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Le pape François.
Le pape François.
©Reuters

Bonnes feuilles

Il y un an, Jorge Mario Bergoglio devenait le pape François, 266e évêque de Rome. Le grand public a alors découvert un homme suscitant un mélange de sympathie et de profonde ferveur. Extrait de "L'homme qui ne voulait pas être pape", une enquête sans précédent dans les coulisses du Vatican, par Nicolas Diat.

Nicolas Diat

Nicolas Diat

Nicolas Diat est considéré comme un des meilleurs spécialistes du Vatican. 
 
"Un temps pour mourir" de Nicolas Diat
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Dans LeJésuite, conversations avec Jorge Mario Bergoglio, Francesca Ambrogetti et Sergio Rubin écrivent : « Comment vous présenteriez-vous face à un groupe qui ne vous connaît pas ? – Jorge Mario Bergoglio, curé. Cela me plaît d’être curé. »

Pour comprendre le pape François, il est indispensable de s’extraire du tourbillon qui l’entoure presque continûment depuis son élection. En particulier, plus que pour d’autres papes, la vraie connaissance s’avère possible en réalisant une forme de retraite avec ceux qui ont connu Jorge Mario Bergoglio avant la renonciation de Benoît XVI. Jusqu’en 2013, le cardinal argentin était resté relativement dans l’ombre. Le conclave de 2005 et les journées de rencontres de l’épiscopat latino-américain à Aparecida en 2007 ont en partie révélé l’archevêque. La retraite fut volontaire car cet homme se tenait toujours à l’écart du bruit et des emballements de l’instant, une attitude de vie élevée au rang de méthode, qui n’est pas sans faire penser à Joseph Ratzinger.

Parler avec les témoins de Buenos Aires : les effets de loupes médiatiques depuis l’élection sont si forts que leurs paroles peuvent se révéler utiles. Le nouveau pape est un homme secret qui ne prise guère l’ostentation. Malgré les apparences, il y a en lui une forme de solitude instinctive, une pudeur qui rechigne à chercher les lumières de la communication. Mais le voici au centre d’une nébuleuse qui ne fond pas. Les journalistes ne cessent de scruter avec curiosité les recoins de son agenda.

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Désormais, François accepte de s’entretenir avec les représentants de la presse internationale. Avant mars 2013, il n’en était pas ainsi. L’archevêque de Buenos Aires lisait abondamment les journaux mais il voyait peu les journalistes…

Surtout, Jorge Mario Bergoglio venait le moins possible à Rome. En tant que cardinal, il demeurait soumis à un certain nombre d’obligations qui réclamaient sa présence dans la Ville éternelle, en particulier pour les séances plénières des congrégations dont il était membre. Parfois il ne se rendait pas au Vatican alors même que les autres cardinaux y étaient rassemblés, comme lors du consistoire de février 2012.

En fait, Jorge Mario Bergoglio répugnait à aborder le monde tortueux et complexe de la Curie romaine. Pendant longtemps, il s’est tenu informé grâce à Mgr Mario Marini, ami intime, mort le 24 mai 2009. Ce dernier a fini sa vie trop courte emporté par un cancer. En poste à la commission Ecclesia Dei au moment de son décès, c’était un connaisseur hors pair de la vie curiale, de ses ombres et de ses secrets aussi. Il avait constitué un petit groupe qui se retrouvait lors de leurs passages romains. Le cardinal hondurien Oscar Maradiaga, aujourd’hui membre prééminent du conseil des cardinaux du pape, participait également à ces rencontres informelles.

Le témoignage que nous avons choisi de donner est celui d’un prélat de ce cercle, un homme que le cardinal Bergoglio aimait consulter pour comprendre, à distance, ce qui se passait à Rome. Une relation vive et simple se nouait au fil des ans, d’autant plus forte que Jorge Mario Bergoglio fait partie des hommes qui cultivent l’amitié.

« En Argentine, Jorge Mario Bergoglio était d’abord un homme de proximité. Lorsque je pensais à lui, l’image évangélique du bon pasteur s’imposait toujours à ma pensée. Je crois qu’il n’a cessé d’être un prêtre et un religieux proche du peuple que la Providence lui confiait. Il resta un évêque et un cardinal sans affectation, proche de ses diocésains. Cette simplicité était très rassurante pour le clergé qui fut placé sous sa responsabilité. Comme archevêque de Buenos Aires, il a consacré beaucoup de temps aux prêtres ; voilà un pasteur qui passait la plupart de ses dimanches et de ses vacances avec eux, comme un père avec ses enfants. Cette sollicitude s’accompagnait d’une grande rigueur, qui était aussi une sévérité, dans le discernement des vocations. Mgr Bergoglio a toujours voulu des séminaristes affermis dans la foi plutôt que des vocations nombreuses, le fond plus que la forme. En un mot, il préférait la qualité des séminaristes aux chiffres qui restent des illusions. Pour les jeunes qui se préparent à une vie religieuse, il n’a jamais refusé un moment de son temps. La haute idée qu’il se faisait de l’accompagnement des futurs prêtres révélait le jésuite qu’il demeurait au plus profond de lui. Car Jorge Mario Bergoglio est vraiment un fils d’Ignace de Loyola, dont il a gardé la merveilleuse rigueur ; les antiques traditions les plus éprouvées de la Compagnie de Jésus sont la toile de fond de sa vie sacerdotale. Le cardinal argentin Eduardo Francisco Pironio, dont il était proche, connaissait mieux que quiconque la profonde spiritualité jésuite de Jorge Mario Bergoglio. Le cardinal Pironio est l’homme qui a conseillé au cardinal Antonio Quarracino de choisir Mgr Bergoglio comme son successeur à Buenos Aires. »

Le sentiment affleure que si Jean-Paul II a donné un élan visionnaire à l’Église, si Benoît XVI restera le pontife qui a proposé une introduction rationnelle au mystère de la foi, François pourrait permettre à l’Église d’entrer de nouveau au plus profond d’elle-même, pour redécouvrir la perfection et la simplicité de l’ascétisme.

Ainsi, pour ce connaisseur du pape, « depuis qu’il est prêtre, Jorge Mario Bergoglio se lève à 4 h 30 du matin, puis il demeure pour méditer devant le saint sacrement, seul face au tabernacle, jusqu’à sa messe de 7 heures. Alors que je lui demandais si les homélies quotidiennes à la maison Sainte-Marthe, où il loge depuis qu’il a été élu pape, ne constituaient pas un danger pour lui, car un pontife ne doit peut-être pas parler publiquement tous les jours, il m’a répondu qu’il serait bien triste pour un homme consacré à Dieu de ne pas parvenir à trouver quelques bonnes idées en restant deux heures devant la Présence réelle du Christ… En fait, il a toujours aimé répéter les mêmes phrases pour que son message soit compris ; à l’image des jésuites, Jorge Mario Bergoglio accorde une grande importance à la pédagogie. Il fait preuve d’une grande rigueur intellectuelle, mais il veut être compris. Par ailleurs, il ne faut jamais oublier qu’il a beaucoup souffert pour rester un jésuite sérieux, fidèle à l’esprit traditionnel de la Compagnie. Lorsqu’il a été envoyé en exil, à la tête d’un collège jésuite de Córdoba, par la direction des jésuites de l’époque, il en a été meurtri. Ce fut une période difficile. Ensuite, lors de ses passages à Rome, il logeait toujours à la maison du clergé, Via della Scrofa. Jusqu’au dernier conclave, il n’est jamais descendu à la Curie générale des jésuites, dans le Borgo, près du Vatican. Il est vrai que la Compagnie a traversé dans les années soixante-dix une crise considérable. Sous la direction du père Arrupe, les jésuites opérèrent un tournant radical dans leur histoire qui ne fut pas sans heurts ni crispations. De cette période, je pense qu’il a gardé une certaine âpreté dans ses rapports avec autrui. Pour autant, il est aussi dur avec lui-même. À Buenos Aires, avant son pontificat, il était assez introverti. Le siège de Pierre a changé quelque chose en lui. Mais je pense que certains traits demeureront ».

Pour son ami, du point de vue de la gestion des affaires, « Jorge  Mario Bergoglio a toujours été un jésuite habile à gouverner, mais son administration était solitaire. Il écoutait beaucoup, il consultait à profusion, mais il décidait seul, et il entendait que sa décision soit rigoureusement appliquée ! À Rome, le nouveau pape agira de même. Après le temps du dialogue et de l’écoute, il n’aime guère la désobéissance… Il s’informe, il décide et il gouverne ! Les cent cinquante premiers jours de son pontificat, François a gouverné seul. Cette forme de solitude s’accompagne d’une profonde détermination et d’une constance remarquable. Le cardinal Bergoglio n’a jamais pris de décisions immédiates. Il n’était pas un homme influençable. À Rome, certains chercheront peut-être à lui tendre des pièges, mais il n’en déviera pas moins, au contraire, du cap qu’il s’est fixé. Je pense qu’il existe en lui une grande fièvre, une quête amoureuse de Dieu. Jorge Mario Bergoglio agit pour Dieu en toute chose. Il ne travaille pas dans le doute car il sait qu’il agit pour Dieu seul. Le pape François ne ressemble pas à Paul VI, qu’il apprécie pourtant beaucoup, traversé de mille angoisses et de drames intérieurs ; son sens de la décision ne se double pas d’une tragédie personnelle. L’heure du choix achevé, Jorge Mario Bergoglio peut devenir une lame tranchante. Cette détermination ne ressemble pourtant pas à un autoritarisme de nature politique. »

Pour ce témoin capital, le quotidien même de l’ancien cardinal argentin semble un point de réflexion important : « L’exemple de sa vie simple, dépouillée et humble, invite plus que toute chose à l’écouter. Un homme qui ne part jamais en vacances pour continuer à travailler au service de la gloire de Dieu possède inévitablement une autorité supérieure. À Buenos Aires, il aimait se reposer dans la chartreuse San José, qui se trouvait non loin de Córdoba. Comment désobéir à un homme qui s’impose une telle rigueur spirituelle et humaine ! En fait, Jorge Mario Bergoglio possède l’art du gouvernement forgé par la grande tradition de la Compagnie de Jésus. Il n’aime pas le mauvais esprit, à la façon d’un collège jésuite bien tenu. Il ne goûte guère les impertinences… Jorge Mario Bergoglio est un homme d’une grande humilité qui réprouve la prétention et l’ambition carriériste. Il a donné le meilleur exemple de son abaissement par les sentiments qu’il a manifestés vis-à-vis de Joseph Ratzinger, qui est lui aussi un maître en humilité. En déclarant que l’encyclique Lumen Fidei était en grande part l’œuvre de Benoît XVI, le pape a fait preuve d’une remarquable modestie face à l’importance des qualités intellectuelles de l’ancien pape. François sait tout ce que l’Église doit à son prédécesseur sur le siège de Pierre. »

Signée par le pape François le 29 juin 2013, la première encyclique du pontificat est presque tout entière l’œuvre de Benoît XVI. Le cadre général avait été préparé par Mgr Renato Fisichella pour l’ancien pape, qui en avait quasi achevé la rédaction au moment de son départ. Des pages importantes du texte reposent sur une réflexion consacrée au rapport entre la foi et la raison, thème de prédilection bien connu de Benoît XVI. De même, avec la liberté intellectuelle si propre à Joseph Ratzinger, l’encyclique évoque des auteurs athées ou agnostiques, tel Jean-Jacques Rousseau, dont elle cite l’Émile et la Lettre à Monseigneur de Beaumont. L’ancien pape évoque le philosophe qui s’exclamait : « Que d’hommes entre Dieu et moi ; est-ce aussi simple et naturel que Dieu ait été chercher Moïse pour parler à Jean-Jacques Rousseau ? »

François a accepté de reprendre ce texte sur la foi d’autant plus aisément qu’il partage les analyses de Benoît XVI et qu’il admire sincèrement la vigueur de sa pensée.

Dès 2005, le futur pape argentin a reconnu, avec une prescience rare, l’importance de Joseph Ratzinger dans l’histoire de l’Église du dernier demi-siècle. Il était convaincu que l’ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi a été la colonne vertébrale théologique de toute l’Église depuis la fin des années soixante-dix. François considère que le catholicisme est aujourd’hui en ordre de marche doctrinal grâce au travail effectué par Joseph Ratzinger sous le règne de Jean-Paul II, puis tout au long de son pontificat. Il pense que l’Église peut d’autant mieux partir vers les périphéries qu’elle possède une boussole exacte.

Il est vrai que Jean-Paul II a su construire un élan missionnaire, d’autant plus solide que l’Église était unifiée d’un point de vue doctrinal, théologique et intellectuel. Selon de nombreux témoins, François garde un difficile souvenir des égarements idéologiques des années soixante-dix, en particulier les dérives de la théologie de la libération, dont il relève la primauté donnée aux pauvres, mais récuse la politisation. De ce point de vue, les papes polonais et argentin se reposent en grande partie sur l’œuvre de Joseph Ratzinger.

Dans l’encyclique Lumen Fidei, un passage presque anodin est un résumé symbolique extraordinaire du rôle hors norme de Joseph Ratzinger : « Mus par le désir d’illuminer toute réalité à partir de l’amour de Dieu manifesté en Jésus et cherchant à aimer avec le même amour, les premiers chrétiens trouvèrent dans le monde grec, dans sa faim de vérité, un partenaire idoine pour le dialogue. La rencontre du message évangélique avec la pensée philosophique du monde antique fut un passage déterminant pour que l’Évangile arrive à tous les peuples. Elle favorisa une interaction féconde entre foi et raison, interaction qui s’est toujours développée au cours des siècles jusqu’à nos jours. Le bienheureux Jean-Paul II, dans sa Lettre encyclique Fides etRatio, a fait voir comment foi et raison se renforcent réciproquement. […] Dans la vie de saint Augustin, nous trouvons un exemple significatif de ce cheminement au cours duquel la recherche de la raison, avec son désir de vérité et de clarté, a été intégrée dans l’horizon de la foi, dont elle a reçu une nouvelle compréhension. » Lumen Fidei, écrite par Benoît XVI et signée par François, mentionne avec force une autre encyclique, Fides et Ratio, signée par Jean-Paul II et entièrement inspirée par Joseph Ratzinger…

En outre, Lumen Fidei étudie avec soin l’expérience de l’évêque d’Hippone, et l’union, dans sa vie même, de la foi et de la raison. Augustin représente incontestablement le maître à penser de Joseph Ratzinger. L’augustinisme est la racine de nombre des interventions principielles de Benoît XVI, et François a reconnu bien vite qu’il possédait une grande admiration pour ce Père de l’Église.

Dans le sillage de sa longue réflexion à la Congrégation pour la doctrine de la foi, Benoît XVI a construit son pontificat sur la contemplation rationnelle des vérités de la foi. Au centre d’un monde qui est souvent au-delà de la raison, dans la déraison de la passion, voire dans les pulsions, Benoît XVI fut souvent isolé dans le fondement même de sa démarche. François connaît parfaitement le courage, la patience, l’abnégation et l’importance du combat de Benoît XVI.

De ce point de vue, la conclusion d’un proche de Joseph Ratzinger est une note d’espérance, loin des arguties des douteurs ou des sceptiques : « François saura magnifier le cœur du travail de Benoît XVI en trouvant de nouveaux mots, une autre sémantique, qui parleront différemment. Il a cette capacité de savoir s’adresser au cœur de l’homme, ce qui fait son génie propre. Jorge Mario Bergoglio possède, avec une facilité déconcertante, l’art de toucher les populations, et il contourne souvent les problèmes pour mieux les traiter ! Cet homme aime provoquer, se différencier, choisir des phrases qui dérangent pour réveiller les consciences qu’il trouve toujours trop endolories. Mais pourtant, Jorge Mario Bergoglio ne sera pas un pape de rupture. Il n’a jamais été un évêque porté par une idéologie. »

Pour cet ami de longue date du nouveau pape, la devise de l’archevêque de Buenos Aires aurait pu être ce précepte de saint François de Sales, adressé à Jeanne de Chantal avec qui il fonda l’ordre de la Visitation : « Il faut tout faire par amour et non par force. Il faut plus aimer l’obéissance que craindre la désobéissance. » Pourquoi cette radicalité ? Pourquoi cette maîtrise de soi ? « En Argentine, le cardinal Bergoglio était un homme facile à rencontrer. Dans la mesure où il aimait être sur le terrain, avec ses prêtres, dans les paroisses populaires, à la cathédrale pour confesser ou pour célébrer sa messe, il n’y avait aucune difficulté pour le saluer et lui parler. Il s’agit d’un fait d’autant plus important que la situation est différente pour le reste de l’épiscopat argentin. Les hauts prélats du pays sont souvent conservateurs, ultralégitimistes, garants d’une forme d’ordre social. Il y a des conservateurs accessibles mais Mgr Bergoglio n’appartenait pas à cette veine un peu statique. Il restait libre et n’avait pas peur de parler, sans être imprudent ni offensant. Sa parole sociale était forte ; les inégalités déclenchaient souvent ses interventions marquantes. Il refusait au plus profond de lui de se taire à l’heure de dénoncer pauvreté et corruption. »

Selon ce même témoin, les relations entre Jorge Mario Bergoglio et le couple présidentiel argentin sont particulièrement révélatrices : « Les péronistes, ainsi que le couple Kirchner, ne pouvaient accepter l’attitude du jésuite, d’autant qu’ils étaient par essence persuadés d’être les seuls dépositaires de la défense du peuple. La relation entre le cardinal Bergoglio et le couple présidentiel devint explosive. Pourtant, dans l’histoire de l’Église d’Argentine, l’archevêque de Buenos Aires a rarement eu des relations de défiance aussi fortes vis-à-vis du pouvoir établi. Le souci de Jorge Mario Bergoglio était ailleurs ; les bons rapports avec le monde politique lui importaient peu. Le jésuite était habité par le seul désir de la qualité de vie du peuple et des plus pauvres. Il y avait en lui une force irréductible qui le poussait à parler lorsqu’il le jugeait nécessaire. Je pense que le cardinal possédait une conscience précise de sa singularité dans l’Église. Il demeurait différent de ses pairs, mais il ne se trouvait pas isolé. Sa radicalité ne l’a pas empêché d’être élu président de la Conférence des évêques argentins. L’archevêque de Buenos Aires inspirait une forme de respect naturel ; la conformité absolue de sa parole et de sa vie quotidienne était la source de sa supériorité morale. Il n’avait pas de ressentiment particulier contre les mondanités ; Jorge Mario Bergoglio les ignorait simplement ! En fait, il possédait une forme d’austérité assez singulière. Car il ne se tenait pas à l’écart des débats publics. Il avait souvent une connaissance aiguë de l’actualité. Jorge Mario Bergoglio était profondément un homme de gouvernement, un homme qui n’avait pas peur de diriger et qui ne reculait pas devant les décisions. Il était le contraire d’un ingénu naïf. Voilà un homme sachant fort bien ce qu’il voulait… À Buenos Aires, il gouvernait seul, sans appartenir ni à la catégorie des modérés, ni à celle des conservateurs, encore moins à la sensibilité progressiste. Jorge Mario Bergoglio était un bâtisseur et un reconstructeur. En ce sens, il aimait déjà passionnément l’esprit de saint François d’Assise. L’importance de l’engagement pour l’Église latino-américaine a marqué les dernières années de son épiscopat. La conférence d’Aparecida reste son grand œuvre testamentaire pour ce continent qu’il aime. »

Quelles sont les influences jésuites du pape ? Pour cet intime, « le père Jean-Yves Calvez, décédé en janvier 2010, qui venait souvent le voir en Argentine, a tenu la place d’un ami fidèle et d’un modèle. Le fruit de sa réflexion philosophique et théologique a beaucoup marqué sa pensée ».

Finalement, à la lumière de ce grand témoignage, comment parler le mieux de Jorge Mario Bergoglio et de François ? Il suffit certainement de dire qu’il est un homme de compassion, un être au regard aigu. Jorge Mario Bergoglio est un contemplatif dans l’action. Contemplationis in actione, cette formule du jésuite Jérôme Nadal a marqué la vie de beaucoup des fils de la Compagnie.

Dans cette belle esquisse d’un proche, nous trouvons le visage du jeune garçon du quartier de Flores, celui des Argentins de Buenos Aires d’origine italienne ; nous voyons s’avancer un jésuite épris de justice pour les pauvres, reflet de la gloire de Dieu, un cardinal « du bout du monde », qui fit prier des pauvres, en 2007, pour son frère le cardinal Lustiger, qu’il admirait pour son courage ; il y a enfin la flamme d’une devise épiscopale, que le pape a choisi de conserver : Miserando atque eligendo, « Appelé parce que pardonné ». Cette formule, reprise de Bède le Vénérable, résume la pensée de Jorge Mario Bergoglio sur lui-même : être objet de miséricorde et être élu.

Cette spiritualité du pape se retrouve dans les toutes premières paroles, le jour de son élection. À la question du vice-doyen, le cardinal Re : « Acceptasne electionem de te canonice factam in SummumPontificem ? », « Acceptes-tu ton élection qui fait de toi canoniquement le souverain pontife ? », Jorge Mario Bergoglio répondit avec certitude : « Je suis pécheur et j’en ai conscience, mais j’ai une grande confiance dans la miséricorde de Dieu. Puisque vous m’avez élu ou, plutôt, puisque Dieu m’a choisi, j’accepte. »


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