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Quand la réalité rattrape la fiction
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Affaire DSK

Scénariste de la série "Engrenages" sur Canal +, Guy-Patrick Sainderichin s'est intéressé pour Atlantico aux ressorts dramaturgiques de "l'affaire DSK". La réalité n'est bien-sûr pas une fiction, mais cet événement lui offre l'occasion de porter un regard critique sur les séries télé françaises actuelles.

Guy-Patrick Sainderichin

Guy-Patrick Sainderichin

Guy-Patrick Sainderichin est scénariste de télévision. Il a notamment écrit la première saison de la série Engrenages (Canal +), et collabore régulièrement à la série Section de Recherches (TF1). 

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Depuis quelques jours, en boucle sur nos chaînes, Dominique Strauss-Kahn enchaîné, blême, entre deux policiers, mené au banc des accusés avec une barbe de trois jours : un personnage de série américaine. Et nous, fiction française, qu’en ferions-nous ? Me sachant scénariste de télévision, mes amis s’adressent à moi d’un air gourmand : quel sujet formidable, non ?

La France : patrie de la série policière

Il y aurait plusieurs manières d’aborder cette affaire. La première qui vient à l’esprit est policière. Elle consiste à reconstituer, au moyen de l’enquête, ce qui s’est réellement passé dans la suite 2806. Rien de plus simple. Nous avons une immense expertise en matière d’enquêtes télévisuelles. La France est sans doute le pays au monde où la présence à l’antenne du genre de la série policière d’enquête s’apparente le plus à la monoculture. Les rares héros qui ne sont pas organiquement employés des services de police le sont de manière fonctionnelle. Ils peuvent être brocanteurs, juges, assistantes sociales, médecins, prêtres, peu importe, c’est en flics qu’ils se comportent. Ils n’ont qu’une idée en tête : enquêter, démasquer le coupable.

Cela présente plusieurs inconvénients. La monotonie, pour commencer. Vous n’en avez pas marre, vous ? Nous, à écrire, honnêtement, il y a des moments où nous n’en pouvons plus de recueillir des indices, de vérifier des alibis et de recouper des témoignages. Mais le défaut le plus grave du genre policier ordinaire est ailleurs : par nature, l’enquête porte sur ce qui a eu lieu. Elle se penche sur le passé. Il est parfois récent, il est parfois tout frais. Mais c’est le passé. Dans la presque totalité des cas, une série policière est une histoire qui regarde en arrière. Cela peut être intéressant. Cela peut réserver des surprises et des révélations. Mais, comment dire ? Si on regarde en arrière, il n’est pas certain que l’on puisse tellement avancer. Certes, on s’active, on a des choses à faire, des investigations à mener. Mais c’est toujours pour repasser là où cela s’est déjà passé. Pour revenir sur les faits. Et aboutir à une solution unique.

Quitte à s’inspirer de l’affaire Strauss-Kahn, d’autres genres seront préférables, où notre fiction nationale est d’ailleurs nettement déficitaire. Par exemple, le genre judiciaire, ou encore le genre politique.

Séries judiciaires : les Américains plus réalistes que les Français

En France, le genre judiciaire relève le plus souvent de la fantaisie. Alice Nevers ou La loi selon Bartoli, quelque opinion que l’on ait des qualités de ces séries, n’accordent pas au code de procédure pénale une attention très soutenue. Elles ne font que refléter le mépris général du droit et du réalisme qui caractérise notre fiction, ou au mieux l’indifférence envers eux, à de très rares exceptions près. De sorte que le téléspectateur français connaît bien la procédure américaine, mais à peine la procédure française.

Le genre judiciaire est pourtant captivant. Il met en scène le doute, l’incertitude, l’impossibilité de savoir et l’obligation de décider. Coupable ? Innocent ? Il s’agit de trancher. Chaque personnage est tiraillé, tous se partagent entre des visions opposées et incompatibles dont aucune ne peut prétendre à la certitude. En même temps que le réalisme judiciaire éduquera au droit, fondement de nos sociétés, la fiction enseignera la complexité, la dignité et la diversité des points de vue. Il me semble que c’est ce que doit souhaiter un public adulte, avide de sensations morales fortes.

Quand la fiction politique permet aux scénaristes de se projeter vers l'avant

Quant à la fiction politique, les attitudes contrastées et souvent embarrassées des politiciens français de la majorité comme de l’opposition ont donné ces dernières heures une idée fort pittoresque de ses développements possibles. Elle offre l’avantage inestimable de montrer des gens qui se projettent en permanence dans l’avenir (et pour lesquels, au demeurant, la vérité factuelle de la suite 2806 est de maigre importance). Cet avenir est tantôt celui du journal de vingt heures, tantôt celui de la prochaine élection, tantôt (pour les meilleurs) celui de la France. Mais il implique que l’on se batte pour lui. Si l’enquête est de la reconstitution, la politique est de l’action. Et, à moins qu’il ne s’agisse de propagande, c’est de l’action ouverte, qui laisse toujours place à l’idée que l’on aurait pu faire autrement, et que personne n’a raison d’avance. C’est tout de même plus marrant. 

Il y a une dernière remarque que je voudrais faire. Un site d’information taïwanais a jugé bon d’offrir aux internautes une reconstitution du drame du Sofitel qui mêle des animations en 3D et des images réelles (de l’aéroport, de l’avion, de l’hôtel, de DSK, etc.) Autrement dit, on a mis des images sur des hypothèses, des rumeurs, des demi-vérités. Et les hypothèses, les rumeurs, les demi-vérités sont devenues des images : indiscutables. Cela fait un peu froid dans le dos, mais, encore mieux, cela renvoie à un débat classique chez les scénaristes : jusqu'à quel point a-t-on droit au flash-back menteur ? Ce débat ne manque pas de charme. Ce sera pour une prochaine fois.

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