Un "front populaire écologiste" : une alliance politiquement irréaliste<!-- --> | Atlantico.fr
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Depuis les municipales, un certain rapprochement s'est opéré entre les Verts et la gauche de la gauche. Photo : Barbara Pompili.
Depuis les municipales, un certain rapprochement s'est opéré entre les Verts et la gauche de la gauche. Photo : Barbara Pompili.
©Reuters

Copains mais pas trop

Si des sensibilités communes existent entre EELV et le Parti de gauche, les intérêts défendus restent trop différents pour que, comme l'évoque Libération, une "majorité alternative" se mette en place.

Daniel Boy

Daniel Boy

Daniel Boy est directeur de recherche (FNSP) au CEVIPOF et enseignant au master de Sciences Po notamment en analyse quantitative des données.

Ses recherches se sont développées dans trois domaines : la sociologie électorale, l’écologie politique en France et en Europe, les relations entre science, technique et société.

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Atlantico : Depuis les municipales, un certain rapprochement s'est opéré entre les Verts et la gauche de la gauche, qui ont même présenté des listes communes. Avec la sortie d'EELV du gouvernement, et les appels du pied de Mélenchon, doit-on s'attendre à la "majorité alternative" dont parlait Libération en mars (voir ici) ? S'agit-il d'un scénario crédible ?

Daniel Boy : C'est difficile à croire. En premier lieu, il faut distinguer le local du national. Il y a effectivement des accords locaux entre le Front de Gauche et les Ecologistes, qui donnent souvent d'assez bons résultats. Il y a donc localement des clientèles électorales susceptibles de s'associer et de s'allier. Quand on se penche sur les adhérents, essentiellement, d'Europe Ecologie Les Verts, on s'aperçoit qu'une partie d'entre eux pensent très à gauche, nettement plus que le Parti Socialiste. Certains sont plus proches de la façon dont Mélenchon, notamment, voit les choses et qui pourraient être tentés de réaliser cette alliance.

Le problème se situe au niveau national. Que signifierait-elle ? En quoi constituerait-elle une majorité ? Ou se situerait cette majorité ? On compte quelques vagues députés PC (et pas Front de Gauche) à l'Assemblée Nationale, et tout juste 18 députés Verts. Ils vont faire une alliance, ces gens ? Pour faire quoi ? Une majorité parlementaire ? C'est un rêve, une utopie. Ça n'est pas possible. Ils peuvent, au mieux, faire une minorité de blocage face au Parti Socialiste. Une majorité culturelle ? Elle ne s'incarnerait pas véritablement dans des comportements ou des actes. D'autant plus que les clientèles électorales d'Europe Ecologie Les Verts et du Front de Gauche sont très différentes. Du côté d'EELV, on a une population électorale au niveau culturel élevé, éduquée, urbaine… Du côté du Parti Communiste et du Front de Gauche on tend davantage vers une clientèle ancienne, âgée, en banlieue et en milieu rural… Il n'y a rien à voir avec l'écologie politique. Pas le moindre rapport. L'idée d'alliance ne peut se faire qu'avec une partie du Parti de Gauche (pas du PC) et une partie d'Europe Ecologie Les Verts. Ce qui limite sérieusement les choses.

Quels sont les points qui permettraient un rapprochement ? Au-delà de l'appartenance à la même famille (qui semble aujourd'hui très divisée), quels sont les dénominateurs communs ?

On retrouve tant chez les Ecologistes que chez le Parti de Gauche un certain radicalisme politique, qui se traduit par une position divergente de celle du Parti Socialiste, qui se cristallise sur le pacte de responsabilité, aujourd'hui. L'alliance intellectuelle entre le Parti de Gauche et les Ecologistes se fonderait donc sur ce refus du pacte de responsabilité, vu comme un cadeau indu au patronat. C'est du moins ce qu'on entend chez les adhérents – de gauche – d'EELV et chez les adhérents – de gauche également – du parti de Jean-Luc Mélenchon.

Le scepticisme quant à l'Europe est également un aspect qui pourrait rapprocher ces deux formations politiques. Notamment en raison d'une certaine forme de souverainisme (différente de celle prônée par le FN, qui correspond à un souverainisme nationaliste) quant aux contraintes économiques et mesures libérales imposées par Bruxelles. Si alliance intellectuelle il y a, c'est sur ces thèmes-là qu'elle devrait se forger. On peut noter aussi que le Front de Gauche a tâché de créer une plus grande ouverture écologique dans ses thèmes de réflexions, cependant des divergences demeurent : dans le Front de Gauche on trouve le PC, qui soutient encore le nucléaire. Cette dissension interne au Front de Gauche pose évidemment un gros problème aux Verts qui se sont déjà exprimés vis-à-vis du nucléaire.

Pour autant, le PCF et EELV ont déjà accusé des désamours, comme en 2011. S'agirait-il d'une alliance durable, ou au contraire aurait-elle tôt fait d'exploser en vol ?

Je ne crois pas à cette alliance. Il y aurait beaucoup trop de tensions sur des thèmes majeurs (au moins aux yeux d'Europe Ecologie Les Verts) comme le nucléaire. Une telle alliance, si elle se faisait,  ne pourrait définitivement pas durer. Il serait impossible de la maintenir, à moins d'en faire une alliance purement culturelle et intellectuelle entre une fraction d'EELV et une fraction du Parti de Gauche.

Comme je le disais tout à l'heure, trop de dissensions demeurent, la principale étant la croissance et des modalités qui y sont liées. Le PC est soutenu par la CGT qui ne veut pas entendre parler d'une réduction du programme dans le domaine du nucléaire, puisqu'elle y est très largement implantée. Tout comme elle refuse d'entendre parler de la fermeture de la centrale de Fessenheim. C'est un schisme considérable. Quand Mélenchon tend la main, il n'est pas naïf. Il cherche une alliance avec une fraction des Verts qu'il considère comme radicale. Mais il sait qu'il n'obtiendra pas des sièges, des circonscriptions, ou un soutien très appuyé au Parlement. C'est une complicité intellectuelle rien de plus.

Est-ce que ce rapprochement concerne tout EELV ? N'y a-t-il pas un risque pour eux, au vu des personnalités qui composent le parti, d'une scission interne ou d'un divorce ?

Si cette alliance – que je ne crois pas possible – avait quand même lieu, il y aurait sans le moindre doute une scission au sein d'Europe Ecologie les Verts. Traditionnellement, au sein du parti, il y a une composante environnementaliste assez forte.  Certes, et bien évidemment, la majorité d'Europe Ecologie Les Verts est à gauche, mais on compte encore une partie non négligeable dont l'essence est environnementaliste. Pas sociale ou sociétale. A cette partie-là, un accord avec la gauche ou l'extrême gauche ne conviendrait pas du tout. C'est l'environnement qui leur importe, pas la gauche. Pour autant, il est difficile à dire avec précision qui, chez les Verts, serait opposé à cette alliance. Le courant waechterien n'existe plus en tant que tel, et la tradition de cette liste waechterienne – environnementaliste, pour dire les choses rapidement –  n'existe plus non plus. Les environnementalistes ne se découvrent plus. Des personnes comme Cécile Duflot ou Emmanuelle Cosse sont plutôt sur une ligne de gauche. Elles ne seraient donc probablement pas gênées par un accord. Néanmoins, il est important de rappeler qu'elles n'ont fait aucun mouvement dans le sens de celui-ci. Il y a sans doute une forme de sympathie intellectuelle avec Mélenchon, il n'empêche qu'ils ont été extrêmement prudents dans leur rapport avec ce dernier.

Concrètement, qu'est-ce qu'apporterait une alliance pareille au paysage politique Français ? Le PS en souffrirait-il ? Quel impact sur notre politique ?

L'impact serait de toute façon minime. Ca ne correspondrait qu'à une confirmation de ce qui se sait d'ores et déjà, à présent: les Verts ne seraient plus dans la majorité, n'appartiendraient plus à l'alliance avec le Parti Socialiste. Or c'est ce qui est en train de se passer, cela ne changerait donc pas grand-chose. Cela confirmerait également le fait que Mélenchon est dans l'opposition, ce qui encore une fois ne changerait pas grand-chose.  Le Parti Socialiste serait vraisemblablement très en colère, mais ça ne changerait rien au problème. Il ne le serait de toute façon que sur le principe : ça n'aurait pratiquement aucune influence pour lui.

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