Après la Crimée, la Moldavie… Où serait la limite de ce que l'OTAN ne pourrait vraiment plus accepter sans réagir ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Un avion de l'OTAN.
Un avion de l'OTAN.
©Reuters

Bornes à ne pas dépasser

Alors que le scénario de la Crimée risque de se répéter avec la Transnitrie, partie orientale de la Moldavie, Barack Obama réaffirme le soutien des Etats-Unis à l'OTAN, qui "reste l'alliance la plus forte et la plus efficace de l'histoire de l'humanité" selon lui. Et rappelle que l'article 5 du traité de l'Atlantique nord comporte "une obligation solennelle de se défendre l'un l'autre". Une intervention de l'OTAN en Europe se profile-t-elle ?

Atlantico : L'OTAN a annoncé dimanche que le Kremlin avait réuni assez de troupes à la frontière Ukrainienne pour pouvoir se diriger vers la Transnistrie, sans pour autant parler d'une éventuelle intervention. Que peut-on préconiser ? L'OTAN va-t-il intervenir si Vladimir Poutine s'avance en Moldavie ? Quelle est la limite que la Russie ne peut pas franchir, si elle ne veut pas s'exposer à des représailles ?

Pierre Conesa : L'annonce concernant la réunion de troupes russes à la frontière Ukrainienne ne présume en rien de l'utilisation que Vladimir Poutine pourrait faire de ces troupes. D'autant plus que, si on a beaucoup parlé de l'Ukraine de l'Est et de sa population russophone, la Transnistrie est véritablement un petit problème sans grande signification pour la Russie. Quand bien même Poutine pourrait avoir des ambitions nationalistes et de protection des peuples russophones.

L'OTAN a beau être une alliance, cela n'implique néanmoins pas une intervention immédiate, même pour défendre un pays membre. Les états doivent d'abord se consulter, et une fois arrivé à un consensus, l'OTAN peut intervenir. L'OTAN est avant tout destiné à protéger l'Europe. De Gaulle a toujours été opposé à une expansion des missions de l'OTAN hors-zone, et ce fut l'un des principes fondamentaux de la France en matière de diplomatie. Or, cette règle a été violée allègrement en Afghanistan, même s'il y avait mandat de l'ONU, et le résultat militaire qui en a découlé est extrêmement plus grave qu'une posture vis-à-vis de la Russie, qui correspond tout à fait aux missions de l'OTAN.

Il n'y a pas de limite explicite : chaque ligne rouge que nous avons posé et qui a été franchie n'a pas nécessairement été accompagnée par les réactions promises. Revenons sur l'exemple de la Syrie… Tant que cela se limitera à la Crimée, il est certain que l'OTAN n'interviendra pas, ne serait-ce que parce qu'il s'agit d'un Etat tiers et non d'un Etat membre. Quant à Vladimir Poutine, il a bien plus intérêt à regarder vers des régions moins conflictuelles mais tout aussi nationalistes aux yeux de la population russe que d'aller provoquer les Occidentaux au travers de la Transnistrie. On aurait éventuellement un mandat otanien qui se dénaturerait un peu plus, comme en Afghanistan.

Le cas de conflit le plus évident serait l'attaque de Vladimir Poutine sur un état membre. Pour autant, il peut être intéressant de rappeler que quand la Libye avait lancé des fusées sur Lampedusa, l'OTAN n'était pas intervenu militairement.

Philippe Wodka-Gallien : Au plan juridique, rien, mais absolument rien n’autorise l’OTAN a intervenir. L’OTAN est une coalition de forces militaires fournis par les Etats membre. Dans la crise actuelle, il n’y a pas agression d’un pays membre et, de fait, le principes de sécurité collective qui régit le système de défense des pays de l’OTAN ne s’applique pas. L’OTAN n’est pas non plus une organisation politique internationale, c’est une organisation militaire dans les mains des Etats membres. L’action politique au niveau international est du ressort des diplomaties, de l’OSCE, et de l’ONU. D’autant que l’OTAN s’en remet automatiquement à l’ONU en cas de conflit, c’est inscrit dans le traité de l’Atlantique nord. La limite, ceci posé, serait une action de la Russie en direction d’un pays de l’OTAN. Ce n’est pas le cas aujourd’hui !

En l'absence d'intervention militaire de l'OTAN ne risque-t-il pas de perdre en crédibilité ? L'image de l'OTAN a-t-elle une influence sur ses capacités ? S'il s'agit d'une force de dissuasion, doit-on craindre que son inaction pèse sur son champ des possibles ?

Pierre Conesa : Tout est dans le discours. Evidemment, quand on fait des menaces, qu'on fait le choix de brandir cette menace qu'est la guerre, comme ça s'est fait dans les discours immédiatement liés à la Crimée… On est aujourd'hui dans une diplomatie médiatique ; et c'est une diplomatie particulièrement grave. Dans ce genre de diplomatie, les positions que pourront tenir les dirigeants se radicalisent. Un article de Bernard-Henri Lévy disant "nous sommes tous des Ukrainiens à Maidan" déclenchera une réaction politique, alors qu'il y a également des russophones en Crimée, mais ça ne semble pas être son problème. Et ces réactions sont dangereuses également parce qu'elles sont piégeuses. Quand on a annoncé une ligne rouge et qu'on ne fait rien quand elle franchi, la question devient effectivement légitime.  C'est pourquoi l'articulation entre le discours et la riposte est essentielle. A trop médiatiser une crise on se retrouve invariablement à prendre une position idiote qu'on ne pourra pas assumer ensuite, faute de moyens.

De là à dire que l'OTAN se ridiculise, il ne faut pas exagérer. D'une part parce que l'Occident a d'office parlé de sanction et non d'intervention, et d'autre part parce que l'Occident n'a jamais disposé des capacités de mettre un pays à genoux via des sanctions économiques. Ça n'a pas marché avec l'Iran, ça ne pourra pas marcher non plus avec la Russie. Ces sanctions doivent être étudiées avec beaucoup de finesse : en raison de l'interdépendance et donc de leur caractère à double tranchant, elles ont davantage vocation à donner le sentiment que, sans faire. C'est une sorte de bluff. Pour autant, en dépit de ce bluff, la structure de l'OTAN a su résister à la dissolution du pacte de Varsovie, et même s'étendre vers l'Est.

La scène internationale est aujourd'hui beaucoup plus variée qu'il y a cinquante ans, et c'est ce que les dirigeants occidentaux ont parfois du mal à comprendre. Le savoir-faire de l'OTAN reste un savoir-faire de premier rang. Le traité de l'Atlantique Nord n'est pas prévu pour intervenir dans les crises, sauf sur validation de l'ONU. Et avec la possibilité de veto de la Russie, que nous avons-nous même largement utilisé pour protéger nos propres intérêts, cette validation n'existe pas. La résolution qui a été voté pour permettre à la France et à la Grande-Bretagne de bombarder la Libye ne représentait que 10% de la communauté internationale. Le reste s'est abstenu ou a voté contre.L'Occident n'est plus le centre du monde, bien qu'il continue de le croire, et l'opinion internationale n'est pas nécessairement avec ou contre lui.

Philippe Wodka-Gallien : L’OTAN ne perd en rien sa crédibilité. Souvenons nous, en 1968, le printemps de Prague, en 1970, les émeutes à Gdansk, à l’époque de la guerre froide, l’OTAN n’avait pas franchi le rideau de fer et les forces de l’OTAN assuraient la défense de ses membres de ce côté ci de l’Europe. L’OTAN reste un instrument militaire défensif pour la défense de l’Europe. Ce qui est en jeu, c’est l’action diplomatique des Etats de la communauté atlantique. C’est à l’histoire de juger, et aux diplomatie de déployer leur savoir-faire. La dissuasion nucléaire intervient pour la protection des intérêt vitaux d’un pays, ou au titre de la solidarité, au profit d’un pays allié qui vient de subir une agression contre ses intérêt vitaux. C’est le principe du parapluie nucléaire. En aucune manière, nos intérêts vitaux ne sont menacés avec l’Ukraine et la Crimée. Comme cette crise met au prise des puissances nucléaires, USA, Russie, plus France et Royaume Uni, la seule et unique option reste la diplomatie, avec au programme des négociations sur la nouvelle situation créée aux frontières de la Russie, sur les marges de l’Europe.

L'OTAN a-t-il seulement vocation à intervenir dans ce genre de situation ? Barack Obama, au quotidien néerlandais Volkskrant, a voulu ré-exprimer la vocation de l'OTAN à la protection des états membres. Cependant, comment peut-on justifier les précédentes interventions et expliquer l'inaction actuelle, en vertu de ce principe ?

Pierre Conesa : L'Afghanistan est un cas un peu spécial : c'est une affaire qui survient quelques mois après le 11 septembre, en réponse à celui-ci. Les Américains avaient demandé aux Talibans de leur livrer Ben Laden. Face au refus,  ils ont bénéficié d'une forme de solidarité générale qui leur a valu un mandat de l'ONU pour intervenir.

Pour autant, l'Afghanistan représente parfaitement l'exemple de mission ou l'OTAN n'a pas à intervenir. Finalement, on est en Afghanistan depuis 12 ans, soit trois ans de plus que les Russes, avec le même effort militaire (120 000 hommes) et nous avons étendu la guerre au Pakistan via les drones. C'est un échec majeur de l'OTAN, qui démontre que l'OTAN hors-zone n'est pas une force d'intervention pour ce genre de conflits asymétrique. Pas du tout. Et ce constat se valide tant en Irak qu'en Libye.

L'idée de l'action militaire, qui s'est beaucoup répandu depuis la chute de l'URSS, n'est pas une méthode de gestion de crise. On ne reconstruit pas un état avec une intervention militaire, et la guerre reste la pire des solutions dans tous les cas. L'OTAN reste une force militaire terriblement efficace, mais dans un scénario de guerre.

Philippe Wodka-Gallien : L’OTAN assure la protection de l’Europe. C’est sa vocation, avec ses mécanismes de sécurité collective (l’article 5 du traité de l’Atlantique nord). Mais ce n’est pas sa seule mission. Comme instrument militaire, à partir des forces fournies par ses pays membres, l’OTAN peut recevoir mandat pour des opérations extérieures : le Kosovo en 1999, l’Afghanistan après le 11 septembre, puis la Libye. Les opérations extérieures, pour le maintien ou le rétablissement de la paix, entrent dans la vocation nouvelle de l’OTAN décidée au sommet de Prague de 2003, dit « Sommet de la transformation ». Lors de ce sommet, les Etats membres entérinent la création des NATO Response Forces ou NRF, les forces de réaction rapide de l’OTAN. Sur décision alors de Jacques Chirac, la France est un pays moteur de ce processus, notamment pas sa capacité à fournir des structures de commandement au standards de l’OTAN. Pour que l’OTAN intervienne, il faut soit un mandat de l’ONU, soit une situation de légitime défense (article 51 de la Charte des Nation Unis). On entrevoit bien le risque d’une escalade, compte tenu de l’existence de forces nucléaires, et à cet égard, l’OTAN est une alliance nucléaire, ce qui a été rappelé lors du dernier sommet de Chicago de 2012. Donc, l’OTAN est un peu comme au temps de la guerre froide, postée derrière ses frontières, l’arme au pieds, dans une logique de dissuasion, pour observer ce qui se passe de l’autre côté. Quelque part, elle sert aussi à faire pression, dans le but de sortir de cette crise par le haut. Pour l’instant, la Russie n’a porté aucune agression sur les membres de l’Alliance Atlantique. La dissuasion nucléaire est dans un paradoxe : elle sanctuarise, elle autorise les actes de puissance, mais, elle impose aussi la retenue et le retour à une situation stabilisée.

Barack Obama a également estimé que l'OTAN représentait l'alliance la plus efficace de l'Histoire. Qu'en est-il véritablement ?

Pierre Conesa : L'OTAN a permis de stabiliser de Guerre Froide, ce qui a débouché sur une époque de paix comme on n'en avait encore jamais connu en Europe. L'OTAN a également fait chuter l'URSS et paradoxalement sans faire la guerre. Ces deux siècles de paix, cet écroulement politique et la dissolution du pacte de Varsovie représentent pour l'OTAN un formidable succès et en cela Barack Obama est dans le vrai. De nombreux autres pays du bloc de l'Est ont cherché à gagner l'OTAN pour la protection que celui-ci offre, tandis qu'aucune des autres alliances militaires n'a tenu. L'OTAN, avec une intégration des armées importante, a réussi à se maintenir et se développer. C'est aujourd'hui une organisation extrêmement puissante mais bien heureusement dirigée par des gens qui n'ont pas nécessairement envie d'entrer en guerre.

Philippe Wodka-Gallien : L’OTAN est effectivement la seule organisation militaire au monde dotée de moyens de planification, de commandement et de préparation de ses forces. Les moyens de défense aérienne de l’OTAN assure la protection des espaces aériens, et des navires de combat ont mission de protéger les approches maritimes, ceci depuis toujours. Les opérations extérieures conduites depuis 20 ans, dans les Balkans, en Afghanistan et en Libye montrent que l’OTAN dispose d’une solide culture opérationnelle, sur la base d’une génération de forces fournies par les Etats membres. Au titre de la préparation des forces, l’OTAN organisent en permanence des exercices interalliés, comme en novembre dernier en Pologne avec Steadfast Jazz qui avait rassemblé 6000 hommes et 40 avions de combat. L’OTAN veille en permanence à interopérabilité des forces des pays de l’alliance, au plan technologique et au plan des procédures et des tactiques d’engagement. Il n’y a rien de comparable au monde, y compris au niveau européen. Une chose est certaine, seul l’OTAN est capable de planifier, puis de conduire une opération massive interalliée, dotées de tous les moyens terrestres, aériens et navals nécessaires, ceci en profitant des immenses moyens américains. D’ailleurs si l’UE monte une opération, elle applique les doctrines de l’OTAN. Et pour cause, les forces européennes (qui sont membres de l’OTAN pour la plupart) sont organisées et entraînées sur la base de standards de l’OTAN ! L’élargissement à l’Est de l’OTAN s’est accompagnée d’une modernisation des forces des nouveaux pays membres, processus qui se poursuit. A noter que pour des raisons diplomatiques évidentes, les armes nucléaires américaines affectées à l’OTAN n’ont jamais été déployés chez les nouveaux Etats membres. 

A la suite de la Seconde Guerre mondiale, une règle a été mise en place pour prévenir un nouveau conflit d'une telle ampleur. Cette règle, qui stipulait l'interdiction d'annexer un pays, a été violée par Vladimir Poutine. Dans quelle mesure s'agit-il d'un premier pas vers la guerre ; et surtout, ce premier pas ne serait-il pas un mouvement des troupes de l'OTAN ?

Pierre Conesa : Toute l'ambiguïté de ce qui s'est passé en 1991, c'est que la dissolution de l'URSS et toutes les crises qui ont suivi sont aux Russes ce que le Traité de Versailles était aux Allemands. On a créé 25 000 kilomètres de frontières nouvelles. On peut très bien considérer que la Tchéquie appartient à la Slovaquie, que le Kosovo est Serbe ou que l'Ukraine est un ancien pays de l'URSS. Cette règle tacite qu'on a décidée en 1945, à frontières figées, a bien évidemment été considérablement bouleversée par les différentes évolutions qui ont suivi, dans le mouvement général de re-dessin des frontières qui a été fait en 91. D'autant plus que ce dessin est hérité de Staline et avait pour unique vocation de lui permettre d'assurer son contrôle sur ces zones. Pour ce faire, il a toujours fait attention à mélanger les populations de façon à ce qu'il n'existe aucune majorité sur un territoire, avec néanmoins des Russes un peu partout. Les problèmes peuvent donc se poser en termes de respect de l'intégrité des territoires comme ils peuvent se poser en termes de droit des peuples à disposer d'eux même.

Si l'OTAN intervient militairement, c'est le début de la guerre. Entre deux puissances nucléaires, on peut s'attendre à une forme d'apocalypse, bien qu'il existe des façons pour contourner le nucléaire : on pourrait avoir des soldats dans des uniformes ressemblant énormément à des Russes mais qui ne le sont pas, par exemple. Il y a des alternatives pour qu'on n'en arrive pas au nucléaire – susceptible de détruire la planète –. La Crimée ne représente pas un intérêt assez vital pour qu'on en arrive là, et même si cela parait être l'arme de la diplomatie avant tout, on a déjà eu des exemples (Pakistan-Inde) qu'il n'y a pas d'obligation mécanique d'utiliser le nucléaire, même entre deux puissances en disposant.

Philippe Wodka-Gallien : On peut toujours fixer des principes, des limites, mais il y a les réalités, les rapports de forces, l’arme nucléaire. Ni l’Ukraine, ni la Crimée ne font partie de l’Alliance Atlantique. On notera que les opérations militaires des uns et des autres rythment les relations internationales depuis 1945, chaque pays cherchant à défense ses intérêts selon des logiques propres de rapports de force.  C’est ce qui se passe aujourd’hui. Un conflit entre Etats est un processus d’escalade incontrôlable vers les extrêmes. A l’ère nucléaire, on sait à quoi ressembleraient les extrêmes. La seule et unique option reste la diplomatie ! Encore une fois, il n’y a pas de menace sur l’Europe, d’autant que d’importantes forces russes étaient déjà stationnée en Crimée ! On ne risquera pas la vitrification de l’Europe sur ce dossier. Certes la crise met en jeu les pays de l’OTAN et la Russie, mais elle se situe hors du cadre géographique de l’OTAN. Comme pour la Géorgie. Dès lors que faire ? Le dossier est dans les mains des diplomates. On peut aussi souligner et montrer que l’OTAN tient son poste et assume sa mission de défense aux frontières, c’est le sens des déploiements récents de systèmes défensifs, comme les avions radar Awacs. Au final, on peut imaginer un accord bilatéral entre les Américains et les Russes, des diplomaties qui se connaissent bien, se pratiquent au quotidien depuis très longtemps, quitte à négliger les Européens, au nom des intérêts supérieurs des deux pays. A l’ère nucléaire, Il vaut mieux la guerre froide, que la vraie guerre, c’est ce que disait en son temps Nixon. L’espoir de Prague exprimé en avril 2009 par Barack Obama a vécu.

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