Génération fourmis : pourquoi la génération Y est l'une des plus prudentes de l’histoire et comment c'est en train de changer l'économie<!-- --> | Atlantico.fr
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La génération Y économise en attendant des jours meilleurs.
La génération Y économise en attendant des jours meilleurs.
©Reuters

Slow down

Plus apte à épargner qu'à investir, plus apte à partager qu'à consommer de façon individuelle, la génération Y économise en attendant des jours meilleurs.

Julien Pouget

Julien Pouget

Julien Pouget s'intéresse aux évolutions de la société et à leur impact dans l'entreprise. Président du cabinet JP & Associés, il est l'auteur du livre Intégrer et manager génération Y et anime le blog La génération Y.

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Atlantico : Selon une enquête des économistes de l'UBS Wealth Management, même si elle a le désir d'entreprendre, la génération Y serait plus apte à épargner qu'à investir son argent dans l'acquisition d'une voiture ou d'un logement. Comment peut-on expliquer ce phénomène ? Même si la crise économique rend frileux, quels sont les autres aspects qui entrent en compte ?

Julien Pouget : Pour moi il y a deux explications principales. La première concerne le revenu disponible. Comme ce revenu est moindre pour cette génération, une fois que les besoins primaires d'alimentation, de logement, d'études sont remplis, le revenu disponible susceptible d'être investi est moindre. En début de carrière, on note aussi une certaine précarité et lorsque le jeune a un emploi, le revenu se situe plutôt dans les tranches de salaire les plus basses, il ne lui reste donc pas beaucoup à épargner non plus. 

Deuxième explication, je pense que nous sommes face à une génération qui affiche une sorte de défiance à l'égard des institutions, notamment face aux systèmes de retraite et de maladie. Autant les générations précédentes ont une certaine confiance dans le système - avec l'idée que les cotisations qu'ils versent et qu'ils ont versé en tant que salariés leur donnent droit à une retraite - autant les plus jeunes sont à peu près convaincus qu'ils vont cotiser une bonne partie de leur vie sans pour autant en bénéficier plus tard. Ainsi, quand on n'a pas confiance dans le système, il est logique que l'épargne de précaution devienne plus importante. Il n'est donc pas étonnant qu'il y ai chez cette génération une propension plus importante à épargner qu'à consommer.

En quoi l'apparition des Smartphones et de l'économie de partage pourrait expliquer ces comportements ? 

La consommation collaborative est effectivement fortement facilitée par les Smartphones et en général par les technologies. Internet est un outil qui permet de passer d'une consommation en pleine propriété (auparavant le principe était que pour consommer un produit ou un service vous deviez en être le principal propriétaire) à une consommation collaborative. La génération Y consomme en fonction des ses besoins, au moment où elle en a besoin. Et cette mode explose grâce à la conjugaison de deux facteurs. D'une part, les jeunes qui ont moins d'argent, auront plus tendance à co-acheter, ou à co-consommer de façon générale. D'autre part, la facilité à utiliser les technologies, leur permet d'aller plus facilement sur des sites tels qu'Airbnb ou ZipCar. Pour eux, l'utilisation d'outils de consommation collaborative semble assez simple.

Si l'achat de voitures et l'acquisition de logements ont longtemps été des éléments de relance de l'économie, en quoi l'apparition de ces comportements peut changer la donne ?

Aujourd'hui les deux marchés que nous évoquons sont assez différents. Dans l'immobilier, nous sommes face en France à un marché assez étonnant car notre pays est l'un des seuls en Europe où la bulle n'a pas explosé. Le résultat est que l'on a un marché de l'immobilier beaucoup trop hors d'accès pour les jeunes. Les prix de l'immobilier sont tels que les primo-accédants sont ceux qui souffrent le plus. Les jeunes arrivent donc bien après les actifs et les retraités qui ont un pouvoir d'achat nettement supérieur. Cela se vérifie dans toutes les statistiques de l'immobilier où l'on voit que l'âge moyen de l'acquisition immobilière est de plus en plus élevée. Nous sommes dans une logique de plus en plus patrimoniale, c'est-à-dire qu'avant d'acheter, il faut avoir un apport. Lorsque vous êtes jeunes, vos n'avez en général pas de patrimoine. Tant que la bulle n'aura pas explosé, les jeunes seront durablement en dehors du marché immobilier.

Le second marché, celui de la voiture est un peu différent, au sens où il y a une évolution de fond qui est celle du rapport de la génération Y à la propriété. Pour le bien immobilier,  je pense que les jeunes ont toujours l'envie d'être propriétaires mais qu'ils ne le peuvent pas. Pour la voiture, beaucoup de jeunes ont grandit dans des environnements urbains avec une utilisation des transports en commun, des vélib, la voiture semble ainsi moins porteuse de valeur. A l'époque des baby-boomers, la voiture représentait une espèce de liberté absolue. Il fallait avoir son propre véhicule pour pouvoir fumer dedans et mettre de la musique très fort. Cela se rattachait à l'idée de liberté, un signe de l'indépendance, du passage à l'âge devenir adulte… Aujourd'hui des jeunes ont toujours envie d'avoir une voiture mais il n y a plus ce rapport à l'idéal de liberté. Elle fait toujours rêver mais pas autant qu'avant. Et l'idée de consommation collaborative par Internet permet finalement de remplir ces besoins en voiture de manière plus efficace en terme de budget. Donc on retrouve une relation à la propriété moins marquée pour cette génération et une puissance de l'argument économique qui fait que l'on peut satisfaire un besoin de manière plus efficace économiquement en copartageant.

Dans le cas de l'automobile, les marques ont-elles intérêt à changer de méthodes pour s'assurer des ventes futures ?

Le fait que les modes de consommation de cette génération soient différents est à la fois un risque et une opportunité pour les marques de voitures. Si les marques proposent  les mêmes produits que ceux proposés auparavant, c'est-à-dire des voitures individuelles, chères à l'achat, qui consomment  beaucoup, et qui sont polluantes, évidemment, ils ne feront pas beaucoup de bénéfices avec cette génération. En revanche, il leur faudra proposer des produits différents, plus économes et peut-être proposer non plus de l'achat en pleine propriété mais de plus en plus de locations longues ou courtes durées, des produits et des services différents. Des segments low-cost feront probablement leurs apparitions. Des constructeurs comme Renault ont des offres low-cost dans d'autres pays comme en Roumanie notamment, ce sont des stratégies pour l'instant cantonnées à des pays dits en développement mais il se peut que face à une population de jeunes ne souhaitant pas dépenser trop d'argent, le low-cost pourrait devenir une solution en France.

Il semblerait selon l'enquête que seulement 28% des membres de la génération Y voient l'investissement sur le long-terme comme ingrédients de leur réussite, contre 52% des baby-boomers, qu'est ce que dénotent ces chiffres dans les changements des mentalités ?

Investir à long terme, cela présuppose une visibilité et une confiance dans l'avenir. La difficulté est qu'aujourd'hui, la génération Y n'a pas de visibilité par rapport à sa situation professionnelle. Le nombre d'années pour qu'un jeune obtienne un emploi stable, donc un CDI, augmente de plus en plus. Hors, le jeune aujourd'hui peut se demander si sa situation personnelle lui permet d'engager un projet à long-terme. Comme il est incapable de répondre à dette question, il remet sa décision à plus tard lorsque sa situation sera meilleure. On note un deuxième aspect, qui est celui des banques et du fait qu'elles n'aient pas fait évoluer leurs critères d'évaluations pour accorder des prêts. Aujourd'hui un banquier continu à demander un CDI aux jeunes alors que 80% d'entres eux commencent à travailler en CDD.

Les priorités de la génération Y seraient-elle ailleurs que dans l'acquisition de biens matériels ou immobiliers ? Voit-on apparaître une consommation plus raisonnée de la génération Y ?

Il y a une part de personne qui se reconnaît dans la décroissance, dans une espèce d'idée que l'on pourrait consommer moins. Mais je pense que cette idée est assez marginale, la plupart des jeunes de la génération Y rêveraient je pense d'avoir un toit sympathique pour installer sa famille, de l'eau chaude et quelques biens de consommation. Après, est-ce que cette génération rêve, comme Jacques Séguéla le disait, d'avoir une Rolex à 50 ans, je n'en suis pas certain. Nous ne sommes plus dans un idéal de l'argent pour l'argent comme on a pu le voir dans les années 80, là où il fallait un maximum pour que ça fasse bling-bling et que ça brille. Mais à l'inverse, nous ne sommes pas non plus dans une société de renoncement aux biens matériels et dans une logique de décroissance. Sans doute sommes-nous dans une consommation un peu plus raisonnée.

Il y a aussi les départs à l'étranger. Certains jeunes veulent se faire une expérience de vie, d'autres sont dans la fuite lorsqu'ils voient qu'ils sont mal payés, qu'ils ne pourront jamais s'acheter un logement car c'est trop cher et que leur avenir sera de financer les retraites des baby-boomers sans eux-mêmes en bénéficier. Beaucoup d'entre eux vont ainsi tenter leur chance dans des pays où les perspectives sont plus ouvertes. Nous arrivons à un moment clé, où les jeunes vont aussi pouvoir accéder à une alternative nouvelle, celle de choisir le pays où ils ont envie de vivre.

Propos recueillis par Amandine Bernigaud

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