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Vos émotions commencent ici
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Autre époque...

Il y a encore quelques années, lire était considéré comme un moyen d'apprendre tout en se divertissant. Aujourd'hui, il semblerait qu'il devienne aussi désuet qu'inutile. De quoi donner du bon pain aux publicitaires.

Antoine Audouard

Antoine Audouard

Antoine Audouard est écrivain et éditeur.

Son dernier récit publié s’intitule « Le Rendez-vous de Saigin » (Gallimard, 2011).

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En tombant aujourd’hui dans le métro sur cette publicité de Lastminute.com, je me suis un instant posé les mauvaises questions : quel bouquin avait pu rester dans quelle valise ? Avait-il été oublié, perdu ? Et pourquoi une agence de voyages s’occupait-elle de cet incident malheureux ?


Puis je me suis rendu compte qu’il ne s’agissait pas d’une erreur ou d’un oubli : le bouquin était resté dans la valise parce que les vacances avaient été bonnes, super, inoubliables – au point que lire un livre, ou même le sortir de la valise, gestes désespérés auxquels on ne se risque que par pluie battante, en soupirant, faute de mieux, avaient par bonheur été évités. C’est un véritable soulagement, en effet, de savoir que le temps clément de la Crête ait pu épargner aux vacanciers cette activité ringarde, synonyme d’ennui.

De la culture à la confiture

Mesurons le chemin parcouru et les progrès de la sagesse et de la connaissance : il y a quelques années encore, dans la préhistoire du bienheureux Présent Perpétuel où nous vivons, de tels slogans eussent été impossible : à cette époque obscure, où l’esclavage était courant et où les femmes n’avaient pas le droit de vote, régnaient aussi les restes réactionnaires d’une idéologie de contrainte aux termes de laquelle « lire des livres », en particulier des classiques, était une activité non seulement souhaitable, enrichissante, mais pour ainsi dire obligatoire. Cette activité faisait partie d’un ensemble plus vaste, aux connotations foncièrement douteuses, que l’on appelait « culture » et qui prétendait nous relier à un passé dépassé où les gens écrivaient une drôle de langue avec des mots bizarres à l’orthographe impossible et des phrases trop longues.

Il nous reste donc à nous réjouir de constater que ces notions surannées appartiennent à un passé révolu : on nous faisait honte de ne pas lire, nous pouvons maintenant en être fiers et nous consacrer à plein temps à des activités réellement intéressantes et productives, comme de mettre à jour notre page facebook ou d’écrire des sms du type « téoula ? ».

Si par hasard vous apparteniez à cette catégorie d’opprimés qui lisent des livres en s’emmerdant pour faire croire que c’est cool, que la publicité lastminute.com fasse tomber vos derniers complexes : pourquoi attendre les vacances pour vous libérer de cette activité rétrograde ? Le vrai fun vous attend : ce bonheur est possible tous les jours. Allez, un bon mouvement : fermez vos livres. Vos émotions commencent ici.

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