Euro fort : Mario Draghi vient-il en 15 minutes de porter le coup de grâce au pacte de responsabilité ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Mario Draghi.
Mario Draghi.
©Reuters

Coup du lapin

"Les informations nous parvenant confirment que la reprise modérée de l'économie de la zone euro est en cours conformément à notre évaluation antérieure", a déclaré le président de la Banque centrale européenne.

Atlantico : A la suite de la déclaration de Mario Draghi, l'euro a pris presque 1 % pour revenir à son record de 2011. Pour quelles raisons ? 

Francesco Saraceno : Mario Draghi a tenu des propos qui se veulent très rassurants, en écartant le risque de déflation pour les deux années à venir. En outre, il a affirmé que la reprise en cours procède comme prévu dans les scénarios de base de la BCE. Ceci a dû rassurer les marchés. Ceci dit, je me méfierais des mouvements de très court terme. La tendance à la hausse de l'euro s'explique plutôt par l'accumulation d'un surplus commercial important; En fait, depuis 2008 les pays du nord n'ont pas changé leur comportement, pendant que les pays du sud ont remarquablement réduit leurs déficits extérieurs. De ce fait, la zone euro est passée d'un solde pratiquement nul à un excédent important.
Nicolas Goetzmann : Les économistes de la Banque centrale européenne viennent de publier leurs anticipations de croissance pour les trois prochaines années, 1.2% pour 2014, 1.5% pour 2015 et 1.8% pour 2016. De la même façon, les anticipations d’inflation sont de l’ordre de 1% pour 2014, 1.3% pour 2015, et 1.5% pour 2016. Ces chiffres pourraient sembler être rassurants, mais il n’en est rien. En effet, si l’on tient compte des années antérieures à la crise, on peut se rendre compte que le PIB nominal, c’est-à-dire la somme de la croissance et de l’inflation, progressait à un rythme de 4% en annuel. Hors, ces prévisions font état d’un PIB nominal qui devrait progresser d’environ 2.2% en 2014, 2.8% pour 2015, et 3.3% pour 2016.
Ce qui indique que les équipes anticipent une croissance européenne en deca de son potentiel pour les trois prochaines années, alors même que la fin d’une crise devrait se traduire par une croissance bien plus forte qui devrait avoir pour but de rattraper le retard pris pendant la crise. Il n’est en est rien et l’Europe va continuer à sous performer.Nous nous approchons d’une décennie totalement perdue pour l’Europe, et ses conséquences sociales sont évidentes. La hausse de l’euro est le simple résultat de ces prévisions, car il s’agit de la confirmation que l’euro est le nouveau franc suisse, c’est-à-dire qu’il est l’investissement le plus sûr pour se prémunir contre tout risque inflationniste.

Quelles conséquences une hausse de l'euro a-t-elle sur la compétitivité française ?

Francesco Saraceno :  Les effets sur la compétitivité française ne seront pas forcement très importants.Les trois principales destinations des exportations françaises sont des pays de la zone euro (Allemagne, Belgique et Italie) où la France exporte 31,3 % du total (données provisionnelles des douanes françaises). En y ajoutant les Pays-Bas et l'Espagne on arrive à plus de 42 %. Les deux principaux partenaires hors zone euro, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, sont à moins de 7 % chacun. Certes, la France a un déficit important avec la Chine (25,9 milliards d'euros), qui est le deuxième exportateur en France avec 8 % du total. Mais les échanges entre les deux pays se font sur des produits et des secteurs plutôt complémentaires. Donc, la compétitivité française est moins dépendante de l'euro que par exemple celle de l'Italie.

Nicolas Goetzmann : La hausse de l’euro a deux effets directs sur la situation européenne. Les états de la zone se livrent une compétition commerciale interne, et celle-ci n’est pas affectée par la monnaie. Par contre, la zone euro prise dans son ensemble devient de fait de moins en moins compétitive en raison de la hausse de la monnaie. Les parts de marché hors zone euro vont donc avoir tendance à se réduire, ce qui va mécaniquement inciter les états à accentuer leur compétition interne. Par nécessité. La logique est destructrice car il s’agit bien d’une lutte à mort pour s’emparer des marchés de ses partenaires, et rend les états de plus en plus dépendants des marchés à l’export. La conséquence est une logique de longue et douloureuse baisse des salaires qui va venir réduire le marché intérieur de chaque état. Une lente euthanasie.

En quoi une hausse durable de la monnaie unique pourrait-elle réduire les effets escomptés par le gouvernement de son pacte de responsabilité ?

Francesco Saraceno : La perte de compétitivité française des dernières années peut en grande partie être attribuée aux échanges intra zone euro. L'objectif du pacte de responsabilité est de réduire les coûts des entreprises françaises, qui sont de plus en plus concurrencés par les entreprises allemandes, et par les pays du sud, qui ont connu une importante déflation salariale. Ceci n'est donc pas remis en cause par les fluctuations de l'euro.
Nicolas Goetzmann : Si l’objectif du pacte de responsabilité est d’offrir une meilleure compétitivité mondiale à notre pays, l’objectif est anéanti par la hausse de la monnaie. Si l’objectif est de se livrer à une compétition interne à la zone euro, dans une logique de lutte entre tous les états membres, c’est parfait. Mais ce n’est pas exactement l’idée que je me fais d’une union, et d’une vision de croissance globale de la zone. La compétition interne menée par l’Allemagne, l’Espagne l’Italie et maintenant la France consiste à ne pas chercher à faire progresser la taille du gâteau mais à se battre entre nous pour prendre la part de notre voisin. Voici une logique qui a peu de chance d’aboutir à un sentiment d’appartenance européenne, et qui aura simplement pour effet d’accentuer la précarisation de tout le monde, comme cela est d’ailleurs prévisible au regard des anticipations de croissance de la zone euro.

Quelle logique les outils du pacte de responsabilité ont-ils dans un tel contexte monétaire et alors que l'euro s'est évalué de 10 % depuis l'arrivée de François Hollande au pouvoir ?

Francesco Saraceno :  Je viens de remarquer que l'impact de l'euro sur la compétitivité française est moins important que l'on ne le croit habituellement. Donc la logique du pacte de responsabilité n'en est pas forcement remise en cause. Le vrai problème de ce type de mesures, dans le contexte actuel, est qu'elle intervient sur l'offre ; or la France, et la zone euro en général, est confrontée aujourd'hui à une insuffisance de demande. La compétitivité des entreprises françaises est certainement un problème, mais elle ne me semble pas constituer une priorité en l'état actuel des choses. Ce n'est pas en réduisant les cours des entreprises françaises qu'on va remplir leurs carnets de commandes.
Nicolas Goetzmann : Cela signifie que la France a perdu 10% de compétitivité hors zone euro, tout en ayant un discours politique inverse, basé sur le pacte de responsabilité. Il s’agit de faire croire que ce pacte vise par exemple à rendre le pays attractif, mais la réalité est qu’il s’agit d’aller prendre les parts de marché à nos voisins italiens et espagnols par exemple, alors que ces pays sont dans une situation de quasi dépression. C’est vraiment constructif comme approche. La conséquence de ces politiques de compétition interne est de transformer la zone euro en un marché dont la demande intérieure s’amenuise année après année, s’appauvrit. Les Etats Unis fonctionnent dans l’exacte logique inverse et ne soucient que de sa demande intérieure. Le résultat est que le dollar baisse, que le chômage baisse (6.6% contre 12% en zone euro…), et que la croissance est repartie. Nous avons beaucoup à en apprendre, mais pour cela il faudrait se rendre compte que la zone euro est un espace économique géant et qu’elle n’est pas la Suisse. La logique monétaire est différente, mais nous ne l’avons pas encore compris.

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