Les dégâts causés par notre tendance à toujours plus surprotéger les enfants<!-- --> | Atlantico.fr
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Protéger son enfant à outrance peut au final les desservir.
Protéger son enfant à outrance peut au final les desservir.
©Reuters

Prison dorée

Des sociologues américains révèlent que l'interventionnisme des parents dans l'aide au devoirs de leurs enfants ne les aide pas toujours à obtenir de meilleurs résultats et peut parfois même les desservir...

Edith Tartar Goddet

Edith Tartar Goddet

Edith Tartar Goddet est psychosociologue et psychologue clinicienne. Elle est spécialiste de la gestion des adolescents au sein de la structure familiale et de l'adolescence dans le cadre scolaire, ainsi que des dysfonctionnements relationnels toujours dans le cadre scolaire. Elle a notamment collaboré au projet Comment réussir ses vacances ? et est l'auteur, parmi de nombreux ouvrages, de Développer les compétences sociales des adolescents par des ateliers de parole aux Editions Retz. 

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Atlantico : Des sociologues américains révèlent que l'interventionnisme des parents dans l'aide au devoirs de leurs enfants ne les aide pas toujours à obtenir de meilleurs résultats, et peut parfois même les desservir... (voir ici) Dans notre société, les enfants sont-ils surprotégés ?

Edith Tartar Goddet : Tout dépend des milieux familiaux. Dans les milieux favorisés, on constate un très fort paradoxe car à la fois les enfants sont très protégés et les parents s'en inquiètent pour un rien, se mêlent de leur vie privée y compris quand ils sont au collège ou au lycée et en même temps ils sont beaucoup livrés à eux même. Ils sont très libres pour un grand nombre de choses comme les achats, les activités entres amis par exemple. Ils ne rendent pas obligatoirement des comptes, ils vont circuler très librement sur Internet. Certains jeunes vivent dans leur territoire qui est leur chambre  dans laquelle ils prennent leurs repas seuls devant des écrans. Ils ont une vie virtuelle extrêmement importante à laquelle les parents n’ont pas obligatoirement accès. Dès lors, il y a une autonomie très grande qui est octroyée aux jeunes. Par ailleurs, au niveau scolaire dès que ces mêmes jeunes rencontrent un problème dans leur scolarité, avec un professeur par exemple, ils téléphonent tout de suite ou envoient un message à leurs parents. Ces derniers se mettent en relation directement avec les responsables de l’école pour demander des comptes et gérer la crise alors que l’enfant n’est pas forcément présent. Nous sommes indéniablement dans une situation paradoxale.

Concernant la petite enfance, nous rencontrons un schéma quasi-similaire, ils sont très autonomes devant les écrans, la télévision en particulier. Ils regardent beaucoup la télévision sans présence d’adultes donc ils absorbent des images et des messages qu’ils ne peuvent pas du tout digérer étant donné leur jeune âge. Sur le plan scolaire, ils sont également surprotégés. Dès qu’une difficulté apparaît, les parents sortent leurs griffes par rapport aux enseignants. Par exemple en école maternelle, les enfants faisaient des jeux extrêmement dangereux à la cour de récréation comme le jeu d’étranglement avec les écharpes. De ce fait, les enseignants interdisaient les écharpes pour éviter les risques d’étranglement. Ces jeux là, les enfants, les ont bien vu quelque part, ils ne les ont pas inventés tous seuls. Ils les ont certainement appris sur les écrans. Dès qu’un problème de ce type se pose, les enseignants appellent les parents pour en parler, et les parents sont alarmés par le danger qu’encourent leurs enfants. En même temps, ces enfants sont complètement abandonnés devant les écrans et en même temps les parents sont très inquiets de ce qui pourrait leur arriver.

Nous constatons un décalage entre la protection dans la vie réelle et dans la vie digitale.

Pourquoi les parents surprotègent leurs enfants ?

Il y a beaucoup d’inquiétude en ce qui concerne la sécurité des enfants. Les faits divers relayés cristallisent les angoisses qui conduisent les parents à surprotéger les enfants. Les informations parlent beaucoup d’insécurité, des problèmes d’enfants kidnappés, agressés qui sont médiatisés d’une manière très forte. Pourtant, c’est une proportion très faible, ce sont des faits heureusement qui sont rares. Leur médiatisation massive leur donne une importance trop grande et les parents sont effrayés. L’enfant pourrait aller à l’école tout seul vers 8 ans, ce n’est pas si compliqué, cela responsabilise au contraire mais les parents sont inquiets.

Quelles sont les conséquences d'une surprotection de l'enfant sur son développement ? Quels sont les réflexes qu'il aura du mal à acquérir ?

Nous ne sommes pas réellement dans une surprotection de l’enfant mais dans un paradoxe. Ils sont abandonnés d’un côté et surprotégé de l’autre. Cette situation est finalement très insécurisante pour l’enfant. 

Le manque de réflexe est difficile à déterminer car c’est en fonction de chaque enfant mais il est vrai que les messages contradictoires sont caractéristiques d’un problème qui pourrait être mental. Nous transmettons un message et son contraire. La personne qui entend les messages, en l’occurrence l’enfant est pris dans une incompréhension, partagé entre une liberté et une absence de celle-ci. Cette situation est déroutante pour l’enfant qui a l’impression de vivre dans un monde incohérent. De ce fait, l’enfant peut avoir du mal à s’intéresser à l’école et à être attentif aux connaissances que lui transmet l’enseignant car il est dans un environnement d’incertitudes.

Un enfant surprotégé, bien souvent, a un parent qui le défend constamment, qui est omniprésent. Le parent va faire de l’interventionnisme. Cet enfant sera à l’écart, vivra dans un monde de « bisounours », l’enfant peut ne pas savoir faire face à des situations un peu compliquées et relationnelles notamment avec d’autres enfants.

Face à des enfants un peu agressifs, provocateurs, l’enfant surprotégé aura du mal à se défendre, à répliquer. Il fera toujours appel à ses parents car il ne sait pas gérer ces situations. L’enfant surprotégé manque de ressources.

Au regard du fait que c’est une surprotection partielle, ces enfants sont livrés à eux même face aux écrans, il se peut qu’ils élaborent des ressources seuls en regardant les écrans. Nous n’avons pas encore du recul face aux phénomènes qui sont très récents mais nous pouvons élaborer ces hypothèses.

Une surprotection pendant l'enfance peut-elle avoir des conséquences en tant qu'adulte, notamment dans le rapport aux autres ?

Un individu surprotégé par des parents qui le couvent aura évidemment peur de prendre des initiatives. Il aura peur de prendre des risques, il aura peur de faire des choses mauvaises. Les parents sans le vouloir le mettent dans un climat d’insécurité en le sécurisant. Les parents ne l’aident pas affronter la vie telle quelle. En effet, un parent doit protéger son enfant d’événements importants et dramatiques mais il doit lui laisser faire un certain nombre d’expériences. Il doit lui dire « c’est pas grave, tu t’es trompé, tu peux reprendre », de façon à ce qu’à travers les expériences, l’enfant acquiert  des ressources, du savoir-faire qui lui permettent de faire face.

Un enfant surprotégé est infantilisé, le parent faisant beaucoup à sa place. C’est un enfant qui vit dans un monde un peu clos et qui ne se risque pas et cela peut ne jamais être de sa faute. Ce sont des enfants qui s’installent dans la toute puissance, ils finissent par penser qu’ils savent tout, qu’ils n’ont rien à apprendre. Lorsqu’ils se trompent, ce n’est jamais de leur faute, c’est toujours la faute d’un tiers. Ils peuvent s’enfermer dans un monde complètement imaginaire parce qu’ils ne se sont jamais affrontés à la vie. Ils ne sont exposés qu’à des expériences positives car ils sont constamment protégés, ce qui a une influence dans leur vie future.

C’est généralement l’enfant qui essaye de stopper cette surprotection en grandissant car des parents surprotecteurs le restent. Ils ont des bénéfices à réagir de la sorte car ils pensent qu’ils ont une valeur importante aux yeux de l’enfant. Ils ont un sentiment de grande proximité et ils souhaitent le garder. D’une certaine façon, ils aliènent un peu l’enfant. La surprotection à l’extrême est une forme d’emprise. En grandissant, l’enfant tente de faire sauter les verrous pour plus d’indépendance, notamment au collège et au lycée.

En situation d'extrême urgence, l'enfant qui a été surprotégé, est-il capable de prendre des décisions ?

C’est très difficile à déterminer mais l’enfant n’a pas les ressources nécessaires car il a été surprotégé, il risque d’être perdu. C’est le risque de la surprotection même si elle n’est pas totale car il y a une intrusion du monde digital qui pénètre jusque dans la chambre de l’enfant. Les enfants dès le plus jeune âge possèdent tous les outils technologiques dans leur chambre. Ils peuvent être abandonnés dans cette société virtuelle. Laisser un enfant surfer librement sur Internet, c’est comme le laisser tout seul se balader dans une ville qu’il ne connaît pas, à n’importe quelle heure. C’est une situation de mise en danger de la vie d’autrui. 

Dans les années 1940 au Royaume-Uni, et sous l'impulsion de l'architecte et militante pour les droits des enfants Lady Marjory Allen of Hurtwood, ce sont développés des "adventure playgrounds" (aires de jeu d'aventure), sortes de terrains de jeu désorganisés conçus pour offrir un espace de liberté et d'invention le moins supervisé possible. Un concept bien loin de faire l'unanimité aujourd'hui... Au grand désespoir de certains observateurs.

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