Impéralistes ou isolationnistes ? Pourquoi le reste du monde a tant de mal à définir ce qu'il attend des Etats-Unis <!-- --> | Atlantico.fr
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Avec la mobilisation de troupes russes en Ukraine, l'affaire a pris un tournant complètement international et pourtant les Etats-Unis ne semblent pas prêts à intervenir.
Avec la mobilisation de troupes russes en Ukraine, l'affaire a pris un tournant complètement international et pourtant les Etats-Unis ne semblent pas prêts à intervenir.
©Reuters

Dilemme

Depuis l'élection de Barack Obama, les Etats-Unis paraissent moins impliqués sur la scène internationale. Pas d'intervention en Libye, pas d'intervention en Syrie, pas d'intervention en Afrique. Pas non plus d'intervention en Ukraine. Et si le monde entier condamnait l'Irak, aujourd'hui il est attendu des États-Unis qu'ils interviennent plus. Retour sur cette relation ambivalente des USA avec le reste du monde.

Atlantico : Avec la mobilisation de troupes russes en Ukraine, l'affaire a pris un tournant complètement international et pourtant les Etats-Unis ne semblent pas prêts à intervenir. La communauté internationale condamne tantôt les Etats-Unis pour leur interventionnisme, et tantôt regrette leur non-intervention comme en Syrie. Peut-on dire que la communauté internationale entretient une relation ambigüe avec les USA ?

Anne Deysine : Plutôt que parler d'ambiguïté, parlons d'ambivalence généralisée. C’est-à-dire qu'il y a toujours une tendance à critiquer les États-Unis quand ils en font trop, mais aussi à leur demander d'intervenir quand on pense, dans notre grande sagesse, qu'il serait bon qu'ils interviennent. C'est véritablement de l'ambivalence : on demande tout et son contraire. Quand les États-Unis en font trop, on leur reproche de tout faire tout seul et d'exiger de leurs alliés une obéissance sans faille. Mais dès lors qu'ils n'en font pas assez on le leur reproche également.

Jacques Portes : Dans le cas de l’Ukraine, personne ni aux États-Unis ni en Europe n’envisage une intervention militaire. Les États-Unis en l’occurrence ne déçoivent personne, ils agissent promptement sur le plan diplomatique car ils ont les moyens pour le faire, mais en liaison avec l’Europe. En Syrie, une intervention militaire ne pouvait se faire qu’avec l’appui ou la collaboration américains ; la France n’aurait pas pu agir seule au-delà d’un jour ou deux. Le reste de la communauté internationale était opposée à toute "aventure" et l’opinion américaine également. Dans le monde actuel, les États-Unis ne sont pas à la même place qu’ils étaient durant la Guerre froide. A l’époque, leur présence en Europe était à la fois souhaitée et rejetée comme trop lourde. La France était spécialiste de cette attitude, à la fois en raison de la position particulière du général de Gaulle qui voulait redonner toute sa place à la France dans le Monde, mais qui avait soutenu les États-Unis en 1962 lors de la crise des fusées de Cuba, mais aussi de la force du PCF qui était anti américain par définition. La CEE n’aurait pas pu être crée sans le parapluie américain, mais il ne fallait pas le dire trop fort. Depuis l’implosion du système soviétique, et après le sinistre mandat de George W. Bush, l’interventionnisme n’est plus souhaité par personne, vu les échecs des guerres d’Irak et d’Afghanistan que les États-Unis avaient choisi de mener, il n’y en a plus. Le président Obama a bien pris ses distances avec cet interventionnisme systématique d’antan et aucun pays dans le monde ne n souhaiterez une telle politique, autre que l’appui logistique discret mais essentiel apporté à la France en Lybie puis au Mali et en CFA.

Pourquoi l'Occident a-t-il tant de mal à définir ce qu'il attend des États-Unis ?

Anne Deysine : C'est humain. La communauté occidentale a trouvé les États-Unis un peu trop "impérialistes", mais dorénavant ils regrettent que ceux-ci se désengagent, à la fois d'Europe en rapatriant des bases, et bien sûr du Moyen-Orient. Aujourd'hui, les États-Unis sont auto-suffisants en énergie et ont donc beaucoup moins d'intérêt à surveiller ce qui se passe en Arabie Saoudite et dans ces zones-là du globe. Cela retombe donc sur les épaules des Européens.

Jacques Portes : Surtout parce qu’une grande puissance comme les États-Unis ne peut agir qu’avec de gros moyens, ce qui est lourdement ressenti même par les gouvernements qui ont souhaité cette intervention (dans les années 1990 au Koweit ou en Somalie), comme c’était le cas dans la période de la Guerre froide avec encore plus de netteté.

Retrouve-t-on cette ambiguïté partout ? Quels sont les relations qu'entretiennent les USA avec les pays d'Asie ?

Anne Deysine : Dans les pays d'Asie, il faut mettre d'un côté la Chine et les autres, dont certains sont des alliés traditionnels comme le Japon ou la Corée. Dans le cas d'un conflit armé entre Chine et Japon, les États-Unis feraient face à un grave dilemme, puisqu'ils devraient logiquement intervenir en faveur de leur allié historique, et s'opposer à la Chine. C'est pour cela que les Américains suivent de très près toutes ces escarmouches sur l'archipel Senkaku (désigné comme les Îles Diaoyutai par les Chinois). Cela paraît anodin, mais c'est en vérité très important. Les Chinois, comme au jeu de go, sont en train de poser leurs pions en Mer du Sud, d'établir des bases navales, de façon à avoir une présence un peu partout en Mer de Chine.

La relation sino-américaine n'est pas ambivalente. C'est une rivalité ouverte, tant économique que militaire, mais nuancée par une interdépendance très large. Les USA et la Chine ne peuvent pas se faire la guerre : si l'un chute, les deux s'effondrent. Les Chinois exportent leur marchandise aux États-Unis, et détenaient un quart des bons du trésor des États-Unis, en 2013. Cette rivalité est assagie à la fois par le réalisme, et cette relation d'interdépendance. Néanmoins, la croissance de l'économie Chinoise a beau être impressionnante, la Chine est encore loin, en termes absolus, de rattraper les États-Unis. Il faudra au moins une dizaine d'années avant que cela n'arrive.

Jacques Portes : Cette ambiguïté a surtout été européenne et c’est encore un peu vrai aujourd’hui car l’UE ne parvient pas à définir une politique étrangère claire. En Afrique, les Américains ne sont pas intervenus autrement qu’économiquement, ils ne sont pas très présents ni attendus. Les Kenyans qui avaient beaucoup espéré de Barack Obama d’origine kenyane ont été très déçus. En Asie, la présence américaine a été forte au moment de la Guerre froide (Japon, Corée et Vietnam), mais depuis aucune intervention. En revanche, un grand intérêt pour le développement que connaissent la Chine et l’Inde et les relations intra pacifiques. En Amérique latine, l’histoire est jalonnée d’interventions brutales des États-Unis jusqu’aux années 1970 : Mexique, Cuba, Guatemala, Panama avec leurs réactions anti américaines. Les exigences de la Guerre froide étaient complémentaires à une tradition de supériorité américaine.

On constate, globalement, un retrait des Etats-Unis sur la scène internationale. Finalement, qu'est-ce qui est le plus effrayant pour la communauté internationale ? Un repli sur soi des américains, ou un interventionnisme à tout va ?

Anne Deysine : Ce n'est pas une bonne question, à mon sens, parce qu'elle n'est plus valable : en aucun cas les États-Unis peuvent encore mener une politique interventionniste à tout va. Il n'existe plus aucune hypothèse qui pourrait accréditer cette idée, pas même chez les néo-conservateurs. Les États-Unis n'ont tout simplement pas les moyens, et ce économiquement comme militairement. On peut supposer qu'avec un néo-conservateur à la Maison Blanche, les États-Unis se seraient d'avantages impliqués en Libye ou en Syrie. Ils ne peuvent pas s'impliquer tout azimut pour autant. On l'a vu avec la Chine : la marine chinoise est allé titiller les Américains qui ont pris soin de ne pas réagir, et ont préféré la prudence. Tout le monde sait, et particulièrement Obama, qu'il est des tas de région du monde ou la résolution des problèmes ne passe pas par les Américains. La résolution de ces problèmes ne peut être que locale.

Nous avons mis 200 ans à apprendre la démocratie. Ça n'est pas en destituant un dictateur qu'on l'apprendra instantanément à d'autres nations.

Jacques Portes : Le choix n’est pas tout à fait celui là car les deux options sont néfastes. En tout cas l’interventionnisme semble exclu surtout après les échec du président Bush. Un véritable repli ne serait pas souhaitable, car les États-Unis conservent une forte puissance économique, financière et culturelle et qu’ils exercent une forte attraction pour nombre d’immigrants. Il leur faut trouver un équilibre entre des actions ponctuelles et limitées dans le cadre d’une coopération entre des puissances qui ne sont pas égales. La Chine ne semble pas se conduire comme une puissance impérialiste classique avec laquelle une guerre serait inévitable, mais il y a entre les deux pays des rivalités, des questions d’équilibre qui seront les enjeux des années à venir.

Au fond, si la ligne des États-Unis apparait assez floue à l'ensemble des autres acteurs, l'est-elle également pour les américains ? Ont-ils fondamentalement changé de politique, et surtout, en ont-ils le sentiment ?

Anne Deysine : Quand on parle des américains il faut bien distinguer les politiques, c’est-à-dire l'administration Obama et le congrès, et l'opinion publique. La seule chose que veut l'opinion publique, c'est que les États-Unis ne se trouvent pas englués dans un autre conflit. Le peuple estime avoir déjà payé son tribut, déjà donné. Après plus de dix ans de guerre, la priorité de l'Américain de base, c'est que Barrack Obama ne s'engage pas dans un nouveau conflit, et n'envoie pas de troupes au sol. A la rigueur, un soutien logistique.

La politique étrangère, aux États-Unis, a toujours connu deux courants. L'un, interventionniste, le second isolationniste. De nos jours, c'est un peu différent : Obama succède à l'administration Bush qui était dominée par les néo-conservateurs. Ces derniers ont une vision qui correspond à l'exceptionnalisme américain, qui dessine le peuple américain comme un peuple spécial, avec une convention parfaite qui se doit d'exporter ses institutions et la démocratie. Obama, tant par tempérament que par conviction politique, est aux antipodes de cela. Il fonctionne par consensus et c'est la raison pour laquelle il a immédiatement tendu la main au monde musulman lors de son discours du Caire. C'est également un homme réaliste qui a conscience que les USA ne sont plus l'hyperpuissance qu'ils étaient il y a 15 ans. Les États-Unis ont maintenant des concurrents qui finissent par gagner du terrain et ronger l'avance prise par l'Amérique comme le fait la Chine – mais pas seulement. Les États-Unis n'ont plus les ressources économiques pour avoir des troupes et s'impliquer partout dans le monde. C'est pourquoi il est appréciable de trouver des alliés fiables. Si François Hollande a eu droit à un peu de tapis rouge, c'est parce qu'il a le bon goût d'envoyer des troupes au Mali. Les Américains peuvent donc se contenter de "Leading from behind". Si cela paraît être une vision intelligente de la politique étrangère à Barrack Obama, cela lui vaut néanmoins des critiques des Républicains, qui lui reprochent de ne plus avoir ce rôle de grande puissance qui fait la pluie et le beau temps sur la planète entière.

Jacques Portes : Les Américains sont vaccinés contre les interventions extérieures, bien qu’il existe toujours une fraction du parti républicain nostalgique de la Guerre froide et qui voudrait des interventions tous azimuts et des sanctions contre les  ennemis, mais il n’y a pas retour à un isolationnisme impensable dans le monde ouvert tel qu’il l’est et dont on profité les États-Unis, comme d’autres pays. Mais les États-Unis n’ont plus de ligne claire de leur politique étrangère ; ils réagissent avec des moyens adaptés et une opinion qui suit plus ou moins au cas par cas.

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