Pari de la "professionnalisation" du FN : état des lieux<!-- --> | Atlantico.fr
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Marine Le Pen et Florian Philippot.
Marine Le Pen et Florian Philippot.
©Reuters

Bac+2 en poche

Formation des cadres et structuration du parti, quadrillage territorial et social... Le Front national a tout misé sur sa professionnalisation. Qu'en est-il vraiment ?

Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet, ancien Président de l’Observatoire de l’extrémisme, est chroniqueur, directeur de la Revue Civique et initiateur de l’Observatoire de la démocratie (avec l’institut Viavoice) et, depuis début 2020, président de l’institut Marc Sangnier (think tank sur les enjeux de la démocratie). Son compte Twitter : @JP_Moinet.

 

 

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Atlantico : Les résultats obtenus par le Front national au premier tour des municipales dénotent les efforts déployés par Marine Le Pen pour professionnaliser le parti. Quels éléments témoignent aujourd'hui de cette professionnalisation, même imparfaite ? Le FN a-t-il d'ailleurs jamais été si professionnalisé ?

Jean-Philippe Moinet : Je pense qu’il ne faut pas confondre professionnalisation et efficacité (électorale) ou puissance (politique). Oui, l’approche "marketing" du Front national de Marine Le Pen est sans doute plus professionnelle que celle du FN que présidait son père. Jean-Marie Le Pen, qui aimait faire le coup de poing et d’autres choses encore plus violentes dans sa jeunesse, était aussi d’une génération qui concevait autrement l’engagement politique : plus avec "ses tripes" qu’avec son cerveau ou sa machine à calculer. Marine Le Pen, elle et son entourage, sans d’ailleurs mettre en cause véritablement le fond idéologique et le fond de commerce de l’extrême droite traditionnelle – toujours présents, pas loin derrière la vitrine qui apparaît médiatiquement – est bien plus professionnel, plus "présentable" : son discours est davantage lissé, tous les "dérapages" sont soigneusement évités. Ses consignes sont suivis d’effets : surtout, bien rester "policée" et souriant(e), surtout ne pas effaroucher "le bourgeois" (de l’UMP), ni le salarié ou l’ouvrier (du PS ou du Front de gauche), gommer les aspérités, notamment racistes et antisémites du parti, faire oublier la filiation, non seulement personnelle mais politique et idéologique du parti d’extrême droite, ce dernier prenant les contours, plus larges, du national-populisme.

Pourquoi le quadrillage territorial et la création d'assises locales sont aujourd'hui la clé de voûte de la stratégie du FN ? Ces municipales peuvent-elles être considérées comme un succès à cet égard ?

Oui, le quadrillage territorial du FN est important pour la stratégie FN car l’implantation locale est ce qui manquait au parti lepéniste. Le fait que ce parti ait pu présenter 600 listes dans des villes importantes était déjà un signe de progression, même si le FN est loin de couvrir les 36 000 communes de France.

Ce record de candidatures s’accompagne néanmoins de candidatures hasardeuses, de listes bricolées, parfois même montées sans l’accord des intéressés… qui se sont retrouvés embarqués dans une liste qu’ils n’avaient pas perçu comme portée par le FN. En cela, c’était plutôt un signe d’amateurisme et d’une duperie dont ont pu être victimes ces candidats "embarqués", une duperie qui peut embarquer les électeurs…

Mais un quadrillage renforcé du territoire est indéniable et la capacité de maintien au second tour du FN dans plus de 200 villes va prolonger cette implantation locale du FN, qui fonctionnait surtout sur un discours, démagogique et protestataire, surtout national, s’appuyant très peu sur le relais d’élus locaux.

Si la crédibilité du parti et des candidats est meilleure aujourd'hui, peut-on dire que les candidats élus ont les compétences nécessaires pour être les représentants sérieux d'une ville ou d'une petite commune ?

Non, pas du tout. Et c’est d’ailleurs là la grande faiblesse du FN. Il est peut-être bon pour instrumentaliser les protestations et les peurs en tous genres (de l’étranger, de la mondialisation), protestations alimentées par la crise économique et sociale, le sentiment de perte de repères (moraux et culturels) et la séquence des "affaires" judiciaires. Mais le FN reste mauvais, concrètement, en matière de gestion, y compris au niveau local. D’ailleurs, tous les maires FN élus en 1995 dans le Sud de la France (à part Bompard à Orange) ont très vite été chassés par les électeurs des villes concernées (Toulon, Marignane, Vitrolles) : ils ont été jugés pires que les autres pour résoudre les problèmes locaux. A part les démagogies électorales, le FN sait-il faire autre chose ?

On peut vraiment en douter, quand on voit certaines têtes de liste FN, comme à Fréjus, propulsées par un contexte très dégradé (par les "affaires" en particulier, qui a fait aussi la victoire FN à Henin-Beaumont) : le leader frontiste de Fréjus est un "gamin" sans aucune expérience ! Et ce n’est pas le seul exemple. Les candidats du FN, pour la plupart, ne sont pas sérieux. Et cela va finir par se voir…

Le FN de Marine Le Pen vise à s'implanter catégorie de population par catégorie de population. Ce quadrillage de la société montre-t-il ses premiers résultats ?

Ce qui montre en effet ces premiers résultats, pour le FN, c’est son caractère "inter-classiste", c’est-à-dire qu’il ratisse large en terme de sociologie. Il ratisse largement dans l’électorat populaire, qui a quitté en grande partie le PS, quand il s’agit des ouvriers. En cela, le FN est le concurrent direct du Front de gauche et du PC, en terres anciennement industrielles du Nord ou de l’Est. Comme la gauche est au pouvoir et recueille l’impopularité de ceux qui sont au pouvoir par temps de crise, les catégories populaires se tournent encore plus vers le FN et son discours du "tout social", du "national-étatisme", qui prône d’un interventionnisme à tout va (tout en disant qu’il faut réduire les impôts…) Cette posture "gaucho-lepéniste" (pour reprendre le terme du politologue Pascal Perrineau) est totalement incohérente mais elle fonctionne bien.

Mais à terme, ce positionnement peut aussi toucher les limites qui séparent une force protestataire d’un parti de gouvernement. Je pense que, précisément à cause du grand écart cynique de ses postures, le FN est très loin d’être crédible. Je pense même que ses propres électeurs le savent, ce qui ne les empêche pas de voter pour lui !

Du côté du recrutement des militants, comment les méthodes ont-elles évolué pour renforcer l'image positive du parti ? En quoi le parti est-il en train d’amorcer 2017 en se donnant une image plus sérieuse et plus lisse ?

Ce que j’appelle "la stratégie du masque", qui vise à donner une image plus lisse, un visage humain (féminin) au parti d’extrême droite, devenu "national-populiste" tendance xénophobe, a plutôt bien fonctionné pour Marine Le Pen, qui applique son modèle au recrutement. Beaucoup d’ingrédients, qui tiennent aussi au contexte dans lequel nous sommes en France (et en Europe), favorisent le développement de ce type de mouvements nationalistes, qui avancent plus ou moins masqués. Les prochaines élections européennes, l’Europe étant malheureusement devenu un bouc-émissaire de plus, risquent d’être une nouvelle étape dans le développement du FN qui montrera pourtant au grand jour qu’il est resté le même: Jean-Marie Le Pen, en PACA, et Bruno Gollnish, dans le sud-Est seront candidats de ce parti d’extrême droite qui, en ce scrutin proportionnel à un seul tour et l’émiettement des courants, peut devenir le premier parti de France.

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