Demi-mesures et renoncements... Pourquoi le vrai problème de François Hollande n’est ni Jean-Marc Ayrault ni sa “fausse” politique sociale-libérale mais lui-même <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Demi-mesures et renoncements... Pourquoi le vrai problème de François Hollande n’est ni Jean-Marc Ayrault ni sa “fausse” politique sociale-libérale mais lui-même
©Reuters

C'est celui qui dit qui est !

Bruno Le Roux, le chef des députés PS, a assuré que le président de la République voyait une forme d'injustice à reprocher aux maires socialistes des éléments qui ont trait à la politique nationale. Chef de l'Etat qui songerait d'ailleurs à baisser les impôts. Une façon de de reconnaître sa responsabilité dans la situation ?

Atlantico : Après la débâcle du Parti socialiste (PS) au premier tour des élections municipales, les Français sont 69% à souhaiter un changement de Premier ministre (sondage Ifpo/Sas pour iTélé et 20minutes à lire ici). Mais Jean-Marc Ayrault est-il aujourd'hui le réel problème de la majorité ? Quelle responsabilité François Hollande porte-t-il dans ce désaveu ?

Jean-François Kahn : Le problème de la majorité, ce n'est pas Jean-Marc Ayrault mais François Hollande. Et lors de ce premier tour des municipales, les citoyens ont voté contre le président de la République. Dans ce cas, on peut toujours remanier, cela ne changera rien. Sauf à nommer, peut-être, un Premier ministre qui ne soit pas le clone de François Hollande. Plus que de remanier, il faudrait en fait respecter la constitution de la 5e République qui veut que ce soit le Premier ministre qui gouverne, qui ouvre les perspectives, qui mobilise. En somme, il faut transformer François Hollande en Reine d'Angleterre. 

Laurent Bouvet : Jean-Marc Ayrault n'est pas le réel problème de la majorité, bien évidemment. Le système de la 5e République, et plus particulièrement du quinquennat hyperprésidentiel tel que François Hollande l'applique (comme le faisait Nicolas Sarkozy auparavant), ne donne pas sa réelle place au Premier ministre. La responsabilité de cette situation incombe donc à l'Elysée. Le chef de l'Etat possède une responsabilité d'autant plus grande que sa méthode de gouvernance est extrêmement difficile à comprendre et à lire même pour les membres du gouvernement. Lui seul connait l'ensemble des tenants et des aboutissants sur chaque sujet. Et on en voit bien les limites car depuis le début du quinquennat, il y a des couacs, des stop and go. Je pense notamment à la réforme fiscale lancée par le Premier ministre, puis abandonnée, ou encore au pacte de responsabilité. Ou même sur l'affaire des écoutes de Nicolas Sarkozy, le gouvernement a fait de grosses erreurs de communication. Il gouverne par le flou artistique. Il est le seul à savoir où il en est. On peut même avoir un doute sur le fait qu'il sache lui-même où il va.

Bien sûr la gouvernance Hollande n'explique pas à elle seule les résultats de ce premier tour. Le fait qu'il ait abandonné certaines mesures, qu'il en ait repoussé d'autres contribue également à cette débâcle. Par exemple sur la PMA, le candidat Hollande l'avait promise sans la mettre au programme pour finalement la retirer de la loi sur la famille. Loi sur la famille, elle-même remise à plus tard. On a l'impression qu'il n'y a pas de pilote dans l'avion. Après, il y a l'orientation de la politique elle-même. Les citoyens n'arrivent pas à comprendre où va François Hollande. Par ailleurs, le Chef de l'Etat a commis une erreur de jugement en négligeant les élections municipales. Il a minimisé ce scrutin local, pensant qu'il ne serait pas impacté par le national.

En termes de politique économique, quelles sont les vraies réalisations de François Hollande ? Sur quelles mesures y a-t-il eu des revirements et des couacs ? Quelles sont celles que l'on attend toujours ?

Olivier Passet : Les grands couacs, on les connaît : la fiscalité sur les plus-values de cession, qui a valu au gouvernement la rébellion des "pigeons", le fiasco de la taxe à 75 %, les ratés sur les dispositifs de lutte contre l’optimisation fiscale, retoqués par le Conseil constitutionnel, la cacophonie sur le message de pause fiscale pour les entreprises fin 2013, message aussitôt percuté par le projet vaseux de taxe sur l’EBE et les annonces très mal gérées concernant la fiscalité écologique… la liste est longue. De façon générale, même si le gouvernement a mené assez vite une politique de l’offre camouflée, il a sous-estimé les problèmes de trésorerie aigus auxquels étaient confrontés les TPE et les PME qui opèrent sur le territoire. Ces dernières sont aujourd’hui piégées par une demande intérieure française et européenne totalement atone, où la déflation rampante consume les marges. La mortalité record des entreprises en 2013 (plus de 63 000), notamment des plus petites, en témoigne.

Dans le champ de la politique industrielle, les erreurs sont également nombreuses, le point d’orgue ayant été atteint avec l’affaire Florange. L’erreur n’est pas d’avoir évoqué une nationalisation. Elle est surtout de l’avoir évoquée sans projet de restructuration élaboré derrière. Le projet ULCOS d’acier propre, que le gouvernement avait présenté comme une issue possible, s’est avéré être une chimère. Pour l’heure, et on l’a vu encore récemment avec la question du rachat de SFR, ou encore avec Daily motion, les interventions gouvernementales dans le champ industriel paraissent hasardeuses.

Troisième grand domaine de loupé, la politique d’emplois aidés. Que l’on soit pour ou contre, le gouvernement n’a pas atteint ses objectifs. Il a d’abord raté sa cible sur les emplois d’avenir. Fin décembre, la DARES estimait à 66 700 le nombre des emplois d’avenir (dans les secteurs marchands et non marchands). Assez loin des 100 000 visés par le gouvernement. Par ailleurs d’autres gros bataillons d’emplois aidés sont en recul cette année. C’est le cas des contrats en alternance (570 000 fin décembre, y compris les contrats de professionnalisation), qui régressent de 38 000 sur un an. Sur d’autres catégories d’emplois aidés comme le CIVIS (contrat d’insertion dans la vie sociale), les données ne sont pas encore disponibles. Il n’est pas exclu que dans sa globalité, l’emploi aidé n’ait pas ou a peu augmenté sur un an. A cela s’ajoute le fait qu’en rehaussant la TVA sur les travaux de rénovation et en baissant les aides aux services à la personne, le gouvernement a plombé deux gros gisements d’embauche des moins qualifiés.

Il y a ensuite, ce que l’on peut appeler la liste des demi-mesures. Le gouvernement a choisi de privilégier la concertation. On ne peut pas le lui reprocher, mais c’est une machine qui inévitablement "détrempe" les projets les plus ambitieux. On l’a vu avec la réforme de la formation professionnelle. On reste dans ce domaine dans l’amélioration à la marge. La création du compte personnel de formation (CPF) est un Droit individuel à la formation (DIF) à peine amélioré. Il prévoit 150 heures de formation sur neuf ans contre 120 heures de formation sur six ans pour le DIF, soit 30 heures de formation supplémentaires sur trois ans. C’est trop peu. Le rôle de collecte des Opca est, quant lui, à peine remis en cause. Autrement dit, il n’y a pas de vraie révision du mode de gestion du système de formation et pas de réel dispositif qui corrige l’inégalité d’accès à la formation. Je pourrais encore évoquer, plus proche de nous, la réforme de l’assurance chômage. Mais ce que l’on voit aussi avec la concertation, et c’est inévitable, c’est qu’il est très difficile de produire de la simplification. Simplification pourtant annoncée. Le gouvernement a par exemple lancé trois chantiers parallèles concernant les impôts, assises sur la fiscalité des ménages, assises sur la fiscalité des entreprises plus les négociations sur le pacte de responsabilité. Or la fragmentation des négociations et la conjugaison des intérêts particuliers peuvent difficilement aboutir à un big bang fiscal. On l’a vu avec l’enterrement du projet de fusion IR/CSG par exemple. On le voit encore la mise en échec du projet de suppression des cotisations familiales et la pérennisation probable du système du CICE qui se voulait provisoire.

En faisant ce constat, je ne nie pourtant pas l’utilité de la concertation.Il y a aussi beaucoup d’exagérations autour de la nécessité d’un électrochoc, de grands soirs réglementaires et fiscaux. Beaucoup d’illusions sur la simplicité des autres pays. Cette surenchère caricaturale des champions du  "y a qu’à" est également contre-productive. La France est aujourd’hui confrontée à un problème de compétitivité réel mais qui reste à la portée de réformes mesurées. Elle l’a fait à d’autres moments de son histoire. Et ce processus est toujours coûteux politiquement, voire chaotique, comme il l’a été pour l’Allemagne de Schröder.

Si l’on quitte maintenant le champ des cacophonies et des demi-mesures, dont les médias se repaissent, il faut reconnaître une véritable orientation en faveur de l’offre, d’abord déguisée et puis assumée depuis plusieurs mois.

La principale réalisation de François Hollande, c’est incontestablement le CICE, avec le tournant du pacte de compétitivité, puis du pacte de responsabilité, dans le prolongement du rapport Gallois. 20 milliards de baisse de charge, c’est financièrement important pour les entreprises. Même si Louis Gallois prônait plutôt 30 milliards applicables jusqu’à 3,5 SMIC, on ne peut parler de demi-mesure. Et le gouvernement va d’ailleurs se rapprocher au final de l’objectif avec le pacte de responsabilité. Les montants en jeu font plus que doubler la mise par rapport aux allègements déjà acquis depuis 1993. Les résultats sont tangibles dès à présent. L’écart de coût du travail s’est réduit de 1,7% cette année avec l’Allemagne, alors que la mesure n’est que partiellement mise en œuvre encore. Sur ce plan, le cap paraît clair, puisque l’enveloppe sera portée à 30 milliards en 2015. Certes les modalités définitives des allègements sont encore en discussion. Il a été question de consolider dans un dispositif unique le CICE et la suppression des cotisations familiales. Mais on s’éloigne peu à peu de cette solution qui aurait pourtant permis de simplifier un peu notre usine à gaz fiscale.

Il faut souligner par ailleurs la constance des politiques en faveur des start-up de croissance, malgré la crise. Et cette constance finit par payer. Le gouvernement s’est certes contenté de ré-abonder ou de renforcer des dispositifs existants (celui des investissements d’avenir, le crédit impôt-recherche) ou de les consolider (la BPI). Résultat, la France est aujourd’hui championne d’Europe en termes de start-up technologiques de croissance, devant le Royaume-Uni et l’Allemagne. Ce qui a été fait autour de  la French tech va également dans le bon sens et ne relève pas seulement du symbole. La création d’une marque, la mise en réseau, le travail autour de l’image internationale ou les systèmes de bourses, sont des éléments très positifs et insuffisamment relayés par les médias.

Mais au-delà de ce bilan sommaire, des ratés comme des réussites, (j’aurais pu aussi évoquer les incertitudes sur la réduction de la dépense publique), la vraie question est de savoir si une véritable stratégie d’ensemble se dessine. Et le gouvernement est en la matière à la croisée des chemins. Soit il continue, comme ses prédécesseurs, à concentrer ses efforts sur l’emploi le moins qualifié et à détourner la politique de baisse de charges de son objectif premier, celui de la restauration de notre compétitivité. Il mènera alors une politique déguisée de relance de la consommation, de sape de la productivité et passera définitivement à côté de l’urgence. Soit, il concentre véritablement son soutien sur les secteurs porteurs les plus exposés, et il relèvera véritablement le défi du moment. Mais cela ne suffit pas. Soit encore, il maintient sa posture purement défensive à l’égard de la concurrence fiscale et sociale européenne. Soit, il fait entendre sa voix pour que les efforts de restauration de notre compétitivité ne se diluent pas dans la déflation de nos partenaires et la hausse de l’euro. Cette voix française, en faveur de plus d’harmonisation et de coordination européenne, on ne l’entend pas, ou trop peu, aujourd’hui. C’est peut-être là, le plus gros manque de la politique que mène aujourd’hui le gouvernement.

François Hollande fait-il payer à la majorité des politiques de la demi-mesure ?

Laurent Bouvet : La majorité paye des hésitations, des variations par rapport au programme annoncé. Lorsque l'on réalise des réformes, il y a toujours des ajustements et des réglages, des gens qui estiment que ce n'est pas assez. On perd nécessairement des électeurs en route. Le problème c'est que François Hollande a perdu la totalité de ses électeurs en raison du manque de lisibilité.

Jean-François Kahn : Je ne suis pas d'accord sur l'utilisation du terme "demi-mesure", François Hollande a entrepris de grandes réformes. On peut ne pas être d'accord mais on ne peut pas dire que le mariage pour tous n'est pas une réforme de grande ampleur. Le pacte de responsabilité, je suis contre, mais ce ne sont pas des "petits pas", il va même plus loin que Sarkozy. Il ne explique pas sa politique, on ne sait pas pourquoi il la mène mais il l'a mène.

Quelles sont aujourd'hui ses erreurs d'analyse les plus flagrantes ?

Laurent Bouvet : Je pense qu'il néglige un peu trop la manière dont les questions de société impactent le pays. C'est un défaut structurel, il pense qu'il n'y a que l'économie qui compte et que si l'économie s'améliore, tout ira beaucoup mieux politiquement. Avec le mariage pour tous, il pensait qu'il n'y aurait pas de conséquence et que cela pouvait masquer les mauvaises performances sur le plan économique. Ce long affrontement a laissé des traces. Il a une vision très technocratique et tactique de la politique. Les dimensions de compréhension plus fines, de profondeur historique lui échappent.

Jean-François Kahn : Encore une fois, il fait la même erreur d'analyse que la droite en matière économique et sociale et dans les deux cas, nous allons dans le mur. A supposer que l'on soit favorable à la politique menée par le gouvernement, car la droite sur la politique économique et sociale devrait être d'accord, il fallait se présenter aux électeurs en le disant clairement. Il fallait dire : "Ca va être dur, on va réduire dans les dépenses, je vais réduire le pouvoir d'achat mais je le fais dans l'intérêt national". Comme cela n'a jamais été dit clairement, les Français le ressentent comme une trahison. 

La porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, a d'ores et déjà laissé entendre que s'il y avait un remaniement, il ne s'accompagnerait pas d'un changement de cap. Comment sortir le président de sa bulle ? Et qui pourrait le faire ?

Laurent Bouvet : Ca va devenir difficile. Parce que les municipales ont justement rendu encore moins efficace l'arme du remaniement. Il ne lui reste donc pas grand-chose. Il ne changera pas de politique en raison des contraintes budgétaires imposées par Bruxelles, il ne fera pas de dissolution. Je pense que le président est réellement dans l'impasse.

Jean-François Kahn : Je pense qu'il est profondément comme cela et il ne changera absolument pas. C'est pour cela que le problème aujourd'hui, ce n'est pas le remaniement, ce n'est pas Ayrault. Il faut dégager François Hollande mais par le haut car je ne suis pas putschiste. Il faut le transformer en Reine d’Angleterre !

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !