Tous ces dossiers sur lesquels la ligne de partage Montebourg Sapin sera nécessairement beaucoup moins claire que toutes les proclamations du contraire<!-- --> | Atlantico.fr
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Arnaud Montebourg
Arnaud Montebourg
©Reuters

Qui est à la barre ?

Deux hommes pour remplacer Pierre Moscovici au poste de ministre de l'économie et des finances, il n'en fallait pas plus pour jeter le trouble dans la manière dont les dossiers seront traités.

Jacques Sapir

Jacques Sapir

Jacques Sapir est directeur d'études à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), où il dirige le Centre d'Études des Modes d'Industrialisation (CEMI-EHESS). Il est l'auteur de La Démondialisation (Seuil, 2011).

Il tient également son Carnet dédié à l'économie, l'Europe et la Russie.

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Atlantico : A la suite du remaniement décidé par François Hollande, Michel Sapin, anciennement ministre du Travail, se retrouve à la tête des finances, tandis qu’Arnaud Montebourg voit ses compétences élargies à l’économie. Cette division des tâches risque-t-elle de porter préjudice à leur action ministérielle, contrairement à l’image d’unité que tous deux tentent de dégager ? Pourquoi ?

Jacques Sapir : Le principe d’une division du Ministère de l’économie et des finances à fait l’objet d’un long et ancien débat en France, mais aussi dans d’autres pays européens. On constatera qu’en Allemagne aussi, dans le nouveau gouvernement issu des élections, il y a une division entre l’économie (confiée à un représentant du SPD) et les finances qui sont restées sous la houlette du ministre libéral (FDP) de l’ancien gouvernement. Cette division a un sens : celui de soustraire l’économie à la dictature de l’immédiateté que représente les finances. Ceci est cohérent avec l’idée que l’économie doit être pensée sur un horizon dépassant le cadre budgétaire annuel, et qu’elle doit pouvoir mettre en œuvre des projets de moyens et long terme. Dans cette logique, le Ministère des finances n’a pas d’autres fonctions que d’alimenter en moyen celui de l’économie. Mais, si l’on veut être logique, il faut alors confier le portefeuille des finances, qui s’apparente dès lors à un super-ministère du Budget, à un ministre dont le poids politique sera mineur, en fait à un technicien. Or, c’est tout le contraire qui a été fait. En confiant les finances à Michel Sapin le Président réaffirme dans les faits la primauté de cette logique comptable et court-termiste. On peut discuter pour savoir si c’est réellement nécessaire. Mais il est, en tous les cas, malhonnête intellectuellement de procéder à cette division tout en en annulant les effets et en renforçant en réalité le poids des finances face à l’économie. François Hollande et Manuel Valls envoient donc en apparence un message de rupture avec la politique précédente, mais c’est pour, dans la réalité, en renforcer les orientations les plus discutables, soit la soumission des projets concernant l’économie et l’industrie à la logique purement comptable.

La direction du Trésor devrait se partager entre les deux. A quels problèmes cela pourrait-il donner lieu dans son fonctionnement ?

Actuellement, la Direction du Trésor est en réalité une Direction Générale du trésor et de la Prévision Économique (DGTPE). Une forme simple et claire de division serait justement de ressusciter la Direction de la Prévision Économique, de la séparer de l’INSEE dont l’influence, en raison des modèles de prévision utilisés et qui sont obsolètes, s’est révélées néfaste et de la confier au Ministère de l’Économie. Cette Direction de la Prévision, en s’appuyant sur les ressources universitaires qui existent, pourrait alors s’attaquer de manière plus réaliste à la prévision, et faire des scénarii testant les différentes options de politique économique. Ce serait même une contribution importante au débat démocratique en France que de rendre ces scenarii publiques. La Direction du Trésor devrait se contenter de faire des projections budgétaires sur la base des différents scénarii. Cependant, il est peu probable que cela soit le schéma que l’on adopte. En effet, Michel Sapin est un homme suffisamment intelligent pour comprendre que qui dispose de l’information et de la prévision dispose en réalité du pouvoir. Compte tenu du levier politique dont il bénéficie, et tout le monde connaît sa proximité avec le Président, il fera tout pour garder sous son contrôle l’essentiel des moyens de prévision. Or, faute de ces moyens, le Ministère de l’Économie verra sa capacité à s’extraire du court terme très sérieusement réduite.

Qu’en est-il de l’Agence des participations de l’Etat, qui chapeaute les entreprises publiques ? A qui revient-il logiquement de la diriger ?

Normalement, l’Agence des participations d’État devrait revenir à Arnaud Montebourg. La logique même voudrait qu’il ait entre les mains ce puissant instrument d’influence de l’économie si l’on veut qu’il puisse concevoir et appliquer une politique de moyen et long terme. Il serait cohérent qu’il puisse intégrer à une politique industrielle retrouvée et rénovée la puissance des entreprises publiques. Mais, une telle politique se heurtera immédiatement aux orientations et aux politiques de Bruxelles. Il est donc à craindre que l’on ne lui confie pas cet instrument pourtant indispensable, tant pour éviter de nouveaux conflits avec la Commission que pour limiter son pouvoir. J’aurais, pour la part, fait de la précision des fonctions de cette Agence et de son attribution pleine et entière au Ministère de l’Économie l’une des conditions minimales pour accepter le poste de ministre de l’Économie. Nous verrons ce qu’il en sera dans les jours qui viennent.

Le projet de loi de séparation bancaire qui sera présenté par le commissaire européen Michel Barnier en janvier, qui pourrait diminuer la capacité des banques françaises à financer l’économie, risque-t-il de faire débat entre les deux ministres ?

Il est inexact de dire que le projet de séparation bancaire va réduire la capacité des banques françaises à financer l’économie. Au contraire, cette séparation aurait dû être plus profonde et plus radicale que ce que prévoit la directive européenne. Ce qui limite profondément la capacité des banques françaises à financer l’économie, c’est leur soumission aux marchés financiers, aux règles de rentabilité qui en découlent, et ce sont les mesures organisant une concurrence trop forte. Le contrôle sur les établissements bancaires ne doit pas être laissé à la concurrence, dont on a vu l’effet pervers en 2006-2007 lors du début de la crise financière, mais doit au contraire passer par une réglementation stricte assurant la prééminence de l’État sur les choix stratégiques. L’épargne française est en réalité excédentaire. Plutôt que de la laisser s’investir sur les marchés financiers, il faut la réorienter de manière réglementaire vers le financement de l’investissement industriel et de l’investissement en infrastructures publiques. Mais, pour qu’un tel système soit cohérent, il faudrait qu’il puisse être adossé à une Banque Centrale qui soutiendrait elle aussi une telle politique. Il faudrait que la Banque Centrale puisse racheter à des taux spécifiquement bas les effets des banques qui sont liés au financement de l’investissement, que ces effets soient induits par des activités privées ou par des atcivités publiques. Or, le soutien à l’investissement est le cadet des soucis de la BCE. C’est en cela que la directive "Barnier"  va s’avérer nocive, et non pas en organisant une séparation entre les activités bancaires.

Quels autres « sujets chauds » vont amener les deux ministres à se marcher sur les pieds ? Qu’est-ce que cela laisse augurer pour la suite de l’action gouvernementale ?

Les sujets seront multiples. Déjà, confier à Michel Sapin le soin de représenter la France dans l’Eurogroupe signifie que l’on va continuer de capituler, encore et toujours. Fondamentalement, si l’on veut changer le cours de choses, si l’on veut réellement inverser de manière profonde et durable la courbe du chômage, il faut mettre les finances sous la coupe de l’économie. Il faudrait en réalité nommer au Ministère de l’Économie un « dictateur » (au sens romain du terme, ou je rappelle que le terme désigne un dirigeant dont les pouvoirs sont extraordinaires mais dans un but précis et pour un temps limité) avec tous les pouvoirs, qu’ils soient économiques (et cela concerne la politique industrielle), financiers et monétaires. La politique de change, avec la possibilité de déprécier le cours de la monnaie, devrait faire partie du portefeuille de ce « dictateur ». Je ne doute pas qu’Arnaud Montebourg ait les qualités pour assumer une telle fonction. Mais, ce principe est aux antipodes de la politique pensée et voulue tant par François Hollande que par Manuel Valls.

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