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La montée des partis anti-européens peut-elle paralyser l'UE ?
©Reuters

Gronde

Une étude de l'Ifop révèle que les Français sont de plus en plus eurosceptiques. Dans le même temps, les intentions de vote en faveur des partis anti-européens ne cessent de progresser.

Philippe Braud

Philippe Braud

Philippe Braud est un politologue français, spécialiste de sociologie politique. Il est Visiting Professor à l'Université de Princeton et professeur émérite à Sciences-Po Paris.

Il est notamment l'auteur de Petit traité des émotions, sentiments et passions politiques, (Armand Colin, 2007) et du Dictionnaire de de Gaulle (Le grand livre du mois, 2006).

 

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Atlantico : A l'approche des élections européennes, les intentions de vote en faveur des partis anti-européens ne font que progresser (voir ici), et ce dans la plupart des Etats membres. Selon une étude de l'Ifop, 52% des Français estiment que le fait d'appartenir à l'Europe est une mauvaise chose. Comment expliquer cet euroscepticisme ?

Philippe Braud : D’après les sondages les plus récents la progression des eurosceptiques depuis 2009 est en effet très sensible. En France comme au Royaume Uni, plus de 70% des sondés (IFOP, janvier 2014…) disent vouloir exprimer leur méfiance à l’égard de l’Europe, de même qu’une majorité d’Allemands et d’Italiens (respectivement 50% et 52%).

Dans de nombreux pays, les eurosceptiques vont faire élire des représentants au Parlement européen. Mais il faut préciser deux points très importants qui relativisent fortement l’impression spontanée que peuvent donner ces chiffres. D’abord le fait que, sauf au Royaume-Uni, les enquêtés se déclarent en même temps favorables (à plus de 60%) à des mesures qui favorisent une intégration croissante (élection d’un chef d’Etat européen au suffrage universel, création d’un ministère européen de l’Economie et des Finances, armée européenne….).

La méfiance affichée à l’égard de l’Europe est avant tout un mouvement d’humeur qui n’est pas sans analogie avec la vitupération classique de l’Etat et de la bureaucratie budgétivore. Mais qui voulait réellement la suppression de l’Etat ? Il s’agit donc avant tout d’une mouvance protestataire dont la montée est provisoirement alimentée par la crise économique et les politiques d’austérité. L’Europe est le bouc-émissaire de difficultés qui ont bien davantage leur source dans la faiblesse de certains gouvernements nationaux, en France, en Italie, en Espagne, voire dans la corruption massive comme en Grèce ou à Chypre.

Les réformes nécessaires sont impopulaires mais la sortie de crise qu’elles permettent déjà d’entrevoir, contribuera à assécher une partie de ce vote protestataire. Second point important : s’il existe, c’est vrai, un réel sentiment de déperdition de l’identité nationale, du fait de l’accroissement continu de l’intégration européenne, ce sentiment de perte affecte essentiellement les catégories sociales les moins dynamiques au niveau économique, les moins bien armées au niveau culturel, les plus passéistes au niveau politique. Ce ne sont pas elles qui font l’Histoire. Elles n’en sont que les spectatrices affligées.

Peut-on supposer que si les partis anti-européens "adhèrent" au processus électoral européen, c'est parce qu'ils sont mus en sous-main par la volonté de rendre l'Union européenne inopérante, et de prospérer auprès de l'opinion publique sur l'inefficacité des institutions ainsi générée ?

Les partis les plus vigoureusement eurosceptiques ont en fait deux stratégies : obtenir la sortie de leur pays de l’Union européenne et, en attendant, bloquer autant que faire se peut, le fonctionnement de ses institutions. En réalité, seule la première stratégie peut donner quelque résultat, et, d’ailleurs, dans un seul pays actuellement. Il s’agit du Royaume Uni où la pression de l’UKIP sur les Conservateurs a obtenu du gouvernement Cameron la promesse d’un referendum à hauts risques pour le maintien de la Grande Bretagne dans l’Union. Mais paradoxalement la réussite de l’UKIP affaiblirait gravement au Parlement européen le camp des eurosceptiques puisqu’elle impliquerait le départ des Britanniques.

Quant à la seconde stratégie de blocage, elle risque fort d’être inopérante. Les eurosceptiques peuvent élever la voix au Parlement de Strasbourg mais ils sont condamnés à y demeurer clairement minoritaires. En revanche, leur présence « tribunicienne » aura des côtés bénéfiques. D’abord parce qu’elle obligera les dirigeants européens à mieux écouter les peurs et les frayeurs des oubliés de la construction européenne. La politique de Bruxelles ne peut pas être uniquement « économiste » ; elle doit tenir compte des émotions et des sentiments, même et surtout quand ils sont déraisonnables. Cela exige une pédagogie de la démagogie. Autre bénéfice de la représentation parlementaire des eurosceptiques : elle les contraint à publier leurs propres propositions ou à paraître stériles. C’est, à terme, semer les germes d’un divorce entre ceux qui demeureront attachés à des solutions impraticables (sortie de l’euro par exemple) et ceux qui apprendront le sens des réalités au contact permanent des institutions.

Existe-t-il selon vous un seuil de popularité au-dessus duquel ces partis sont incapables de s'élever dans l'opinion publique ? L'idéal européen est-il suffisamment ancré dans les esprits pour empêcher une réelle percée ?

Il est difficile de répondre à cette question du seuil ou, plutôt, je la reformulerais dans des termes un peu différents. Les partis les plus anti-européens ne pourront que décliner à partir du moment où, ayant acquis suffisamment d’influence sur les Pouvoirs Publics (nationaux ou européens), ils seraient capables d’inspirer des mesures concrètes. Leurs effets sur les équilibres économiques et le niveau de vie des populations seraient tellement catastrophiques que ces partis seraient rapidement abandonnés du gros de leurs électeurs. En revanche, je ne crois pas que ce soit l’attachement aux idéaux européens qui constitue encore le principal barrage à la démagogie anti-européenne. Ce sont bien plutôt les intérêts à poursuivre cette construction, du fait du niveau d’imbrication des économies européennes. L’Europe, désormais, ne peut être défaite que dans un effondrement économique général avec, pour conséquence, un recul du niveau de vie qui nous ramènerait aux années cinquante du XXe siècle.

Les grands partis font souvent campagne au niveau national en jouant sur la peur générée par les partis anti européens et d'extrême droite. Auraient-ils intérêt à user de ce même levier pour inciter les électeurs à participer aux Européennes ? Cela pourrait-il contribuer à renforcer l'affluence dans les bureaux de vote ?

La peur est en effet un puissant levier électoral. Mais, loin de toute démagogie, il suffit de tenir un langage de raison pour faire réfléchir sur les risques immenses d’un détricotage de la construction européenne. Et les grands partis ont tort de craindre exagérément des scores élevés du Front national ou du Front de gauche en 2014. Leur impuissance à construire apparaîtra très vite si ces partis sans programme crédible sont mis au pied du mur. Après tout, au lendemain de la Libération, le Parti communiste a frôlé en France les 30% de suffrages, avec les résultats stériles que l’on sait.

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