Pourquoi Matteo Renzi est beaucoup plus un fantasme mal adapté à nos enjeux nationaux qu'un vrai modèle pour la France <!-- --> | Atlantico.fr
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Matteo Renzi.
Matteo Renzi.
©Reuters

Renaissance à l'italienne

Le plan de relance de l'économie italienne prévoit 10 milliards d'euros de baisse d'impôts pour 10 millions d'Italiens. Un modèle pour la France ou un trompe-l’œil non-adapté à nos enjeux ?

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : "10 milliards d'euros de baisse d'impôts pour 10 millions d'Italiens". Le plan de relance de l'économie italienne lancé par Matteo Renzi pourrait-il inspirer le nouveau gouvernement ? 

Christophe Bouillaud : Sans doute existe-t-il un parallèle au sens où, dans les deux pays, la consommation interne n'est pas particulièrement florissante, et que, dans les deux pays, il existe une demande de la part des citoyens d'une augmentation du pouvoir d'achat. Il faut souligner toutefois que, si en France, on peut parler de stagnation de la consommation intérieure, en Italie, les dernières années ont vu une baisse trés sensible des achats des Italiens en magasin. La Confcommercio (la confédération du commerce) ne cesse de sortir des chiffres alarmants, et l'ISTAT (l'organe officiel des statistiques) confirme: les Italiens consomment moins, en particulier les classes populaires et les classes moyennes, d'où l'idée de redonner un peu d'argent immédiatement au consommateur. 

Y a-t-il dans ce qu'il propose des mesures qui pourraient avoir du sens pour la France ?

Un certain nombre de mesures du gouvernement Renzi ne se comprennent bien que dans le contexte italien : par exemple, l'Etat italien accuse un retard de paiement de plusieurs dizaines de milliards d'euros vis-à-vis de ses fournisseurs privés, les deux gouvernements précédents Monti et Letta avaient essayé de débloquer des fonds pour payer les entreprises, Renzi a promis de réussir là où ils ont échoué faute de trouver l'argent. De même, Renzi a promis de débloquer des fonds pour entretenir les écoles, collèges, lycées, de la Péninsule, d'une part parce que de tels travaux ont été retardés depuis des décennies parfois, d'autre part, parce que le BTP ne se porte pas très bien en Italie (les prix de l'immobilier baissent depuis quelques années sans d'ailleurs que l'Italie ait connu de bulle immobilière comme l'Espagne ou l'Irlande). En dehors de considérations très générales sur la consommation à relancer, sur le marché du travail à rendre plus efficace, sur l'investissement public à augmenter, il faut bien souligner que les deux pays n'ont pas exactement les mêmes problèmes ! Il est donc difficile de copier ce que font les Italiens. 

Son volontarisme doit-il être une inspiration ? 

Sans doute, surtout au sens où les deux pays connaissent ce qu'on pourrait appeler la fatigue de la crise. Depuis les années 1970, ces deux pays sont en crise, avec des hauts et des bas, mais dans le fond, aucun des deux n'a réussi à retrouver durablement un modèle de croissance et de développement satisfaisant. L'actuelle longue crise commencée en 2007-2008 ne fait qu'attaquer des économies et des sociétés malades depuis des années. Matteo Renzi joue d'ailleurs beaucoup sur cet aspect pour s'imposer en soulignant qu'il n'est plus possible de procrastiner ainsi et qu'il faut enfin trouver des solutions. Manuel Valls pourrait jouer sur la même partition, en s'appuyant paradoxalement sur l'impopularité du pouvoir en place. Par ailleurs, les deux pays ont un problème avec leur insertion dans l'Union européenne: le choix de l'actuelle Commission européenne de demander toujours de l'austérité (alors qu'on se trouve aux portes de la déflation, c'est à dire de la catastrophe !) pourrait les souder contre elle. Malgré quelques velléités en ce sens, Matteo Renzi n'a pas encore attaqué vraiment le "consensus de Bruxelles", mais je parierais qu'après les européennes, il va exiger un changement à ce niveau, ne serait-ce qu'à travers la composition de la nouvelle Commission, plus sensible aux impasses de l'austérite à tout crin. Manuel Valls peut être un allié dans cette opération, d'autant plus qu'ils apparaissent tous les deux comme des hommes de centre-droit à la tête d'un gouvernement soutenu par des députés élus à gauche (le Parti démocrate en Italie, et le Parti socialiste en France), ils ne peuvent donc être soupçonnés d'avoir des idées hostiles au libéralisme, simplement ils apparaitront comme des dirigeants pragmatiques face à l'urgence, et sans doute les pays favorables à l'austérité pourront comprendre leur demande pressante comme n'étant pas le fruit d'une furie dépensière d'origine socialiste...

Vente de voitures officielles, trajets en smart, plafonnement des salaires des patrons de groupes publics... des mesures symboliques dans la veine de celles-ci pourraient-elles au moins contribuer à regagner la confiance des Français ?

Pourquoi pas? Mais là encore, il faut bien voir qu'en Italie ces thèmes des avantages indus des dirigeants politiques et du secteur public sont au centre du débat politique depuis des années, comme avec le livre best-seller La Casta (la caste) de deux journalistes stars sur les avantages des politiques. Il se trouve qu'en Italie, on paye vraiment très cher des gens dont on peut soupçonner qu'ils sont vraiment très, très, très inefficaces, et très, très, très corrompus, en France aussi sans doute, mais ce n'est pas aussi central dans les préoccupations des citoyens. Je ne crois pas que le gouvernement Valls ait trop intérêt à insister sur ce point. Les mesures prises après l'affaire Cahuzac par le gouvernement Ayrault n'ont guère eu d'écho dans l'opinion d'ailleurs à en juger par le résultat des municipales...

François Hollande avait une politique similaire au début de son mandat, mais il l'a vite abandonné. Cela risque-t-il d'arriver en Italie ?

De fait, le gouvernement Ayrault s'est plus inquiété du pouvoir d'achat des Français au tout début de son mandat (prime de rentrée scolaire augmentée à l'automne 2012 par exemple), il a oublié cet aspect ensuite, parce que globalement la consommation ne s'est pas écroulée en France. Dans le cas italien, il y a vraiment le tissu des entreprises et commerces qui visent le marché intérieur qui se délite. Selon les statistiques, depuis 2008, on a plus perdu en Italie d'emploi d'indépendants (agriculteurs, commerçants, artisans, autres indépendants) que d'emplois de salariés. Comme en plus les indépendants (ce qu'on appelle en Italie le "partite Iva" c'est-à-dire ceux qui ont un numéro de TVA) n'ont aucun filet de sécurité (il n'y a pas de revenu minimum de citoyenneté ou de RSA en Italie), vous imaginez le désastre social en cours. Cela finit en suicides de petits entrepreneurs tout cela.

Matteo Renzi n'est-il pas trop sûr de lui quand il promet un "big bang économique" à l'Italie ?

Oui et non. En un sens, il joue sur le fait qu'il faut bien trouver une solution à la stagnation italienne, et sur le fait que tout le monde est d'accord que l'Italie ne peut pas continuer ainsi à discuter de réformes de toute nature et à ne pas les faire  - ou pire à les faire mal. En même temps, la classe politique qui le soutient est exactement la même que celle qui a mené à la situation actuelle. Les gouvernements Monti et Letta sont partis sur les mêmes prémisses avec les mêmes soutiens parlementaires, et ils se sont finalement échoués tous les deux dans les méandres de la vie politique ordinaire qui a continué malgré la crise. Renzi lui-même a pris le pouvoir dans une révolution de palais au sein du Parti démocrate aux allures très vintage, à la manière des années 1960-80 dans la DC. Si Renzi arrive finalement à faire du neuf avec du vieux, à "rottamare" (mettre au rebus) pour user de son expression l'Italie des années 1990-2000, il faudra bien admettre son génie politique, dans le cas contraire, il faudra l'excuser de ne pas avoir fait de miracle lui non plus. A l'impossible nul n'est tenu.

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