Pédophilie par webcam : le piège effrayant tendu aux enfants et ados sur les réseaux sociaux<!-- --> | Atlantico.fr
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Un vaste réseau de pédopornographie (voir ici) impliquant près de 250 enfants est en cours de démantèlement.
Un vaste réseau de pédopornographie (voir ici) impliquant près de 250 enfants est en cours de démantèlement.
©Reuters

Loi du silence

Un vaste réseau de pédo-pornographie touchant près de 250 enfants est en cours de démantèlement et la police britannique vient de mener une douzaine d'arrestations. A quel point des réseaux sociaux alimentent-ils les réseaux pédophiles ?

Mohamed Douhane

Mohamed Douhane

Mohamed Douhane est commandant de police, Secrétaire national du syndicat Synergie officiers et enseignant-conférencier en management de la sécurité et de la gestion de crise.


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Atlantico : Un vaste réseau de pédopornographie (voir ici) impliquant près de 250 enfants est en cours de démantèlement. La police britannique, en collaboration avec les services américains, vient de mener une douzaine d'arrestations. Peut-on déterminer quelle est l'étendue de la pédophilie en ligne aujourd'hui ?

Mohammed Douhane : Il convient tout d'abord d’être précis dans les termes que l'on emploie. "Pédophile" est un concept large regroupant des personnes qui ne passent pas nécessairement à l'acte. En ce qui concerne les prédateurs qui constituent une menace réelle pour les enfants, il est plus précis de parler de "pédocriminalité". Les actes de viol et d'attouchement sur les enfants laissent des traces physiques et psychologiques indélébiles, et ce sont très souvent des vies entières qui sont bouleversées.

La pédocriminalité revêt plusieurs visages : prostitution d'enfants, commerce de films pornographiques impliquant des mineurs, réalisation de sites Internet mettant en scène des enfants pratiquant des actes sexuels, etc. Selon certaines ONG, la France a le triste privilège d'être classée en 4ème position mondiale concernant la diffusion et la consommation de contenus pédopornographiques sur Internet. Cette réalité est préoccupante.

On estime à près de 20 000 les prédateurs qui surfent quotidiennement sur des sites diffusant des contenus pédophiles ou sur des forums de discussion fréquentés par les enfants. Ces estimations sont bien sur en deçà de la réalité, car comme pour tous les crimes et délits, il existe un chiffre noir : un écart entre les faits enregistrés par les services de police et de gendarmerie et les faits réellement commis, c'est-à-dire subits par les enfants. Cela s'explique par la loi du silence qui règne au sein de certaines familles et qui empêche souvent la saisine des autorités. On estime que près d'un tiers des agressions sexuelles sur mineurs sont commises par le milieu familial.

Comment ces pratiques se sont-elles développées avec l'arrivée d'Internet ? Ont-elles augmentées depuis ?

Les pédophiles et les pédocriminels agissent comme des prédateurs et utilisent souvent Internet pour traquer les enfants, les séduire ou faire prospérer leur commerce criminel en vendant des photos ou des supports vidéo. C'est un constat tristement banal partagé par tous les policiers chargés de traiter ce type d'affaires, mais aussi les associations de protection de l'enfance.

Le formidable essor d'Internet au début des années 2000 a considérablement amplifié la diffusion de la pédopornographie dans notre pays, faisant des milliers de victimes innocentes. Parfois, les parents sont dépassés par les évolutions technologiques et n'ont aucune idée de qui parle à leurs enfants sur Internet. Les enfants et adolescents peuvent se retrouver pris au piège de mauvaises rencontres avec des adultes. Et que dire de ces milliers de photos postées par les adolescents sur les réseaux sociaux qui parfois se retrouvent sur des sites de rencontre pour adultes ?

Si le contrôle parental peut être activé sur un ordinateur, il n'en est pas de même sur les smartphones, qui ne possèdent pas ces fonctionnalités. Pourtant, certaines études montrent que de nombreux adolescents passent plus de 8 heures par jour sur leurs smaprtphones, particulièrement à l'heure où leurs parents sont au lit. Il faudrait donc développer des fonctionnalités de contrôle parental sur les smartphones et tablettes. Sur Internet, les sites de rencontre pour jeunes adolescents prolifèrent à grande vitesse, et il faut aussi prendre cette réalité à bras le corps.

L'Internet Watch Foundation, ONG spécialisée dans la surveillance des comportements en ligne, a récemment alerté au sujet du danger auquel les adolescents s'exposaient en mettant eux-mêmes en ligne du contenu photographique. Jusqu'à quel point les réseaux sociaux alimentent-ils les réseaux pédophiles ?

Les réseaux sociaux sont un phénomène international de grande ampleur. Ils représentent un moyen de partager des opinions, de se faire des amis ou de les retrouver, voire d'échanger des états d’âme. Mais Facebook est aussi le paradis les voleurs d'identité. Les faux profils pullulent : fausse identité, fausses qualités, fausse photo : tout est permis pour certains afin d'espionner, séduire ou piéger des adultes comme des enfants. Les réseaux pédophiles intègrent les réseaux sociaux, qui facilitent et servent de support à l'action des pédocriminels.

Les risques sont connus. Les adolescents partagent tout sur certains réseaux sociaux : les photos, les informations les plus confidentielles, les adresses, etc. Au fil du temps, Facebook est devenu le temple de l'exhibitionnisme et du voyeurisme. Les risques sont particulièrement importants chez les mineurs en manque de repères et vulnérables sur le plan psychologique et affectif. Les mineurs les plus fragiles sont devenus des proies aisées pour les délinquants sexuels, et tous les ans le ministère de l’Intérieur dénombre en France une quinzaine d'enfants victimes de violences sexuelles de la part de pédophiles rencontrés sur Internet.

En 2009, une affaire a défrayé la chronique en Grande Bretagne, où une jeune Anglaise de 17 ans a été tuée par un prédateur sexuel récidiviste. Il l'avait contactée sur Facebook et avait réussi à la convaincre qu'il était un adolescent ordinaire. Depuis, une ONG britannique milite pour l’installation d'un "panic button" sur Facebook permettant aux adolescents contactés par des internautes majeurs susceptibles d’être des pédophiles de contacter directement la police. Mais pour l'instant, Facebook a toujours refusé de généraliser ce dispositif, craignant probablement que cette fonctionnalité constitue une entrave à la liberté de communication. La sécurité des utilisateurs n'est pas nécessairement la priorité de Facebook...

Quels types de réponses policières ont été apportées ? Des améliorations sont-elles envisageables ?

Les deux principaux axes de l'action policière sont la prévention et la répression. En matière de prévention, les policiers et gendarmes correspondants de l’Éducation nationale interviennent efficacement dans les collèges pour mener des actions de sensibilisation sur les dangers d'Internet. Ce travail est plébiscité par les enseignants et les chefs d'établissement.

En matière répressive, c'est la Direction centrale de la police judiciaire qui est compétente, et en particulier l'"Office Central pour la Répression des Violences aux Personnes" (OCRVP) ainsi que l'"Office Central de Lutte contre la Criminalité liée aux Technologies de l'Information et de la Communication" (OCLCTIC), qui apporte son soutien technique aux enquêteurs en charge des perquisitions informatiques et peut également effectuer une surveillance des sites web, des forum de discussion ou encore localiser des serveurs.

La préfecture de police de Paris dispose également, sur Paris et les trois département de la petite couronne, d'une brigade de protection des mineurs qui est particulièrement active en matière de lutte contre la pédocriminalité. La gendarmerie dispose d'un département de surveillance Internet avec des enquêteurs spécialisés.

L'avantage d'Internet pour les enquêteurs est que le droit à l'oubli n'y existe pas : toutes les traces laissées sont indélébiles. Tout est donc exploitable pour l’élucidation des affaires.

La coopération internationale est indispensable en la matière, car les pédophiles et les pédocriminels se moquent des frontières. Ce type de délinquance est souvent transnational. En 2007, Interpol a créé une cellule spéciale appelée Guardian visant à coordonner les actions menées dans chaque pays, grâce à une importante base de données permettant aux enquêteurs de faire des rapprochements entre les enfants, les auteurs et les images pédopornographiques diffusées sur Internet. Plusieurs centaines d'affaires ont ainsi pu être élucidées.

Cependant, des difficultés subsistent pour harmoniser les législations et les pratiques entre différents pays. Les procédures pénales différentes dans les divers pays européens empêchent parfois les enquêteurs d’élucider les affaires avec la rapidité qu'ils souhaiteraient. Une harmonisation des procédures pénales permettrait de résoudre ce problème.

Par ailleurs, l'action judiciaire est le prolongement indispensable de l'action policière. Il faut améliorer l'efficacité de la chaine pénale. La pédocriminalité est un crime contre l'enfance, qui touche l'humanité dans ce qu'elle a de plus sacré. Le juge a donc un rôle fondamental. Les magistrat doivent prononcer des peines sévères. Lorsque la prévention a échoué, il faut pouvoir prononcer des peines lourdes contre ceux qui portent atteinte à l'intégrité physique des enfants. Or, le traitement pénal n'est pas toujours à la hauteur de la gravité des faits, d'autant plus que les agresseurs sont souvent récidivistes. Au cours de sa vie, un pédocriminel abuse en moyenne de 100 à 150 enfants. Il faudrait donc prononcer des peines d’élimination définitive de la société à l'encontre des récidivistes, car notre devoir est de protéger les enfants qui sont des êtres vulnérables.

Les policiers apprécient énormément la collaboration des OGN, et en particulier leur travail de sensibilisation et de signalement. La collaboration des fournisseurs d'accès Internet et des sites comme Facebook Twitter et Google est également importante. Cette collaboration est aujourd'hui satisfaisante et s'est beaucoup améliorée au cours des années. Mais les difficultés persistent car certains pédophiles stockent leurs données sur des serveurs à l'étranger. Ils choisissent souvent certains pays d'Asie où la lutte contre la pédocriminalité n'est pas une priorité, d'autant qu'elle est malheureusement parfois susceptible de perturber le tourisme... car le tourisme sexuel y est aussi répandu.

La coopération internationale est alors cruciale, à l'instar de l'entraide entre Britanniques et Américains pour le démantèlement de ce réseau impliquant 250 enfants tout récemment. Les pressions diplomatiques peuvent aussi être utilisées comme leviers, pour obtenir des résultats à la hauteur des affaires dramatiques que traitent les policiers et les gendarmes.

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