Le FN post municipales 2014 : ce qu'en pensent vraiment les Français<!-- --> | Atlantico.fr
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Le parti de Marine Le Pen a remporté une dizaine de mairies ce dimanche
Le parti de Marine Le Pen a remporté une dizaine de mairies ce dimanche
©REUTERS/Pascal Rossignol (

Retournement de tendance

Un sondage CSA publié avant le deuxième tour indiquait que 6 Français sur 10 pensent qu'un maire Front national serait, en termes de compétence de gestion, d'un niveau équivalent à ceux de gauche ou de droite. Un véritable changement dans la perception des Français d'un élu FN aux affaires.

Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet, ancien Président de l’Observatoire de l’extrémisme, est chroniqueur, directeur de la Revue Civique et initiateur de l’Observatoire de la démocratie (avec l’institut Viavoice) et, depuis début 2020, président de l’institut Marc Sangnier (think tank sur les enjeux de la démocratie). Son compte Twitter : @JP_Moinet.

 

 

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Atlantico : Dans un sondage CSA publié avant le deuxième tour (voir ici), 62% des Français estimaient que les élus Front national seraient des gestionnaires de même niveau que ceux de gauche ou de droite. Pourtant, on opposait souvent aux candidats du FN leur relative inexpérience dans le gestion des affaires publiques. Pourquoi la majorité des Français leur prête maintenant la compétence nécessaire ? Comment la tendance s'est-elle retournée ?

Jean-Philippe Moinet : Les résultats de ce sondage sont un indice de plus du phénomène de banalisation actuel qui a fait les succès du FN, phénomène directement lié à la stratégie et au marketing de Marine Le Pen qui a veillé, depuis 2011, à « lisser » le discours du FN, à maitriser son langage, à faire apparaître ses candidats non seulement comme des protestataires mais aussi comme des gestionnaires aptes à diriger des collectivités. Ce marketing, qui a obtenu des plus grands succès municipaux aussi (voir surtout) du fait des faiblesses de ses adversaires locaux, ne veut pas pour autant dire que ces élus FN seront réellement compétents. On peut même en douter quand on constate l’inexpérience de beaucoup de ses candidats, parfois venu de nulle part. A Fréjus, par exemple, le candidat FN, propulsé sur le devant de la scène par la débandade des droites locales, n’a que 26 ans : ce n’est qu’un cadre apparatchik du FN national, qui n’a aucune expérience professionnelle, en tout cas pas la moindre expérience de la gestion d’une collectivité publique de cette importance. Ce sondage national ne veut donc rien dire sur la réalité des compétences locales. Il confirme simplement une tendance, celle d’une illusion d’optique qui crédite le FN de ce qu’il n’a pas. En soi, c’est un signe. Une présomption de compétence est bien à la hausse, le concernant.

Si le "taux de confiance" est de 62%, cela signifie également que des électeurs de droite, et sans doute de gauche, pensent que le FN pourrait être un gestionnaire convenable des villes. Cela peut-il accentuer dans les mois à venir la croissance de l'électorat FN avec les maires nouvellement élus qui sont maintenant aux affaires ? Si les mairies sont gérées sans heurts particuliers, le poids électoral du FN va-t-il encore gonfler ?

Je ne pense pas qu’on puisse parler d’une « taux de confiance » de 62%. Mais ce taux de banalisation n’est pas à négliger. Avec ses succès municipaux, et même si ces succès ne représentent pas grand-chose, finalement, au regard des 36 000 communes de France, la dirigeante du FN et son appareil vont évidemment tenter d’exploiter à fond la dynamique en vue de ramasser encore plus largement la mise au troisième tour de ces municipales que vont être les prochaines élections européennes du 25 Mai.

La campagne des européennes va être très courte et tous les ingrédients sont réunis pour que le mouvement d’extrême droite apparaisse même comme le premier parti de France. La crise économique et sociale, l’impopularité du parti socialiste au pouvoir, les problèmes de gouvernance et de leadership de l’UMP, la volonté de l’UDI et du Modem de lancer des listes autonomes, tout cela, avec un scrutin proportionnel (à un tour) et des élections qui suscitent généralement un record d’abstention, beaucoup de facteurs sont réunis pour favoriser le FN, qui peut être en situation de provoquer un nouveau « 21 avril ». Car non seulement le FN de Marine Le Pen a marqué des points en terme de banalisation mais, et c’est lié, l’adversité est, en quelque sorte, anémiée, hypnotisée. Et une partie de l’opinion, loin d’être majoritaire, est quand même plus importante qu’il y a quelques années à être prête à verser dans ce que j’appelle le national-populisme tendance xénophobe. C’est l’une des conséquences de la crise durable que traverse la France et l’Europe : cette crise d’identité aussi suscite des crispations, qui placent les « nationaux-populistes » en position de récupérateurs des protestations politiques, des malaises culturels et des souffrances sociales. Ça fait beaucoup ! Et cette récupération risque de culminer lors des prochaines européennes, considérées à tort comme des élections «gratuites », sans enjeux, ni danger.

Cette même enquête montre que 55% des Français pensent que l'élection de maires FN ne représente pas un danger pour les communes. On a d'ailleurs vu très peu de manifestations suite aux bons résultats du FN. Comment analyser cette relative "tolérance" au niveau municipal ?

Cette « tolérance » locale est, précisément, la représentation de cette acceptation-résignation qui progresse en temps de crise. Elle est amplifiée quand les « affaires » judiciaires, localement ou nationalement, minent les adversaires du FN, quand le FN mène une bonne campagne de « proximité » (racolant sur tous les problèmes locaux, de sécurité notamment) et quand la démagogie « anti système » a de l’écho dans une société en souffrance.

A l’inverse, je pense que la confrontation politique et idéologique – dans le bon sens du terme – pourra quand même avoir lieu, à l’occasion des prochaines européennes, si les politiques finissent par comprendre que, sans « front républicain », c’est leur propre intérêt, y compris à droite de mener la bataille politique, des idées, contre « l’extrémisme à visage humain ». Si la gauche au pouvoir, par exemple par un remaniement et l’arrivée de nouvelles personnalités, arrive à retrouver un second souffle, si l’UMP réforme sa gouvernance et, par exemple, autour d’une personnalité consensuelle comme Alain Juppé, arrive à effacer (au moins provisoirement)le jeu des ambitions personnelles, si le centre arrive à retrouver sur l’Europe une dynamique, alors l’espace d’expansion du FN peut être réduit. Car ce qui favorise le FN ce sont surtout les circonstances qui amènent ses concurrents ou adversaires au discrédit, quand leur force de conviction est affaiblie par de petits calculs politiciens.

Si la droite républicaine, la gauche socialiste, les écologistes et les centristes partent vigoureusement à l’assaut des électeurs et renouvellent fortement leurs candidats (corrigeant leur tendance à recycler aux européennes les battus d’hier…), alors l’offre politique.

Face aux résultats des villes gagnées ou perdues hier soir par le FN, quels ont finalement été les cas de figure, les contextes politiques, où cette acceptation relative a été la plus efficace ? Pourquoi ? Et où a-t-elle échoué ?

Les cas où le FN a été exceptionnellement (au sens étymologique) favorisé sont des villes où se sont ajoutées, au sinistre social provoqué par la crise, les divisions fortes au sein des familles politiques sensées être cohérentes et le minage des affaires judiciaires. Hénin-Beaumont dans le Nord avec à la fois les divisions et les affaires socialistes (ville emportée par le parti d’extrême droite dès le 1er tour) et Fréjus dans le Sud avec à la fois les divisions et les affaires de la droite (ville emportée dimanche par le parti lepéniste), représentent ce contexte idéal pour le FN. Leçon de ces cas d’école : le FN tire surtout profit des errements de ses adversaires.

Inversement, quand les familles politiques en compétition restent unies, claires dans leur conviction et leur éthique, qu’elles soient de gauche ou de droite, elles l’emportent : comme à Perpignan par exemple, où le candidat UMP l’a emporté largement alors que le parti d’extrême droite menaçait ; comme à Forbach, où le candidat PS l’a emporté. Dans ces deux villes, l’abstention a sensiblement reculé (respectivement de 6 et 7 points), ce qui montre aussi que le FN profite de l’anémie civique. Le FN est un aiguillon qui, quand il y a second tour, favorise une meilleure participation au scrutin, qui lui devient alors défavorable.

Quant à la ville de Béziers, le tour de passe-passe a été, de la part de Robert Ménard, de mener une campagne de terrain, sans afficher d’étiquette, soi-disant au seul titre de l’intérêt local de la ville : il a tout fait pour ne pas trop montrer (encore moins dire) que sa liste était soutenue par le FN. Ce qui prouve aussi, à contrario, que l’affichage FN reste un handicap, un repoussoir même, y compris du point de vue de ses partisans, qui cherchent à le contourner ou à le faire disparaître derrière le paravent « rassemblement bleu marine ». Cela a marché pour Robert Ménard mais n’a pas suffi pour Gilbert Collard. Le résultat est donc bien mitigé, globalement, pour « la méthode Marine Le Pen ».


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