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Les curieuses réticences intellectuelles des élites politiques françaises sur les politiques monétaires expansionnistes
©Reuters

Tabou

Suite aux critiques de Manuel Valls relatives à la politique menée par la Banque centrale européenne, Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, pointe "l’erreur de diagnostic" du Premier Ministre. Malheureusement, le raisonnement de Christian Noyer ne correspond pas à la réalité.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France et membre du conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne était l’invité de LCI le mardi 8 avril. Ceci notamment pour faire suite aux déclarations de Manuel Valls concernant une politique monétaire menée par la BCE jugée trop restrictive.

Christian Noyer déclare alors : "Ça n'est pas la politique monétaire. La BCE a la politique monétaire la plus accommodante quand on regarde aujourd'hui le niveau des taux d'intérêt." Voilà pourquoi, selon le gouverneur de la Banque de France, Manuel Valls ferait une «erreur de diagnostic». Et d’entourer cette déclaration par un joli « C’est assez compliqué la politique monétaire sur le plan technique ».

Nous touchons le fond. Cette déclaration d’un homme, actuellement membre du conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne et gouverneur de la Banque de France, nous apprend beaucoup de l’état actuel du pays et de la zone euro.

Car selon Christian Noyer, les taux faibles maintenus par la BCE seraient bien le signe d’une politique accommodante. Il ne faut pas aller chercher bien loin pour se rendre compte de l’absurdité de ces propos. En 1998, Milton Friedman déclarait :

« Après l’expérience américaine durant la Grande Dépression, et après l’inflation et les taux d’intérêt élevés des années 1970, et la désinflation et les taux en baisse des années 1980, je pensais que la vieille erreur d’identifier une politique stricte à des taux élevés, et une politique accommodante avec des taux bas était morte. Apparemment, les vieilles erreurs ne meurent jamais ».

Friedman avait raison. Ces vieilles erreurs ne meurent jamais et Christian Noyer vient de nous en donner la preuve. Le prix Nobel d’économie 1976 poursuit « Des taux bas sont en général le signe que la monnaie est stricte », ce qui vient cette fois totalement contredire la vision du gouverneur de la Banque de France. Une preuve inquiétante qui démontre à quel point la situation actuelle semble échapper à notre gouverneur.

Et Milton Friedman n’est pas seul. Ben Bernanke avait également pu se prononcer sur cette même question :

« Comme cela a été souligné par Friedman et par Allan Meltzer, les taux d’intérêt nominaux ne sont pas de bons indicateurs de l’état d’une politique (monétaire), étant donné que des taux nominaux élevés peuvent aussi bien indiquer une politique stricte ou souple, en fonction de l’état de l’inflation. En fait, confondre des taux d’intérêts nominaux avec une politique souple a été la source de problèmes majeurs dans les années 30, et a peut-être aussi été un problème au Japon dans les récentes années. ».

La Grande Dépression, la crise japonaise, autant de crises monétaires, autant d’exemples, qui ne semblent pas préoccuper notre banquier central. Il n’est peut-être pas étonnant de voir l’Europe dans un état pareil. Une confusion qui, comme l’indique Ben Bernanke, a déjà été la source de problèmes majeurs par le passé.

Mais alors, si les taux d’intérêts ne sont pas un bon indicateur de l’état d’une politique monétaire, existe-t-il un outil qui permette cette évaluation ? Ben Bernanke nous livrait la réponse dans le même texte :

« Finalement, il apparaît que l’on puisse évaluer si une économie dispose d’une politique monétaire stable seulement en observant les indicateurs macroéconomiques que sont la croissance du PIB nominal et l’inflation ».

En zone euro, l’inflation a atteint 0.5% au mois de mars 2014, ce qui n’est pas l’expression de la politique « la plus accommodante » qui soit, selon les termes du gouverneur Noyer. Mais au-delà de chiffres de l’inflation, il convient de regarder le deuxième indicateur préconisé par Bernanke: la croissance du PIB  nominal. Est-elle stable ?

Entre 1995 et 2008, la progression du PIB nominal a bien été parfaitement stable au sein de la zone euro, ce qui indique une politique monétaire équilibrée. Mais depuis, le contexte a bien changé. En effet, suite à l’erreur historique de Jean Claude Trichet de relever les taux directeurs de la BCE en juillet 2008, l’indicateur préconisé par Ben Bernanke s’écroule, indiquant une politique monétaire éminemment restrictive. Le résultat est catastrophique, pas de croissance, un taux de chômage de 12%, mais une BCE satisfaite d’avoir maintenu les prix à leurs plus bas.

Variation de la croissance nominale de la zone euro comparée à sa tendance pré-crise.

Cliquez pour agrandir

Il serait peut-être temps de mener une politique monétaire digne de ce nom au sein de la Banque centrale européenne, au lieu de se contenter de remettre les « vieilles erreurs » au goût du jour. Christian Noyer a raison de pointer une « erreur de diagnostic »; elle est manifeste et elle n’est pas rassurante.

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"


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