Assurance chômage : syndicats et Medef sont d'accord pour faire payer les cadres... mais sont-ils vraiment des nantis ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Le Medef propose de déplafonner le délai de carence pour les personnes licenciées qui partent avec un "gros chèque" en poche.
Le Medef propose de déplafonner le délai de carence pour les personnes licenciées qui partent avec un "gros chèque" en poche.
©Reuters

Riche d'argent, pauvre de temps

Le Medef propose de déplafonner le délai de carence pour les personnes licenciées qui partent avec un "gros chèque" en poche. Une manière de soulager financièrement le régime des allocations chômage.

Atlantico : Les personnes licenciées avec des indemnités supra-légales pourraient voir s'allonger le délai de carence appliqué avant de toucher leurs allocations chômage. Dans quelle mesure cette proposition du Medef pourrait-elle affecter les premiers concernés que sont les cadres ?

Eric Verhaeghe : Parce que ce sont les cadres qui perçoivent les indemnités supra-légales les plus importantes et, disons, les plus "hors normes". Disons même que ce dossier concerne au premier chef les cadres supérieurs ou cadres dirigeants qui sont en capacité d'imposer à leur employeur, au moment de leur licenciement, un départ négocié dans des conditions très privilégiées. On peut d'ailleurs peut-être signaler qu'un certain nombre de contrats de travail comporte une clause dite d'indemnité parachute, qui prévoit en cas de licenciement un montant minimal d'indemnité supra-légale. Certains contrats prévoient par exemple qu'en cas de licenciement individuel, le salarié concerné percevra au minimum dix-huit mois ou vingt-quatre mois de salaires. Aujourd'hui, le délai de carence pour ces personnes est de 75 jours.

Les cadres versent déjà 39 % des cotisations, et ne touchent que 18 % des allocations. Sont-ils la « vache à lait » des allocations chômage ? Faut-il exiger davantage d’efforts de leur part (et de tous, quels qu'ils soient) ?

Eric Verhaeghe : Le principe d'un système assurantiel est la mutualisation du risque. Il faut que bien que certains paient plus que d'autres pour faire tourner le système, sinon on a un problème. C'est la même chose que pour l'assurance automobile: si vous n'assurez que les mauvais conducteurs et exonérez les bons, votre système est plombé. Il faut, pour que le système marche, qu'il y ait du "bon risque", comme on dit, c'est-à-dire des gens qui s'assurent mais qui coûteront moins cher que les primes qu'ils paient. Maintenant, on peut considérer que, face à ces bons clients, l'UNEDIC pourrait se montrer plus attentive en évitant de leur demander des efforts supplémentaires, alors qu'ils sont déjà des contributeurs nets du système. Ici, il me semble que la position du MEDEF est en retrait par rapport à un certain nombre de principes dont elle prétend s'inspirer. En particulier, on pourrait imaginer de créer un système de chômage complémentaire pour les cadres, et réserver le système de base au-dessous de 2.400 euros de salaires, par exemple.

Outre cette proposition du Medef, les cadres font souvent office de bouc-émissaire : sont-ils trop rémunérés ? Leurs conditions de travail et leur niveau de responsabilité justifient-ils leur salaire ?

Eric Verhaeghe : Je crois que personne n'est jamais assez rémunéré pour le travail qu'il fait. Il faut arrêter avec cette logique malthusienne du travail qui consiste à penser qu'il est trop payé. On peut même penser que si les salaires augmentaient, l'économie française se porterait mieux. En fait, dans l'idée que le travail est trop payé, il n'y a aucune vérité économique, mais seulement des sous-entendus sociaux et moraux. Cette conviction, véhiculée par une partie du patronat, selon laquelle le travail serait trop bien rémunéré, renvoie discrètement à une vision de la société où les actionnaires et les "travailleurs" sont organisés de façon hiérarchique : il y aurait les nobles qui héritent et qui détiennent la rente (qui n'est jamais assez rémunérée), et les travailleurs qui coûtent toujours trop chers pour les services qu'ils rendent. Avec cette mentalité, il ne faut évidemment pas s'étonner que le travail soit devenu une valeur ringarde, ou honteuse, assimilée à l'image du pigeon qui se lève chaque matin pour se faire exploiter. Revalorisons le travail, et la société française retrouvera déjà une partie de sa cohésion.

Sandra Hoibian : Les cadres gagnent en moyenne 2,5 fois plus que les employés. Si on intègre les impôts, les allocations qui sont moindres, etc., on garde un écart de 1,8. On peut donc dire que financièrement, ils sont plus à l’aise, même après redistribution et impôts.

Entre les cadres eux-mêmes, il existe des disparités. Si le salaire moyen est de 4 000 euros, les cadres dirigeants, eux, touchent aux alentours de 10 000. Dans les grandes entreprises le salaire moyen se fixe à 11 000 euros, selon les dernières données. Si on prend en compte le patrimoine, là aussi les disparités sont importantes entre cadres en employés. 68 % sont propriétaires de leur logement, contre 34 % des employés. Cela n’est pas anecdotique, puisque si le logement est remboursé, c’est tout un pan de salaire qui est libéré, et si on est encore en train de rembourser, cela constitue tout de même un volet financier plus important à terme, au moment de la retraite. Ils sont donc plus aisés et bénéficient en moyenne d’une meilleure sécurité matérielle.

Lorsqu’on leur demande comment ils considèrent l’évolution de leurs conditions de vie ces dernières années (enquête Conditions de vie, menée depuis 30 ans), 60 % disent que leur niveau de vie s’est amélioré au cours des cinq dernières années, contre 43 % des employés.

Sur le plan de la santé (maux de dos, nervosité, états dépressifs…), ils sont 35 % à dire qu’ils ont souffert de nervosité récemment, contre 50 % des employés. En revanche, là où ils sont désavantagés par rapport au reste de la population, c’est dans le temps de travail. Les deux tiers des cadres ont le sentiment qu’il leur manque du temps libre, contre 40 % chez les ouvriers.

Pour autant, sont-ils des nantis ? C’est là qu’interviennent les valeurs propres à chacun : qu’est-ce que le mérite ? Dans quelle mesure un éboueur ou un cadre est-il méritant ? Pénibilité, niveau de responsabilité, productivité marchande… la valorisation financière ou non de ces éléments est profondément d'ordre éthique. L’entreprise valorise le diplôme, alors que la majorité des Français valorise l’effort...

Finalement, la fonction de cadre est-elle enviable ? Vaut-il mieux l’être en grande entreprise ou en PME ?

Sandra Hoibian : Au niveau financier, oui, mais elle s’accompagne de sacrifices temporels, ainsi que vis-à-vis de ses amis et de sa famille. Cette situation est enviable, ce qui ne veut pas dire pour autant qu’elle est imméritée.

Les grandes entreprises garantissent de meilleurs revenus. Les plus petites structures peuvent permettre de donner plus de responsabilités et de toucher à plus de choses différentes. Pour les Français, l’une des choses les plus importantes est l’ambiance de travail, les relations qu’ils auront avec leurs collègues proches. Les petites entreprises apportent souvent un cadre plus familial... Ce sont les grandes entreprises qui focalisent le débat public, et pourtant elles ne représentent que 38 % des salariés. Tout est affaire d'aspirations personnelles.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !