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Jackpot : ce dumping dont jouissent les grands vins français grâce aux aides de la PAC
©Reuters

Bonnes feuilles

Pour la première fois, l'enquête inédite d'Isabelle Saporta dévoile la face cachée de nos vins et la férocité d'un petit monde raffiné où tous les coups sont permis. Extrait de "Vino business", Isabelle Saporta, chez Albin Michel (2/2).

Isabelle Saporta

Isabelle Saporta

Isabelle Saporta est journaliste, chroniqueuse à Europe 1 et auteur de documentaires pour France 3. En 2011, elle a publié Le livre noir de l'agriculture (Fayard).

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Ah, la gabegie de la Politique agricole commune ! Ne cesse-t-on pas d’épingler ses dérives et ses dévoiements ? Cet argent public parti en fumée pour financer des projets coûteux et souvent polluants ? Ces céréaliers beaucerons qui, des années durant, en ont été les heureux bénéficiaires tout en ayant un niveau de vie à faire pâlir d’envie les éleveurs ?

Mais nos seigneurs viticoles touchent-ils des aides de la Pac ? Le royaume des malins du Sud-Ouest est-il arrivé à aspirer la pompe de l’argent public ?

Et pourquoi non !

De fait, l’étude minutieuse des bénéficiaires de cette manne publique se révèle des plus instructives. On y apprend notamment que les Grands Chais de France, l’un des mastodontes du négoce français avec un chiffre d’affaires de 841 millions d’euros en 2012, a touché 1 341 885,91 euros de subventions entre 2009 et 2010 ; 1 855 016 euros entre 2010 et 2011, et 1 357 455,18 euros entre 2011 et 2012.

Castel Frères, numéro 1 des vins français, propriétaire notamment des cavistes Nicolas, présent sur cinq continents et brassant chaque année quelque 640 millions de bouteilles de vin, a touché, quant à lui, 3 244 578,60 euros entre 2010 et 2011, et 1 620 379,36 euros entre 2011 et 2012.

Et qu’en est-il des organes de lobbying des Bordelais ? L’interprofession des vins de Bordeaux par exemple, ce CIVB qui, de l’avis général, n’a pas fait voeu de pauvreté ? Il a touché la coquette somme de 5 895 609,05 euros entre 2009 et 2010, et de nouveau 6 082 710,84 euros entre 2011 et 2012.

Et ces fameux cercles qui organisent chaque année les primeurs et qui parviennent à attirer dans leur toile les plus grands critiques du monde entier ? Ils reçoivent aussi l’argent de nos impôts ! 1 399 100 euros (2009-2010), puis 1 094 253,20 (2011-2012) pour l’Union des grands crus, l’un des lieux de passage de Robert Parker. Et pour notre dévoué Alain Raynaud et son cercle Rive droite, combien d’argent public ? 368 000 euros sur la période 2011-2012 ! C’est bien rémunérer un cercle très privé d’initiés prospères triés sur le volet…

Et nos nouveaux classés A ? Gérard Perse de Pavie et Hubert de Boüard ? Perse, le self-made-man fortuné, a engrangé l’an passé 211 158,17 euros pour Château Pavie Société agricole, auxquels s’ajoutent 73 200,84 euros au titre d’une autre société exploitante. Rappelons que cet homme de l’année de la Revue du vin de France est propriétaire de très nombreuses propriétés dont le très prestigieux Pavie (la bouteille vaut dans les 300 euros), de parts dans le Château Monbousquet, mais également le Relais & Châteaux l’Hostellerie de Plaisance dont les cuisines étaient, jusque très récemment, sous la férule du grand chef Philippe Etchebest.

Quant à Hubert de Boüard, la société civile Château La Fleur Saint-Georges aura touché près d’un million d’euros (969 744,54 euros) entre 2010 et 2011. C’est là-bas qu’il a fait construire ces fameux chais tronconiques inversés. Ceux-là mêmes qui lui avaient coûté, rien qu’en cuverie, la bagatelle de 900 000 euros317. Rassurons-nous, son investissement a été bien vite rentabilisé grâce à la générosité de Bruxelles ! Le propriétaire en convient d’ailleurs et se félicite d’« avoir utilisé les fonds européens comme d’autres l’ont fait318 », ajoutant, comme une mise en garde envers ses camarades : « Je ne suis pas là pour les citer mais il y en a beaucoup d’autres319. » Et de conclure, un rien élitiste, que « si on ne donnait ces subventions qu’à ceux qui sont incapables de se développer, ce serait compliqué. Que voulez-vous faire avec les gens qui n’ont pas les moyens320 ? ».

Réjouissons-nous donc que l’argent public aille aux nantis plutôt qu’aux précaires qui, décidément, ne sauraient pas s’en servir à bon escient !

Mais sur le fond, l’homme a raison quand il dit ne pas être le seul à avoir profité de cette manne : Bruxelles a ainsi versé 297 millions d’euros aux viticulteurs français entre 2009 et 2011 pour que ces derniers puissent s’offrir des cuves dignes de James Bond.

Cet argent a donc été versé à nos riches vignerons pour qu’ils refassent leurs chais, mais aussi pour promouvoir le Bordelais et soutenir son marché. Comme s’ils en avaient besoin !

On comprend mieux pourquoi nos amis asiatiques, qui essaient vaille que vaille de lancer leur viticulture, se sont à ce point arc-boutés contre les aides aux vignerons français… Souvenez-vous : il a suffi que Bruxelles brandisse la menace d’une taxation des panneaux solaires chinois pour que ces derniers promettent de lancer une enquête sur le dumping dont jouiraient les vins français.

La crise est passée, en attendant la prochaine. Mais les analyses de ce fabuleux acheteur de nos crus qu’est la Chine sont-elles réellement fallacieuses et injustifiées ?

Extrait de "Vino business", Isabelle Saporta, chez Albin Michel, 2014. Pour acheter ce livre,cliquez ici.

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