Comment les photos sont en train de s'imposer comme la force motrice de l'économie Internet

Atlantico : Quel est le pouvoir d'influence de la circulation de photographies sur Internet ? Ont-elles un rôle plus fort que les mots ? 

Michaël Bazoge : Le proverbe est connu, « une image vaut mille mots ». C'était vrai du temps de la presse papier, ça l'est aussi pour Internet où les sites ont un besoin vital d'illustrer de manière pertinente leur contenu. Le rôle de l'image est capital sur le web : les internautes n'ont souvent que quelques secondes à consacrer à un article pour savoir s'ils veulent aller plus loin. Il est nécessaire de capter leur attention immédiatement, et la manière la plus efficace est encore de l'accrocher avec un visuel percutant. Et les images sont, dans ce domaine, bien plus forte que les vidéos :  l'internaute doit en lancer la lecture, accepter de passer dix ou vingt secondes avant de juger s'il poursuive la lecture, il faut parfois visionner une publicité… quand il n'y a pas de problème de connexion. Il faut réellement que le lecteur trouve un intérêt dans une vidéo pour qu'il accepte tout cela. Une image s'impose d'elle-même.

La photographie se présente comme créateur de relations online entre les individus, notamment par leurs facilités de création et de viralisation. En quoi est-elle la richesse d'Internet ? 

L'écriture est une science délicate qui nécessite une certaine expertise technique, ne serait-ce qu'en maîtrise de la grammaire et de l'orthographe ! Au contraire, il n'y a rien de plus facile de créer une photo : il suffit de viser et de tapoter sur un bouton. Les smartphones aujourd'hui embarquent suffisamment de technologies pour réussir presque à coup sûr un cliché, que ce soit en terme de mégapixels, de flash ou de qualité d'image. L'iPhone est d'ailleurs l'« appareil photo » le plus populaire sur le site de partage Flickr. Et c'est évidemment sans compter la grande facilité de partage offerte par les téléphones : ils sont toujours connectés au réseau cellulaire. Et Internet n'a fait que multiplier les possibilités de portage : les documents les plus répandus sur Facebook sont des photos. Et Twitter, qui à la base permet d'échanger des messages texte, mise désormais tout sur les images. Quelle ironie quand on y pense…

Que représentent les photographies pour l'économie d'Internet lorsque l'on voit le succès d'application ou de réseau social essentiellement portés sur la photographie comme Instagram ? 

Les photographies sont un moyen universel, économique et techniquement simple pour faire passer instantanément un message au plus grand nombre, quand un texte nécessite un certain apprentissage de la langue (sans parler de l'éventuelle traduction). La photo est le medium par excellence pour Internet, un espace par essence ouvert au monde et où il s'agit, comme on l'a vu, d'être le plus percutant pour se faire bien comprendre rapidement. En terme d'économie, les sites et applications tirant profit des photos jouent sur du velours : alors que la lecture de texte sur un écran peut fatiguer et nécessite une implication de la part du lecteur, on peut feuilleter des photos pendant des heures sans y prêter plus d'attention que nécessaire. Sans compter que les photographes amateurs acceptent dans la majorité des cas de poster leurs photographies gratuitement…

Pouvons nous dire que le visuel est le fondement même de l'économie sociale online ? 

Ça n'était pas le cas au début des réseaux sociaux, qui se basaient principalement sur du texte (statuts pour Facebook, tweets de 140 caractères…) Il a fallu que les smartphones se démocratisent et permettent de créer des photos les plus qualitatives possibles pour que la photo devienne un des pivots de l'économie sociale. 

Leur accumulation représente-t-elle une puissance collective ? 

Il est certain que le volume de photos aujourd'hui partagées par les internautes du monde entier dessine le portrait de notre monde à un instant T et souligne ses tendances.  Le phénomène des selfies est symptomatique d'une des caractéristiques de l'époque : un certain égoïsme, mais aussi l'envie de partager son individualité et ses différences avec le reste de nos semblables.