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Chronique de dynasties d'élus : Dallas chez les Ceccaldi
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Bonnes feuilles

Parmi les 550000 élus locaux qui, dans l'ombre, retissent le lien social, une poignée d'irréductibles défraie la chronique. Presse aux ordres, majorité le doigt sur la couture du pantalon et droits de l'opposition réduits à peau de chagrin : chez ces barons, décentralisation rime rarement avec démocratisation. Issus de dynasties d'élus ou accros au cumul des mandats, ces nouveaux féodaux exercent un pouvoir sans partage. Extrait de "Les Barons", de Jean-Baptiste Forray aux éditions Flammarion (1/2).

Jean-Baptiste Forray

Jean-Baptiste Forray

Jean-Baptiste Forray est rédacteur en chef délégué de La Gazette des Communes. Il a déjà publié Les Barons et La République des apparatchiks.

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Une commune qui roule sur l’or

Bienvenue au royaume des Ceccaldi, dont les coups fourrés et les frasques font les délices des Hauts-de-Seine. Un pays béni des dieux étatiques, où l’argent public coule à flot.

La paisible localité accueille, sur son territoire, les deux tiers du plus grand quartier d’affaire d’Europe, La Défense. Son potentiel fiscal par habitant fait d’elle l’une des communes les plus riches de France. Grâce aux royalties dégagées sur le Manhattan français, le budget de la voisine de Neuilly-sur-Seine flirte avec les cimes (277 millions d’euros). Il est près de trois fois plus élevé que celui de Tarbes à la population pourtant équivalente (45 000 habitants).

Autant dire que la ville, située dans l’ancienne circonscription législative de Nicolas Sarkozy, attise les convoitises. Dans les années 1980, Brice Hortefeux se serait bien vu calife à la place du calife. Le lieutenant du député-maire RPR de Neuilly avait déjà mis un pied dans la place. Charles Ceccaldi-Raynaud l’avait fait entrer au conseil municipal en 1983. Mais dès que le jeune loup a laissé traîner une dent sur le parquet lustré, le maire l’a renvoyé de l’autre côté de la Seine.

Le roi Charles chauffait la place pour son fils. Au début des années 1990, Louis Ceccaldi-Raynaud a trouvé la mort en réparant un engin agricole dans la propriété familiale de Sainte-Lucie de Porto-Vecchio en Corse du Sud. Il avait trois enfants, dont l’un encore bébé. Paysan dans l’âme, le fils n’avait pas hérité de la fibre politique.

Le roi Charles ne s’est jamais remis de cette tragédie, à laquelle a succédé la perte de son épouse adorée qui, seule, parvenait à canaliser ses poussées de fièvre. Ce grand macho devant l’éternel a dû se rabattre sur sa fille. Il lui a mis le pied à l’étrier au conseil municipal et au conseil général, puis, une fois devenu sénateur, lui a transmis la suppléance du député Sarkozy. Après une hospitalisation, le patriarche a passé la main en 2004. À mi-mandat, il a hissé Joëlle sur le fauteuil de maire.

Compte au Luxembourg

Charles, qui garde alors dans sa manche la présidence de l’Office HLM, croit pouvoir continuer à tirer les ficelles… Il en est pour ses frais. Au bout d’à peine quelques mois, le père entre en guerre ouverte contre la fille, transformant le conseil municipal en représentation des Atrides. Son blog1 se fait le réceptacle d’une haine sans limite. Petit florilège :

« Elle ne ment que depuis qu’elle parle. »

« Ne pas avoir de diplômes à cause de troubles de la personnalité, on l’admet. Qu’on s’attribue par une cascade de mensonges des titres qu’on ne possède pas, c’est indigne d’un maire. »

« Une fille qui dénigre son père auquel elle doit tout est indigne d’administrer les autres. »

Charles Ceccaldi-Raynaud pousse le vice jusqu’à se présenter contre « l’usurpatrice » aux municipales de 2008. Durant toute la campagne, il déverse des tombereaux d’acide sur son enfant. Faute de retrouver son sceptre, le roi déchu doit, en principe, grâce à ses 8 % au second tour, conserver un siège au conseil municipal.

C’est omettre la règle qui interdit à plus de deux membres de la même famille de siéger dans une même assemblée locale. Or, madame le maire a fait élire en 2008 sur la liste victorieuse son fils de vingt-neuf ans, Vincent Franchi. Il y a un Ceccaldi de trop à Puteaux ! Le moins bien élu, Charles, doit faire place nette.

Indésirable dans le grandiose hôtel de ville, Charles Ceccaldi-Raynaud peut toujours compter sur les bureaux des juges pour écumer sa rage. Soupçonné d’avoir touché une commission de 5 millions de francs (762 000 euros) lors du renouvellement, en 2001, du méga-marché de chauffage urbain de La Défense (2,7 millions de m2 et 9 000 logements), le patriarche proteste de son innocence. Pour mieux accuser sa fille d’en avoir croqué.

Le papa poule, selon Le Canard enchaîné du 19 octobre 20111, cite le nom de la banque où elle aurait mis de l’argent au frais… Le juge d’instruction Richard Pallain, d’après le journal, retrouve trace d’un compte ouvert en 1996 au Luxembourg, au nom de Joëlle Ceccaldi-Raynaud, « conseiller général de la mairie de Puteaux et vice-président du conseil général des Hauts-de-Seine ».

« L’expert a chiffré à plus de 4 millions d’euros le total des avoirs présents début 2005 sur les comptes ouverts à la banque privée Edmond de Rothschild. Depuis, le pognon s’est fait la belle. On ne sait où… », s’étonne Le Canard enchaîné.

Les Bettencourt de Puteaux

Les Putéoliens n’auront guère le loisir de lire cet article. Quelque six cents exemplaires du Canard enchaîné s’envolent dans la matinée du 19 octobre 2011. Tous achetés, selon l’hebdomadaire, par un employé municipal…

Joëlle Ceccaldi-Raynaud, entendue dans l’enquête judiciaire en tant que témoin assisté, préfère son cher magazine municipal. C’est dans les colonnes de Puteaux Infos qu’elle se justifie : « J’ai effectivement eu un compte à l’étranger, mais ce, avant de devenir maire de Puteaux. Cet argent provenait de fonds purement privés, de fonds familiaux n’ayant aucun rapport avec une quelconque affaire. »

Et l’édile, dans un rare entretien accordé au Parisien1, de « réfléchir » tout haut « à la mise en place d’une mesure judiciaire de protection » à l’égard de son père. Depuis, le feuilleton, qui n’avait rien à envier aux bisbilles mère-fille des Bettencourt à Neuilly, s’est ralenti.

L’enquête sur le compte à l’étranger de Joëlle Ceccaldi- Raynaud s’est perdue, durant de longs mois, dans les sables de Tahiti, où le juge Richard Pallain a été muté à la rentrée 2011. Charles Ceccaldi-Raynaud, désormais basé dans la banlieue de Toulouse, selon un savoureux article du Point de 2012, s’est fait plus discret avec le grand âge.

Un lien est établi à l’été 2013. À l’autre bout de fil, le souffle est court, mais le ton ferme. Armé de son inimitable accent corse, Charles Ceccaldi-Raynaud déploie son art oratoire, mélange d’enflure et de fulgurance. De Puteaux, le roi déchu n’entend guère parler. De sa fille, encore moins.

Sa grande affaire du moment, c’est la guerre d’Algérie. « J’achève une lettre, enfin un livre sur le sujet2 », dit Charles Cecaldi-Raynaud. Intarissable sur les volte-face de Guy Mollet et du général de Gaulle, il parle, au téléphone, comme jadis devant le palais des sports de Puteaux. Le patriarche achève, ainsi, son tableau historique : « Il manquait, à cette époque, des hommes exceptionnels. »

« Cher ami, merci de m’avoir appelé. Je lirai votre livre avec le plus grand plaisir », lâche-t-il soudain. Impossible de le ramener à une période plus récente. « Bip, bip, bip… » : le facétieux octogénaire a déjà raccroché.

Extrait de "Les Barons - Ces élus qui osent tout !", de Jean-Baptiste Forra, aux éditions Flammarion. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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