire, non pas raisonner, mais résonner.

Roue de la fortune

Mais cette « actualité » parmi d'autres pourrait aussi être une « synchronicité » au sens jungien d'une conjugaison d'évènements signifiant. En l'espèce, la fin d'un cycle pour le paradigme économique au sens large.

Pratique devenue science au XVIIIe et science devenue religion au XIXe, l'économie a été la théologie, le baromètre moral de l'Occident : le « péché », « libéral » ; la « bonne action », « solidaire », ou l'inverse, selon. On appelait à la Renaissance primum mobile quelque chose dont on s'accorde à croire qu'elle fait tourner le monde. Dans le fantasme commun, DSK était précisément, par son métier, une des « têtes » qui commandait le monde comme on commande autant de jambes et bras ; le FMI, une transcendance fantasmatique où l'homme ordinaire n'a pas sa part.

C'est pourquoi il y a quelque chose dans cette mésaventure du Duc de Héffaimy, Baron du Péhesse, qui rappelle les exécutions publiques de nobles et de monarques du Moyen-âge jusqu'au XVIIIe. On se rassemblait pour voir le puissant, mal rasé, hagard, sans son maquillage et sa perruque ; traîné et mis violemment à bas, avec une satisfaction mêlée d'effroi et d'empathie. « Regnabo, regno, regnavi, sum sine regno » disaient les manuscrits latins et les rosaces médiévales : je règnerai, je règne, j'ai régné, je suis sans royaume. Ce ne sont pas les plateaux équilibrés de la balance de la justice qu'il faut invoquer, mais la fortune... et sa roue.

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