Des "boulots qui ne sont pas forcément payés au smic" pour réduire le chômage : les situations dans lesquelles le salaire minimum se retourne contre les moins favorisés<!-- --> | Atlantico.fr
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Les conditions de travail sont précaires pour les moins favorisés.
Les conditions de travail sont précaires pour les moins favorisés.
©Reuters

A revoir !

L'ancien directeur général de l'OMC Pascal Lamy, avec ses dernières déclarations sur le blocage que représenterait le SMIC pour l'emploi, relance le sujet de sa viabilité en l'état. Trop élevé et discriminatoire pour une partie de la population qui y stagne, il serait un point noir pour la compétitivité française.

Gilbert  Cette

Gilbert Cette

Gilbert Cette est professeur d’économie à NEOMA Business School, co-auteur notamment avec Jacques Barthélémy de Travail et changement technologique - De la civilisation de l’usine à celle du numérique (Editions Odile Jacob, 2021). Son dernier livre s'intitule Travailleur (mais) pauvre (Ed. DeBoeck, à paraître en février 2024).

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Atlantico : D'après les propos de Pascal Lamy sur la chaîne LCP mercredi dernier, le SMIC constitue un blocage pour l'emploi. Selon lui, "un petit boulot, c'est mieux que pas de boulot"Le salaire minimum nuit-il à l'emploi ?

Gilbert Cette : Un salaire minimum est indispensable. De nombreux salariés n’ont aucun pouvoir de négociation salariale, en particulier dans les petites entreprises, ou les emplois à domicile. Mais un salaire minimum trop élevé peut nuire à l’emploi des personnes les moins qualifiées. Et le salaire minimum français est l’un des plus élevés au monde. Tous les bords politiques sont en France convaincus de ce possible effet préjudiciable pour l’emploi, puisque les allègements de charges sociales ciblés sur les bas salaires, qui visent donc à atténuer le haut niveau du SMIC en France, ont été maintenus et même amplifiés par les gouvernements successifs sur les deux dernières décennies. Le pacte de responsabilité pourrait même amplifier encore ces allègements ciblés !

Quels en sont les principaux travers ? Que nous apprend l'histoire économique à cet égard ?

Le SMIC est homogène sur tout le territoire, alors que les niveaux de prix diffèrent fortement d’une région à l’autre. Il est le même pour les jeunes, alors que ces derniers ont de grandes difficultés d’insertion et que d’autres pays, comme par exemple les Pays-Bas, ont pour cette raison fait le choix d’un salaire minimum un peu plus bas pour les jeunes. Par ailleurs, la formule de revalorisation du SMIC est très contraignante en France, comparée à celle des salaires minimum dans d’autres pays. Enfin, le SMIC est un dispositif inefficace pour lutter contre la pauvreté, cette dernière étant principalement liée au nombre d’heures travaillées dans l’année et aux charges familiales. Le RSA est par exemple un dispositif beaucoup plus efficace pour lutter contre la pauvreté, et par exemple contre la pauvreté des familles et des enfants… Toutes ces questions devraient pouvoir être abordées sereinement, sans a priori. Mais hélas, ce sujet suscite les passions et les positions démagogiques.  

En quoi le SMIC peut-il créer un cloisonnement sur le marché du travail ? Quelles sont les catégories de travailleurs qui sont le plus touchées par cette problématique ? 

Le problème n’est pas qu’un salarié soit au SMIC, le problème est qu’il y reste… De trop nombreux salariés n’ont aucune perspective salariale, et peuvent légitimement désespérer à l’idée de demeurer durablement au SMIC. C’est une question sur laquelle il faudrait se pencher sérieusement, avec l’objectif de développer la mobilité sociale et salariale. Par la formation professionnelle, en particulier. Mais ce débat sérieux est hélas souvent occulté par l’autre débat, souvent très idéologique, sur le niveau du SMIC.

Une suppression du SMIC est-elle envisageable aujourd'hui ? Pourra-t-elle influer sur le chômage ? Quels seraient les gains économiques et sociétaux ?   

Une suppression du SMIC n’est pas souhaitable. Elle amorcerait une catastrophe sociale, avec le développement rapide d’une terrible pauvreté laborieuse. Le Royaume-Uni a introduit un salaire minimum en 1999 pour éviter ce risque. Début 2015, l’Allemagne va aussi introduire un salaire minimum pour réduire la pauvreté laborieuse qui s’était développée, par exemple sous la forme de mini-jobs. Le SMIC doit être profondément réformé en France, mais son existence est indispensable.

Quelles seraient les principales orientations souhaitables d’une réforme du SMIC ?

Tout d’abord, la revalorisation du SMIC doit être profondément réformée, pour être moins automatique et résulter davantage d’une expertise de la situation globale du marché du travail. Transitoirement, il devrait être gelé, et les économies de réductions de charges sociales que ce gel générerait pourraient être mobilisées pour développer des dispositifs comme le RSA, afin de lutter plus efficacement (et sans dépenser plus) contre la pauvreté. Ensuite, il faut se poser la question de la relation entre le SMIC et l’insertion des jeunes et de celle d’un SMIC uniforme alors que les niveaux de prix diffèrent d’une région à l’autre. Enfin, la question de la formation et des perspectives salariales des actifs les moins qualifiés doit être posée.   

Qu'est-ce que le SMIC fait perdre à la croissance au titre du "juste" ?  

Il n’est pas exclu que le SMIC, tel qu’il existe, joue un rôle non négligeable dans le déclin continu de la compétitivité française. Mais cette analyse de l’impact du SMIC est complexe. Ce qui est sûr est que son niveau élevé a un impact faible sur la pauvreté mais aboutit actuellement, pour en neutraliser les effets préjudiciables à l’emploi, à 20 milliards d’euros de dépenses annuelles (les allègements de charges), peut-être plus bientôt. C’est beaucoup…

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