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Casques bleus en Haïti : la rumeur de zoophilie était-elle fondée ?
©Reuters

Bonnes feuilles

Codes cachés, objets piégés, aliments contaminés... La vérité sur 50 légendes urbaines extravagantes. Extrait de "100% rumeurs", de Véronique Campion-Vincent et Jean-Bruno Renard, © Editions Payot & Rivages (2/2).

Casques bleus et zoophilie

Depuis 2004, la société en crise d’Haïti accueille des troupes multinationales de l’ONU dénommées Minustah (Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti) dont la mission est d’aider le pays. Dès leur arrivée, des rumeurs ont démarré – à Montrouis, station touristique ayant une forte population paysanne située sur la côte à une heure de route de Port-au-Prince où demeurent de nombreuses troupes de la Minustah – accusant ces troupes de voler les cabris des paysans. Puis les accusations se sont aggravées : les cabris étaient violés puis mangés par les militaires. Devenus thème vedette des chants du carnaval de 2007 à Haïti, les liens coupables supposés conduisent la population, voire des journalistes, à bêler sur le passage des troupes – qui réagissent à ces insultes par des violences mineures, mais qui peuvent déboucher sur des émeutes.

Un bel article du chercheur haïtien Fils-Lien Ely Thélot a analysé cette rumeur-légende comme une parole protestataire : « Dans un contexte défavorable à la prise en compte de la parole contestataire et revendicative des masses pauvres et exclues, la rumeur constitue un exercice du politique par le bas, mais aussi une arme de combat et de résistance. »

Thélot souligne la signification symbolique valorisant les trois étapes accusatoires : le vol du cabri renvoie à la corruption ambiante et à la dépossession des plus pauvres ; le viol du cabri symbolise l’attaque contre la souveraineté nationale que constitue la présence d’armées étrangères ; la consommation du cabri dénonce un groupe qui s’accapare toutes les richesses laissant les démunis mourir de faim.

Par ailleurs, l’accusation de zoophilie est un thème fréquent de la xénophobie, où l’on prête à l’étranger des pratiques sexuelles perverses.

Le catastrophique tremblement de terre du 12 janvier 2010 fit plus de 300 000 morts, 350 000 blessés et 1,5 million de sans-abri. Les événements majeurs dont la malheureuse société haïtienne a été victime au début de 2010 semblent avoir sonné le glas de cette rumeur des casques bleus zoophiles. Mais son souvenir n’a pas disparu.

Un événement catastrophique supplémentaire renforcera la méfiance envers ces troupes étrangères.

Casques bleus et choléra

Parmi les multiples malheurs, dont les tempêtes répétées frappant une population encore largement sans abri, ayant fondu sur Haïti depuis la catastrophe de janvier 2010, on note l’apparition à la mi-octobre 2010 d’une épidémie de choléra dans la région de l’Artibonite.

Dès le 16 novembre, une accusation précise prend corps : le choléra vient des troupes népalaises de la Minustah installées dans la ville de Mirebalais. C’est la défaillance du prestataire chargé de vider les fosses septiques du camp népalais qui est en cause. Pour les accusateurs, la souche du vibrion – qui est originaire d’Asie du Sud – et l’existence d’une épidémie de choléra au Népal peu avant l’arrivée des troupes constituent des preuves irréfutables.

Une controverse scientifique se développe. L’épidémiologiste français Renaud Piarroux, soutenu par Médecins sans frontières, développe l’accusation dès 2010. De son côté, la Minustah met en valeur des imprécisions et affirme dans un point de presse attacher plus d’importance à la lutte contre l’épidémie qu’à une recherche de son origine.

Des émeutes accusant l’ONU éclatent à Port-au-Prince en novembre 2010 causant une dizaine de morts. Ce n’est qu’en juillet 2011 que l’article de Piarroux connaîtra la consécration d’une publication officielle dans la revue du CDC (Center for Disease Control d’Atlanta). Les anomalies marquant la société haïtienne sont notées par Piarroux dans cette publication : aucune enquête n’a été conduite, aucune poursuite engagée contre le prestataire défaillant, responsable d’une épidémie majeure dont le bilan s’établissait en juillet 2011 à 5 400 morts, à 7 526 en août 2012 et à 8 100 en août 2013.

Une organisation haïtienne a engagé une action contre l’ONU demandant l’indemnisation de cinq mille victimes du choléra et réclamant des sommes très importantes. En février 2013, on annonça que l’ONU avait refusé toute indemnisation, s’abritant derrière son statut diplomatique. La situation était la même en août 2013, puisque l’ONU refusait toujours de reconnaître une responsabilité en dépit d’études scientifiques récentes soulignant la validité de la piste népalaise et des avocats annonçant des dépôts de plainte pour huit mille victimes devant des tribunaux new-yorkais

Mais serait-il équitable de faire abstraction de la culpabilité du prestataire haïtien défaillant ?

Tout dans cette succession de rumeurs-légendes, les premières injustifiées mais compréhensibles, les secondes validées par la science, souligne le rôle prophétique des légendes qui mettent le doigt sur les plaies d’une société.

RÉFÉRENCES : Jean-Michel Caroit, « Haïti : une étude de Yale pointe la responsabilité de l’ONU dans l’épidémie de choléra », Le Monde, 9 août 2013. Alexandra Geneste, « L’ONU refuse d’indemniser les 5 000 victimes du choléra en Haïti. Les Nations unies jugent la demande non recevable au vu de ses “privilèges et immunités” », Le Monde, 23 février 2013.Renaud Piarroux, « Rapport de mission sur l’épidémie de choléra en Haïti », 2010, consultable sur www.ph.ucla.edu/epi/snow/ piarrouxcholerareport_french.pdf Renaud Piarroux, Robert Barrais, Benoît Faucher, et al., « Understanding the Cholera Epidemic, Haiti », Emerging Infectious Diseases Journal, vol. 17, nº 7, juillet 2011, consultable sur wwwnc.cdc. gov/eid/article/17/7/11-0059_article.htm Vincenzo Pugliese, « Point de presse des Nations unies 10/11/2010 », Minustah, 2010, accessible à http://minustah.org/ ?p=27651 Fils-Lien Ely Thélot, « Bêê ê ê : de ces rumeurs qui font rougir les “casques bleus” en Haïti », Société suisse des Américanistes / Schweizerische Amerikanisten – Gesellschaft, Bulletin hors-série, 2009, p. 77-84, consultable sur www.ssa-sag.ch/bssa/pdf/bssa-hs- 2009-09.pdf

Extrait de "100% rumeurs", de Véronique Campion-Vincent et Jean-Bruno Renard,© Editions Payot & Rivages, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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