48% de maisons de retraite malhonnêtes : mais qui s'occupe des vieux en France ?<!-- --> | Atlantico.fr
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30% des plus de 85 ans sont dans des maisons de retraite médicalisées.
30% des plus de 85 ans sont dans des maisons de retraite médicalisées.
©Reuters

Apprendre à vieillir

La publication de l'étude de la DGCCRF sur les maisons de retraite a mis en avant un des sujets de politique publique majeur, la prise en charge de la vieillesse. Une préoccupation qui effraie les Français au point de constituer un véritable déni collectif.

Serge Guérin

Serge Guérin

Serge Guérin est professeur au Groupe INSEEC, où il dirige le MSc Directeur des établissements de santé. Il est l’auteur d'une vingtaine d'ouvrages dont La nouvelle société des seniors (Michalon 2011), La solidarité ça existe... et en plus ça rapporte ! (Michalon, 2013) et Silver Génération. 10 idées fausses à combattre sur les seniors (Michalon, 2015). Il vient de publier La guerre des générations aura-t-elle lieu? (Calmann-Levy, 2017).

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Atlantico : Combien de personnes âgées sont aujourd'hui en maison de retraite ?

Serge Guérin : On a globalement quinze millions de personnes de plus de 60 ans et déjà 30% des plus de 85 ans sont dans des maisons de retraite médicalisées. Cela représente une petite minorité. Lorsque nous songeons à la vieillesse, nous pensons directement à la maladie alors qu'en réalité 93% des plus de 60 ans vivent chez eux. Ce n'est pas le lot commun de vieillir en maison de retraite contrairement aux idées reçues.

Certains profils sociaux sont-ils davantage représentés que d'autres dans les maisons de retraites ? Y a-t-il une différence d'approche entre catégories sociales sur les modes de prise en charge des personnes âgées ?

L'espérance de vie en bonne santé est largement supérieure dans les milieux favorisés par rapport aux classes modestes. Dans les maisons de retraite, nous retrouvons toutes les catégories, simplement certaines maisons de retraite sont gérées par le logement social ou par le tissu associatif, elles sont souvent d'accès économique plus modéré que celles qui sont gérées par le privé. Il existe des maisons de retraite très luxueuses qui sont pour les gens qui ont davantage de moyens. Les maisons de retraite qui sont gérées par le logement social, nous y trouvons des retraités populaires à revenus modestes. Deux tiers des ménages des retraités sont des ménages de retraités populaires, ceux-là nous les retrouverons plutôt dans les centres liés au monde HLM, il existe plusieurs aides des mutuelles et autres qui permettent aussi à des personnes de condition modeste de pouvoir financer leur retraite.

Nous ne vieillissons pas de la même façon en fonction des origines sociales, en fonction de nos relations familiales, et donc de nos moyens économiques, de l'endroit où l'on habite également. Ce n'est pas pareil d'être au centre d'une grande métropole que dans un territoire périphérique. Les personnes habitant dans une petite ville ou même dans une ville moyenne n'ont pas le même accès aux soins, à une maison de retraite.  

Combien font l'objet d'une prise en charge au sein de la famille ? Quels Français sont les plus susceptibles de recourir à cette solution ? Pour quelles raisons font-ils ce choix (ou ce non choix) ?

Les personnes âgées qui vivent à domicile, ce qui représente une très grande majorité, sont souvent soutenus si c'est un couple, par l'autre personne du couple, sinon par des aidants familiaux qui sont des enfants et plus souvent des filles que des garçons. La vie à domicile des personnes âgées ne peut se faire qu'à condition d'avoir des aidants, des bénévoles qui vont les prendre en charge.

L'aide s'arrête quand les personnes se rendent compte qu'elles ne peuvent plus accompagner la personne, soit ils ne sont plus en bonne santé, soit parce que c'est trop fatigant et trop prenant ou tout simplement parce que cela demande des soins particuliers donc les aidants n'ont pas les compétences. Très souvent c'est un parcours où les proches ont commencé par accompagner la personne et puis c'est devenu impossible à poursuivre. Dans ce cas, le passage en maison de retraite apparaît comme indispensable, c'est la solution la plus humaine.

Constate-t-on une évolution dans les modes de prise en charge ?

Il y aura de plus en plus de foyers de personnes âgées qui n'auront pas les moyens d'accéder aux maisons de retraite médicalisée. Le poids économique peut être un frein, le coût d'accès est trop élevé par rapport aux ressources des familles. D'autres options sont en train de voir le jour.

A ce sujet, la loi Delaunay va soutenir l'adaptation des logements, ce sera une façon de faire en sorte que les personnes âgées puissent vivre à domicile. Il y a une idée de redévelopper des foyers logements qu'on appellera des résidences autonomie, ce ne sont pas des maisons de retraite médicalisées, ce sont des appartements avec des services collectifs comme la sécurité. Ce sont plutôt une sorte d'habitats partagés où les personnes âgées souhaitent vivre et vieillir ensemble. Il y a un réel besoin d'alternatives, de diversité d'offres. Nous allons assister au développement d'approches plus souples et plus complémentaires, il y aura à la fois "rester chez soi" et "vivre en communauté".  

Nous savons que la demande sociale est très majoritairement, à plus de 90%, de vieillir et mourir chez soi. Le "chez soi" pouvant être l'endroit où l'on a toujours habité comme pouvant être d'autres espaces plus confortables, plus sécurisant mais qui reste du "chez soi". Un foyer logement, on s'y sent davantage comme à domicile même s'il y a des services proposés et d'autres personnes. La maison de retraite médicalisée, c'est généralement la vision la plus classique, la plus sanitaire d'une certaine façon. Personne n'en rêve hormis dans des situations obligatoires, quand les familles et les personnes âgées ne voient aucune autre solution en terme simplement de protection et de santé, presque de survie.

Il faut prendre en compte qu'il y a beaucoup de personnes âgées qui vivent seules très longtemps, elles sont un peu oubliées dans des situations très rudes. De plus, elles n'ont pas nécessairement les moyens d'accéder à une maison de retraite. Pour les plus démunis, des aides sociales existent. En revanche, pour les petites classes moyennes, elles passent à la trappe, l'entre-deux peut être assez difficile. Ces personnes vont vivre ou survivre dans un grand dénuement, isolement, ce sont des situations catastrophiques. Pour les familles, si jamais il y en a, ce sont des responsabilités extrêmement rudes. Certaines personnes âgées vendent leur logement, même si c'est un "crève cœur" pour la personne qui souhaitait transmettre le bien à la famille. Les personnes pensent souvent que c'est une sécurité, c'est vrai que plus de 70% des plus de soixante ans sont propriétaires de leur logement mais ce ne sont pas toujours des logements qui sont en plein centre d'une grande métropole. Par conséquent, la valeur sentimentale est énorme mais le prix n'est pas élevé et il arrive qu'elles soient invendables. Il y a une notion de géographie qui est importante. D'où l'idée primordiale de territorialiser les politiques de la vieillesse, ce qui a été parfaitement intégré au projet de loi Delaunay en donnant un poids et une importance au département, car c'est la question du territoire qui prime. Le vieillissement engendre à moins de mobilité et de ce fait c'est la qualité du territoire et sa couverture qui vont compter.  

Quelle est l'attitude des Français sur la prise en compte de la vieillesse ? A quel moment les Français commencent à songer à leur prise en charge future ?

Les Français ne sont pas très sensibles à ce sujet, il y a une grande crainte. Dès que les individus pensent à la vieillesse, ils l'associent à une fin tragique. La dépendance effraie les Français et il y a donc un refus d'y penser qui comprend également un refus d'économiser et de se préparer à cette épreuve. Très peu de personnes participent à des ateliers de prévention, les décisions se prennent très longtemps après et presque lorsqu'il est trop tard. C'est un sujet dont nous avons tellement peur que nous ne voulons pas l'évoquer et les médias n'aident pas car ils représentent une vision caricaturale. Ils parlent uniquement des grands problèmes ou a contrario ils soulignent l'aspect consommateur. L'entre-deux n'est pas très valorisé et la population n'a aucunement envie d'en parler, plombée par la peur de vieillir et la dépendance aux autres. Nous sommes face à une forme de déni collectif même s'il y a de plus en plus de personnes qui vieillissent et donc qui en prennent conscience. C'est un sujet de politique publique majeur, en 2050 il y aura presque 5 millions de personnes de plus de 80 ans. Il y en avait 600 000 en 1980, ce sont des croissances considérables. Evidemment, toutes ces personnes ne seront pas en perte d'autonomie mais un certain nombre auront besoin de soutiens. Même si nous observons du progrès, la meilleure façon de vivre bien reste de le prévoir en amont, de faire attention à sa nutrition, d'être dans un logement adapté. Un environnement adapté permet de mieux vivre le vieillissement. Typiquement, une personne en perte de motricité, s'il y a un ascenseur, pourra mieux le gérer alors que les escaliers comme l'on peut voir dans le métro, cela est très compliqué.

Les Français songent à leur prise en charge trop tardivement, c'est très souvent quand les problèmes sont déjà largement présents. Nous devrions intégrer des facilités même si les personnes âgées ne veulent pas transformer leur domicile en maison de retraite. Les personnes ne veulent pas renvoyer une image de leur domicile comme un logement pour vieux.

Le déni est vraiment très fort car nous vivons dans une société qui survalorise la jeunesse à défaut d'aimer les jeunes et l'idéologie est celle de la rapidité, de la force, de l'énergie, de l'efficacité, des technologies. Les notions d'enracinement, d'expérience, de distance, de lenteur, ce sont des valeurs qui ne sont absolument pas mises en avant par notre société.

Vieillir, c'est la pratique même du développement durable, nous vieillissons et donc nous nous développons durablement. Par ailleurs, lorsque nous vieillissons, nous gardons plus longtemps des objets or si les personnes disparaissaient plus tôt, d'autres arrivent et ces derniers vont s'équiper. Le système n'est pas fait pour un allongement de la vie, il faudra que les choses s'adaptent et que la durabilité des objets soit en cohérence avec la durabilité des vies.

Il est nécessaire de mettre en avant une prévention pour montrer que cette logique est rentable. Lorsque les personnes interviennent plus tôt, ils sont moins touchés par des maladies, des déficits économiques. Par ailleurs, la société s'y retrouvera car si les personnes sont moins malades, elles consomment moins de médicaments et cela réduira le déficit de la sécurité sociale. Il y a un intérêt global mais il faut réussir à changer de perspectives. 

Propos recueillis par Karima Benamer

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