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Bobo et chômeur à la fois : "quand j'ai fini par toucher le fond après des mois de désinvolture"
©Reuters

Bonnes feuilles

Bomeur ? Bobo-chômeur, une espèce de plus en plus répandue en ces temps de crise. Un portrait romanesque des 20-35 ans, génération qui n'a connu que la crise, mais qui n'a pas renoncé pour autant à la désinvolture. Extrait de "Le bomeur", de Nathanaël Rouas, aux éditions Robert Laffont (2/2).

Lundi 1er juillet 2013

L’argent mis de côté pendant ma période prébomage s’amenuise de jour en jour. Je n’ai rien de concret en plus dans ma vie, tout est parti en futilités. En pastis d’après-midi, en demis d’apéro, en restos, en bouteilles de vin de dîner, en vodkas-Get-Perrier de soirée.

Je n’ai plus rien à me mettre. Ma garde-robe est la même depuis deux ans. Les quatre premiers mois, elle était encore assez efficace. Un an et demi après, je suis dépassé.

Je n’arrive plus à sortir de chez moi sans essayer quatorze tenues différentes. Aucune ne me plaît.

C’est le bordel dans le placard, la peinture de ma salle de bains s’écaille, mon appartement me déprime.

Je n’ai toujours pas réagi.

Je n’arrive plus à réagir.

Tout devient compliqué et source de prise de tête.

Je n’ai plus envie de rien.

Plus envie d’être dans le beau.

Plus envie d’être beau.

Je me trouve moche en fait.

Quand j’étais encore employé, je me sentais assez confiant en arrivant en soirée. Il ne pouvait pas m’arriver grand-chose. Je me plaisais à moi-même, donc je plaisais aux autres.

Aujourd’hui, l’image que je me renvoie est fade, sans intérêt. Faudrait un filtre Instagram sur ma vie pour l’embellir. Mon regard se baisse, ma voix porte moins, je n’arrive plus à avoir d’avis objectifs, je suis absent des débats.

Je suis devenu un suiveur.

J’écoute sans rien dire.

Les avis de mes potes deviennent les miens. Je n’ai plus aucune analyse. Je m’enferme dans une sorte de parano sans issue.

Je sombre.

Je sombre complètement.

Le moindre souci devient une prise de tête insurmontable.

Mon cerveau tourne aussi vite que lorsque je devais trouver des idées.

Mais il tourne aujourd’hui au service de noires pensées.

Mes amis entendent en continu les mêmes remises en question, les mêmes problèmes qui reviennent. Plus personne ne peut m’aider.

Anouk est une de mes obsessions.

Pourquoi l’ai-je ratée ?

Pourquoi n’est-elle pas tombée amoureuse de moi ?

Comment a-t-elle pu ne pas tomber amoureuse de moi ?

Si j’avais eu un boulot, est-ce que notre relation aurait été vraiment différente ?

C’est juste une connasse ?

C’était moi le relou de l’histoire ?

C’est à cause de mon chômage.

Ouais, c’est juste à cause de mon chômage en fait.

Quoique.

Plus personne ne me comprend. Je parle dans le vide.

Les mêmes conseils reviennent.

Les mêmes réponses.

Les mêmes questions. En permanence.

Une permanence de questions.

Le travail c’est la santé.

J’ai longtemps pensé que c’était une connerie de dire cela.

Ma santé mentale ne va pas bien du tout.

Le travail sert à oublier les tracas du quotidien. C’est de l’abrutissement qui efface les maux que nous avons tous en nous.

Je ne fais plus rire personne en disant que je me réveille à 11 h 32 tous les matins et que mes soirées sont incroyables. C’était la seule façon pour moi d’exister, mais mon public connaît déjà toutes les vannes de ce one man show trop souvent répété.

« Ce n’est pas ton chômage qui m’a éloigné Nat, c’est ce que tu as voulu en faire. Faire croire aux autres que tu avais la vie la plus cool du monde. Alors que t’as une vie de merde. Mais assume-le et bouge-toi le cul ! T’es devenu une parodie de toi-même. »

Voilà le seul texto que j’ai reçu de Anouk.

Je tombe sur une histoire racontée sur Facebook. Barack et Michelle Obama sont dans un restaurant. Michelle s’éloigne quelques minutes avec le gérant pour discuter. Elle est assez proche de lui, ils rigolent, se prennent dans les bras. À son retour à table, Barack Obama lui demande d’où elle connaît ce type.

— Lui ? C’est mon premier amour !

— Ah c’est dingue ! T’imagines, si tu étais restée avec lui, tu serais aujourd’hui la femme d’un restaurateur.

— Non, si j’étais resté avec lui, il serait aujourd’hui président des États-Unis.

Bon bah avec Anouk, je pense que je serais resté restaurateur, hein. C’est pas la meilleure personne à avoir à mes côtés pour surmonter cette période de ma vie.

Il faut avoir été au moins une fois au chômage pour comprendre les mécanismes psychologiques qui se mettent en place. Y a rien de cool dans le chômage. C’est de la merde le chômage. Tu te le prends dans la gueule sans avoir rien demandé, et t’es seul dans ta galère.

— T’en as bien profité, quand même...

— Pas du tout, Rox, c’est dur comme situation.

— Arrête un peu, t’as pas arrêté de sortir, de partir en vacances, de t’éclater, t’es le premier à le dire. Avec le CV que t’as, t’aurais pu retrouver du taf en deux semaines.

— Sauf que je ne savais pas ce que je voulais faire. Tu peux pas comprendre, tu ne t’es jamais retrouvé dans cette situation.

— Ouais ouais, OK, donc je ne peux pas parler de choses qui ne me sont pas arrivées en fait.

— Bah ouais.

— Et ton pote bomeur, là, celui qui s’est barré en tour du monde sur le compte du chômage ?

— Ouais mais bon là aussi... c’est pas pareil.

C’est une angoisse de se lever le matin en sachant que tu n’as rien à faire, que tu pourrais rester toute la journée dans ton lit, que ça ne changerait rien.

T’es coupé du monde.

Je n’en veux à personne de ne pas comprendre ma situation, j’étais pareil qu’eux avant mon bomage. Le « Mais putain, bouge-toi, trouve un taf et tu verras », je l’ai répété des centaines de fois à John lorsqu’il était au chômage et que je bossais. Je ne comprenais pas sa réponse : « Je ne sais pas ce que je veux faire. »

Aujourd’hui, c’est à moi de donner cette réponse. Je n’ai plus aucune conviction, plus aucune envie. J’ai l’impression de faire ma crise de la quarantaine à 26 ans.

Mon chômage, c’est exactement la même chose que l’accident de scoot que j’ai eu le mois dernier.

Mes amis et ma famille ont un peu fait attention à moi pour savoir si tout allait bien.

Puis j’ai pensé que tout allait bien donc je leur ai répondu que tout allait bien.

Puis tout le monde s’est éloigné.

Puis une fille est restée à mes côtés.

Puis j’ai commencé à ressentir la douleur et à me rendre compte que finalement tout n’allait pas si bien que ça.

Puis la fille s’est elle aussi cassée.

Puis je me suis retrouvé seul avec ma douleur.

J’ai essayé pendant un an de rendre ma situation cool, pourtant je me rapproche de plus en plus de Karine Viard sous la pluie avec ses trois gosses sur les bras devant son usine qui ferme à Dunkerque pendant une heure trente d’un film français interminable. Je n’ai même plus le droit de partir d’une soirée sans que l’on me fasse comprendre que je ne sers à rien.

Quand j’avais un boulot, je pouvais m’esquiver d’un rendez-vous, d’un déjeuner, d’un dîner, d’une soirée grâce à une technique assez simple : le fameux « Bon, allez, ciaotoutlemondefautqjyaille ! ».

Le « faut » faisant croire aux personnes qui m’entouraient que j’avais des obligations, que je n’avais pas trop envie d’en parler, mais que j’avais vraiment un truc à faire. Du coup, personne n’enchaînait.

Cette stratégie marche pour tout le monde... sauf pour moi depuis que je suis au bomage.

— Bon allez, jme casse, faut que j’y aille.

— Bah, t’as quoi à faire ?

En un texto de merde, Anouk parvient à toucher mon ego.

Le dernier brin d’ego qui subsiste en moi. Elle continue à me prendre pour une merde. Même après notre rupture, elle continue à me marcher dessus.

Ça y est, je touche le fond de la piscine. Et je vois même pas comment je vais pouvoir remonter à la surface.

Extrait de "Le bomeur", de Nathanaël Rouas, aux éditions Robert Laffont. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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