20e disposition législative retoquée par le Conseil constitutionnel en moins de 2 ans : le gouvernement est-il incompétent ou irrespectueux des institutions ?<!-- --> | Atlantico.fr
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20 textes de loi a été retoqués par le Conseil constitutionnel depuis mai 2012.
20 textes de loi a été retoqués par le Conseil constitutionnel depuis mai 2012.
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L'idée d'un "fichier positif" recensant les crédits à la consommation accordés aux particuliers inscrite dans la loi Hamon sur la consommation a été censurée par le Conseil constitutionnel.

Didier Maus

Didier Maus

Didier Maus est Président émérite de l’association française de droit constitutionnel et ancien maire de Samois-sur-Seine (2014-2020).

 

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Atlantico : L'idée d'un "fichier positif" (recensant les crédits à la consommation accordés aux particuliers) inscrite dans la loi Hamon sur la consommation a été censurée par le Conseil constitutionnel. C'est le vingtième texte retoqué depuis mai 2012. Faut-il y voir une marque d'incompétence ou un manque de respect des institutions ? 

Didier Maus : Il y a nécessairement dans l’action d’un gouvernement et les décisions d’un Parlement un risque juridique. La sécurité à 100% ne peut exister. Il n’y a donc ni incompétence ni manque de respect des institutions, mais simplement le fonctionnement normal du contrôle de constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel a pris soin de juger que la création d’un fichier des crédits à la consommation accordés aux particuliers est un objectif d’intérêt général, ce qui paraît logique. Il a, par contre, considéré que les atteintes portées à la vie privée étaient trop importantes par rapport cet objectif. C’est largement une question de mesure, de « proportionnalité » comme disent les juristes et comme le relève le Conseil constitutionnel.

Il est important de considérer que toute censure, surtout partielle d’une loi aussi complexe, ne signifie pas un « couac » de plus du gouvernement. Le contrôle du Conseil constitutionnel est une garantie du respect des libertés fondamentales. La vie privée, on le voit dans beaucoup d’autres affaires en ce moment, est une notion essentielle, mais elle doit, de manière très limitée, être mise en balance avec d’autres valeurs des droits de l’homme.

Est-ce réellement complexe pour le législateur d'anticiper un texte conforme lorsqu'il passera au crible du Conseil constitutionnel ? 

L’élaboration d’une loi est un processus à étapes successives. Entre le projet du gouvernement, qui bénéficie de l’expertise du Conseil d’État, et le vote final il y a les amendements et les navettes entre l’Assemblée nationale et le Sénat. La préoccupation constitutionnelle est constante et fréquemment évoquée dans les hémicycles, soit par les parlementaires (majorité et opposition confondues) soit par le gouvernement lui-même. L’enjeu constitutionnel est parfois même au  cœur du débat, par exemple pour les lois sur le port de la burka ou le mariage entre personnes du même sexe. En matière fiscale, il y a souvent des échanges très approfondis sur la constitutionnalité de tel ou tel impôt. On se souvient de la censure, en 2012, de l’impôt à 75% sur les revenus et son acceptation, en 2013, après une modification totale de son dispositif.

Il arrive qu’une majorité, de gauche comme de droite, adopte une disposition en sachant qu’elle contient un véritable risque constitutionnel. Face à l’évolution de la jurisprudence, cette attitude est normale.

Il n'y aucun renouvellement de siège prévu au Conseil constitutionnel avant 2016. Cela signifie-t-il que le rythme de censure restera le même ? Les trois nominations prévues en 2016 peuvent-elle changer la donne ? 

Le rythme des censures n’est évidemment pas lié à la composition du Conseil constitutionnel. Il existe désormais un véritable corpus de jurisprudence. Il est régulièrement complété et enrichi grâce aux décisions rendues, comme ici, entre le vote du Parlement et la promulgation de la loi et les très nombreuses décisions rendues à propos de lois existantes à travers le mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

En réalité l’activité du Conseil constitutionnel en matière de contrôle a priori est très largement dépendante du nombre et de l’importance des lois votées par le Parlement. Il est normal qu’une nouvelle majorité ait pour ambition d’adopter des lois meilleures que celles en vigueur. Il est tout aussi logique que l’opposition cherche à obtenir la censure d’une partie des nouvelles lois. Le système fonctionne à l’identique en cas de changement de majorité.

Le respect des droits de l’homme, des droits fondamentaux et des équilibres constitutionnels est, heureusement, indépendant des majorités politiques.

Constate-t-on globalement une évolution dans le niveau de "sévérité" du Conseil constitutionnel ? Y a-t-il des évolutions du côté des sages de la rue de Montpensier qui expliqueraient le nombre important de textes censurés ?

Pour répondre à une telle question, il faut se plonger dans des statistiques très détaillées et tenir compte, par exemple, de l’importance de la disposition censurée par rapport à l’équilibre général de la loi ou de la partie de la loi concernée. Une approche purement circonstancielle n’a pas de sens.

Il est, par contre, très aisé de relever que le Conseil constitutionnel est très précis dans le domaine des « libertés classiques », comme ici la vie privée et qu’il estime, en général, que dans le domaine des réformes de la société, domaine très peu encadré par la Constitution, il existe une présomption de conformité en faveur du texte adopté par le Parlement.

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