Éruption de gardes rouges contre Manuel Valls : qui sont ces beaux esprits qui se croient revendeurs exclusifs de la gauche ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Il y a une éruption de gardes rouges (ici en illustration) contre Manuel Valls.
Il y a une éruption de gardes rouges (ici en illustration) contre Manuel Valls.
©wikipédia

Elle est belle ma camelotte

Alors que Manuel Valls s'apprête à prononcer son discours de politique générale, 89 députés PS réclament un nouveau "contrat de majorité". Le PS estime aujourd'hui que la confiance se mérite, et qu'elle n'est pas promise au nouveau premier ministre.

Atlantico : Depuis l'arrivée de Manuel Valls à Matignon, la gauche se déchire pour savoir qui est le plus à gauche. Certains se fendent même d'une tribune çà et là pour expliquer ce que c'est qu'être de gauche (voir la tribune des "députés frondeurs"). Mais existe-t-il un copyright "être de gauche" ?

Jean-François Kahn : Non. Il n'existe pas de copyright, et d'ailleurs cette crise concerne le PS, c’est-à-dire un parti, pas toute la gauche. Il y a un côté surréaliste à ce qu'il se passe, en vérité. En matière économique et sociale, la ligne qui était celle de Jean-Marc Ayrault mais imposée par François Hollande, de plus en plus affirmée et en particulier depuis six mois, est une ligne de centre-droit. Sur le plan économique et social, ça n'est pas vrai sur le plan sociétal, les grandes thématiques sont celles de l'UMP. Or, ça n'a provoqué aucune réaction. L'interrogation que vous soulevez est légitime, mais elle l'était d'autant plus il y a six mois ! Mais comment se fait-il qu'un parti socialiste, qui se dit de gauche, dont le programme a été fait par Martine Aubry (et est du genre gauche-gauche)… Qui, durant la campagne de François Hollande et en dépit de l'eau qu'il avait pu mettre dans son vin, disait que son ennemi était la finance… La question est la suivante : comment ce parti, comme un seul homme, s'est couché et a tourné le dos à sa politique pour réaliser la politique que l'UMP demandait qu'on fasse ? C'est incroyable. Personne n'aurait pu l'imaginer. Il n'y a pas eu deux, trois, quatre protestations ! Le Parti Socialiste s'est couché, simplement. Je parlais de politique économique et social, mais il faut également y ajouter la politique étrangère, qui tourne totalement le dos aux acquis du gaullisme et vire plus atlantiste qu'on ne l'a jamais été. Pas un mot là-dessus non plus ! Ils acceptent et n'ont rien dit. Pourquoi, jusqu'à présent ils ont accepté ça ? Pourquoi n'ont-ils rien dit ? Comment est-ce que c'est possible, quand on sait que Mitterrand écrivait que le coup d'état permanent c'est l'hyperprésidence, avec un président qui gouverne seul ? C'est la preuve que ce parti n'existe-plus, qu'il n'a plus de colonne vertébrale, plus de conviction, plus d'idéologie, plus rien. Ce n'est qu'un apparatchik de gens qui veulent être réélus. Ils ont pris une claque gigantesque aux municipales. Et désormais, ils craignent de ne pas être élus de nouveau. Ce qu'ils n'avaient pas dit, ils finissent donc par le dire. Cela semble être une réaction de gauche, mais en vérité cette réaction consiste simplement à se souvenir que le PS avait un programme et à réaliser que la politique de François Hollande tourne totalement le dos à ce programme. C'est exactement ce qu'il s'est passé sous la IVème République avec Guy Mollet. Elu pour faire la paix en Algérie, il la renforce. Le Parti Socialiste l'a accepté, jusqu'à perdre les élections. La sécession a commencé, et pour donner une nouvelle essence au PS, il a fallu que Mitterrand le dissolve. Ce n'est pas un problème Valls, ce n'est pas un problème Ayrault. C'est un problème Hollande, et c'est lui qui a provoqué ce désastre électoral.

Bertrand Rothé : Il y a deux notions. Tout d’abord, je pense qu’être de gauche signifie être républicain. Ensuite, il faut savoir qu’à l’origine, il y avait une rupture importante entre le socialisme, la gauche et le communisme. Si plus personne ne se réfère au communisme, il reste important de savoir que le socialisme se caractérise d'abord par un principe de classes et de luttes entre celles-ci, tandis que la gauche s'est posée en défense de certaines valeurs. Revenons sur les travaux du philosophe Jean-Claude Michéa. Lors de l'affaire Dreyfus, les socialistes ont refusé pendant très longtemps de prendre parti pour Dreyfus, puisque celui-ci était un bourgeois, tout comme son frère, en opposition à ceux qu'ils défendaient, donc. A leurs yeux, il ne s’agissait que d’une querelle de bourgeois. La gauche, en revanche, s’est révélée et construite à ce moment-là, et a pris position immédiatement pour Dreyfus, en vertu des principes de justice et de liberté. En fin de compte, la gauche défend trois valeurs : la liberté, la justice et l’autorité, c’est-à-dire la loi contre la liberté. Valls prétend se reconnaitre beaucoup dans Clémenceau et donc dans cette dernière valeur. Finalement "être de gauche" ne veut plus dire grand-chose aujourd’hui, même si historiquement la gauche représente la mort du roi. C’est d’ailleurs peut-être pour ça que Valls est de gauche : pour prendre le poste de Hollande !

Se battent-ils sur de vrais marqueurs de gauche ou est-ce davantage une bataille politico-politicienne ?

Jean-François Kahn : On pourrait comprendre, encore une fois. Plus la politique de François Hollande, en terme d'économie et de social s'est tournée vers la droite, plus ses positions sociales se sont portées à gauche pour le dissimuler. Le pacte de responsabilité, qui consiste à réduire les charges, doit être modifié avant qu'il soit question de le voter en l'état. Mais, ce pacte, ils l'ont accepté auparavant ! Ils savaient ce qu'il en était. Ce n'est pas extraordinaire qu'ils protestent. Ce qui l'est, c'est qu'ils ne soient que cent à le faire ! En bonne logique, ils devraient tous protester, s'ils avaient un minimum de conviction, s'ils croyaient à ce qu'ils disent et à ce qu'ils disaient hier. Il serait logique qu'ils protestent et  a priori il serait perçu comme tel le fait qu'ils protestent. Le problème vient du fait qu'on voit bien qu'ils protestent maintenant, et pas avant, parce qu'ils se sont aperçus qu'ils n'allaient pas être réélus, que les élections municipales annonçaient une catastrophe, une branlée magistrale aux prochaines législatives. Ce n'est pas une réaction idéologique, pas plus que ce n'est une réaction politique : c'est simplement une réaction de protection de leurs postes, de leurs fonctions, de leurs sièges. Ils ont pris conscience qu'il y a un tsunami et qu'ils vont être emportés. La politique politicienne n'est pas dans le fait qu'ils rappellent des principes : elle est dans le fait qu'ils le font par crainte d'être balayés aux diverses élections à venir.

Bertrand Rothé : Malheureusement, une partie de l’opinion française pense qu’il s’agit avant tout d’une bataille politico-politicienne dans laquelle l’enjeu de gauche est de récupérer l’électorat populaire, et c'est lu comme politico-politicien. Marine Le Pen fait un tabac avec son concept du MPF – Mouvement Pour la France. Et l’histoire nous prouve qu’il y a un accord très net entre l'UMP et le PS, qui se révèle progressivement, sur un certain nombre de valeurs. On ne peut plus, à mon sens, parler de marqueurs de gauche au sein du Parti Socialiste. Le marqueur de gauche  se trouve dans la protection, d'après moi. Protéger les faibles. Et c'est en cela que l'UMP, notamment, est proche du PS : dans sa devise. "Fort avec les faibles et faible avec les forts." C'est sur ces valeurs-ci que Nicolas Sarkozy et François Hollande se rejoignent. Ce qui ne fait pas l'ombre d'un doute, c'est que le marqueur de gauche se trouve dans le protectionnisme. Pas chez Mélenchon, mais chez Emmanuel Todd, par exemple.

Qu'est-ce que ces réactions révèlent de l'état d'esprit qui prévaut actuellement à gauche ? Revenons-nous aux grandes heures de l'autocritique ?

Jean-François Kahn : Au PS. Pas la gauche. Cela ne concerne que le Parti Socialiste. Et c'est un parti qui a de moins en moins de militants, qui a perdu toutes les élections dans les villes populaires. Toutes ces villes, ils les ont perdus, et n'ont gardé que les villes bourgeoises, et un peu plus modestes. Ils ont perdu l'électorat populaire – et le perdaient depuis longtemps mais ont toujours préféré se le cacher. Or, il y a beaucoup de socialistes élus dans ce genre de circonscriptions populaires. Ce qui les angoisse complètement ! Ce parti n'a plus de base populaire, a à peine plus de militants que d'élus… Un parti qui n'a plus de cohérence, plus de conviction, qui ressemble à ce qu'était le PS de Guy Mollet. Or, comment la gauche a ressuscité ? Mitterrand a du tuer le Parti Socialiste et en créer un autre. Je crois qu'aujourd'hui le Parti Socialiste est dans un tel état de décrépitude, se vidant de son sang, que la seule solution serait de le dissoudre pour créer quelque chose de tout à fait neuf.

Bertrand Rothé : Selon moi, la gauche est dans le déni. C’est exactement comme si je surprenais un élève en train de tricher, que je lui touchais l’épaule et que l’élève me répondait directement : "Ce n’est pas moi monsieur, je ne suis pas en train de tricher !". La gauche réagit de la même manière. Plus ils sont à droite, plus ils ont besoin de dire qu’ils sont de gauche. Néanmoins, je n'ai pas le sentiment que la gauche critique quoique ce soit. Ils se prétendent peut être plus à gauche, mais je n'y vois pas une forme de critique quelconque. A mes yeux, quand tous les ministres se trouvent contraints et forcés de dire de Manuel Valls qu'il s'agit d'un homme de gauche, c'est bien la preuve qu'il s'agit, de facto, d'un homme de droite. S'il était de gauche, il n'y aurait pas besoin de le dire.

Que penser de la conception de la démocratie qui en découle ?

Jean-François Kahn : Ce qui se passe est surréaliste, et quelque part assez lamentable. Pour autant, on est peut-être de renouer avec ce qui devrait être la démocratie. Ce qui n'était absolument pas normal, scandaleux et n'aurait pu exister dans aucun autre pays, c'est que le Président de la République peut imposer une politique totalement inverse à celle sur laquelle il ait été élu sans que les députés qui l'ont fait élire protestent. Il n'est aucun autre pays en Europe ou cela pourrait se passer. Ce qu'il se passe aujourd'hui, et même si cela se passe pour une mauvaise raison, c'est que les députés reprennent du poil de la bête, font revivre le Parlement. Quelque part, ils rééquilibrent le pouvoir… Ce n'est pas suffisant, mais ça réintroduit un peu de démocratie dans un système qui n'en avait plus du tout.

Bertrand Rothé : La démocratie est coincée et c’est bien là le drame de notre système. Aujourd'hui, on réalise et il se révèle progressivement que le PS fait la même politique que l'UMP, et l'UMP la même que le PS. Ce manque de choix est au cœur même du blocage démocratique que connait le système. Puisque la démocratie c'est la multiplication des possibilités, l'absence d'alternative réelle – exception faite des extrêmes qui peuvent représenter un refus de la démocratie – mène forcément vers un blocage dangereux. Et j'ai, aujourd'hui, le sentiment que nos choix sont de plus en plus ténus. Auparavant on avait le choix entre plusieurs idées, plusieurs personnages, plusieurs histoires. C'est quelque chose qui disparait aujourd'hui. La démocratie disparait dans les partis de gouvernement.

La fronde contre Valls est-elle finalement le symptôme d'un mal beaucoup plus profond ? Sur quoi pourrait-il déboucher si on ne le traite pas (et est-ce d'ailleurs seulement possible) ?

Jean-François Kahn : A mon sens, cette fronde contre Valls est un cache-sexe. Un trompe l'œil. C'est une fronde contre François Hollande, mais ils n'osent pas le dire. Dire que le coupable c'est François Hollande, quand on est socialiste, c'est dire qu'il faut écarter le Président de la République, et c'est quelque chose de compliqué. On peut voter une motion de censure contre le Premier ministre, mais dans notre système institutionnel – dont je rappelle qu'il n'est pas démocratique – vous ne pouvez pas évincer le Président ! Quand Berlusconi est devenu une catastrophe, il a été possible de l'éjecter. De même quand Tony Blair est devenu un poids pour les Travaillistes anglais,  ils ont su s'en débarrasser. Chez nous, le Président, une fois qu'on l'a, on l'a. Dès lors, ils se défaussent et s'en prennent à Valls, mais c'est Hollande qui est mis en cause. Pour autant je pense qu'ils voteront tout de même la confiance au gouvernement. C'est un piège parce que l'exécutif ne changera pas de ligne, et fera semblant tout au plus. Si aux Européennes, on assiste à un nouveau carnage, de plus en plus de socialistes voteront contre le gouvernement.

Bertrand Rothé : Il est primordial de rester méfiant : on finira malheureusement par avoir un parti extrémiste au pouvoir ; quelqu’un qui sortira du jeu politique, démocratique… Le Front National gagne de plus en plus de terrain et connait, on l'a vu, une montée. J'aurais préféré une alternative de gauche, mais je ne pense pas un instant que Jean-Luc Mélenchon représente une alternative. Et s'il n'est pas protectionniste, je ne pense pas pour autant que nous soyons prêts à faire une pause dans cette mondialisation qui nous est pourtant imposée, qu'on subit. On risque d'aller droit dans le mur.

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