Mais qu'est-ce qu'être de gauche dans la tête de ceux qui voient en Manuel Valls un homme de droite ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le nouveau Premier ministre Manuel Valls.
Le nouveau Premier ministre Manuel Valls.
©Reuters

Redéfinition de la gauche

Pour "la gauche de la gauche", le nouveau Premier ministre Manuel Valls ne correspondrait ni à leurs dogmes économiques, ni à leurs dogmes sociétaux. Une situation qui met en lumière un ancien clivage réformiste/révolutionnaire au sein de la gauche qui n'est pas prêt de s'éteindre.

Laurent Bouvet

Laurent Bouvet

Laurent Bouvet est professeur de science politique à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Il a publié Le sens du peuple : La gauche, la démocratie, le populisme (2012, Gallimard) et L'insécurité culturelle (2015, Fayard).

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Atlantico : En quittant le ministère de l'Ecologie, Philippe Martin a remercié "Jean-Marc Ayrault, un premier ministre socialiste, et de gauche", sous-entendant, comme d'autres dans les rangs socialistes, que Manuel ne l'était pas, de gauche. Mais qu'entendent-ils par "être de gauche" ?

Laurent Bouvet : Je ne suis pas certain que Philippe Martin ait voulu sous-entendre que Manuel Valls ne soit pas de gauche ! Être de gauche, dans le sens que vous indiquez ici, cela veut dire essentiellement mener une politique économique et sociale plus redistributive que ne le fait la droite, à l’aide de la fiscalité, tout particulièrement.

En quoi Valls les dérange-t-il ? Sur quels désaccords idéologiques repose le jugement que portent ceux qui à gauche font un procès en anti-socialisme au nouveau Premier ministre ?

Je ne sais pas si Valls « dérange » tel ou tel au PS dans le sens où vous l’entendez. A côté du PS, oui, incontestablement, car il est considéré à la fois comme trop « réformiste » sur les questions économiques et sociales voire tout simplement comme « social-libéral », et comme trop « républicain » sur les questions dites de société, les « valeurs ». Et ça, ça gêne visiblement certains responsables et militants de ce que l’on a pris l’habitude d’appeler la « gauche de la gauche » ou encore chez les écologistes. Car ils sont à la fois plus étatistes sur l’économie et libéraux sur le plan des « valeurs » culturelles ou de l’immigration par exemple. Ce qui d’ailleurs ne va pas sans poser quelques difficultés de cohérence idéologique vis-à-vis du libéralisme ! Comment en effet peut-on être à la fois libéral et antilibéral ?

En quoi Manuel Valls serait-il de droite ?

Précisément parce qu’aux yeux de ces groupes à « gauche de la gauche », il ne correspond ni aux dogmes économiques ni aux dogmes « sociétaux » de ces groupes. Il est d’ailleurs l’objet de la part de certains à l’extrême-gauche d’une véritable haine puisqu’aussi bien en politique que dans la presse qui vient de ce coin de l’échiquier politique, certains n’hésitent pas à dire qu’il représente un plus grand danger que Marine Le Pen !

Son positionnement sur les questions économiques est-il véritablement hors du champ de la gauche ? Comment expliquer qu'il fasse tant débat dans les rangs socialistes ? 

Qu’il y ait du débat sur les questions économiques au PS, ce n’est pas d’aujourd’hui. Relisez par exemple les échanges entre rocardiens et mitterrandistes ou chevènementistes dans les années 1970. Ce qui est compliqué à comprendre pour des militants en particulier, et plus généralement à l’extrême-gauche, c’est qu’il puisse y avoir, en matière économique comme pour le reste, un certain pluralisme. Et de là qu’il puisse y avoir des débats d’orientation, des choix politiques. Pour imposer la sienne d’orientation, il faut gagner la bataille politique, devant les militants, devant les électeurs. Or, jusqu’à aujourd’hui, la « gauche de la gauche » a eu beau prétendre qu’elle avait raison, qu’elle était la seule « vraie » gauche et qu’être de gauche c’était comme ça et pas autrement, il ne me semble pas qu’elle ait jamais pu gagner une majorité ni au PS ni devant les Français pour démontrer la véracité de son propos.

La politique, ce sont des idées, des idéaux même, que l’on peut légitimement défendre, et dont on peut même croire qu’ils sont « vrais » ou « justes », mais ce sont aussi, en démocratie du moins, des réalités électorales. Et convaincre les électeurs fait partie du travail. Sans électeurs, sans souveraineté du peuple, les meilleures idées restent très théoriques.

Favorable au mariage pour tous, à l'homoparentalité, à l'euthanasie, à la PMA et GPA... que dire de son positionnement idéologique sur les questions sociétales ? Ne se classe-t-il pas à gauche sur ces questions-là ?

Je ne suis pas certain que Manuel Valls soit favorable à tout ce que vous annoncez ici ! Sur ces questions, être de gauche ou non relève d’un positionnement très difficile à établir, surtout si l’on croise des réponses positives et négatives aux différents items proposés. Il faudrait dans ce cas-là parler davantage de progressiste et de conservateur par exemple. Et cela ne recouvre que partiellement, sans d’ailleurs que ça implique un jugement de valeur, le clivage droite-gauche. C’est le grand problème avec ce que l’on appelle génériquement les questions « de société » ou « sociétales ».

Peut-on dire de Manuel Valls qu'il est un authentique libéral ?

Il ne me semble pas, non. Son républicanisme me paraît largement tempérer son réformisme économique qui lui-même n’est pas un libéralisme. Le rôle de l’Etat comme régulateur de l’économie comme de la société est pour lui, me semble-t-il, bien trop essentiel pour qu’on puisse le considérer comme « libéral ». D’ailleurs, en France, on est très vite le libéral de quelqu’un ! A gauche, certains devraient se méfier d’un usage trop facile et finalement trop peu significatif de ce terme. Il est fait pour disqualifier alors qu’il beaucoup plus difficile d’emploi qu’on ne le suppose généralement.

Que révèle la levée de bouclier qu'il suscite sur le rapport d'une partie de la gauche à la modernité ?

Là aussi, attention au terme « modernité » qui a un sens général pour désigner l’évolution des sociétés occidentales en particulier depuis les XVIe ou XVIIe siècles. En tout cas, dans le sens que vous suggérez, la réaction virulente d’une partie de la gauche que j’ai évoquée plus haut à l’encontre du nouveau Premier ministre vient, pour schématiser, d’une part du vieux clivage réformiste/révolutionnaire au sein de la gauche, française en particulier. Et d’autre part d’une crainte de voir aujourd’hui disparaître, dans la mondialisation notamment, tout un ensemble de droits, par exemple, acquis grâce à la gauche historiquement, que ce soit par la mobilisation sociale ou par l’action réformiste à travers l’exercice du pouvoir.

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