SOS productivité : pourquoi le moteur essentiel de la croissance fait cruellement défaut aux sociétés occidentales<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
SOS productivité : pourquoi le moteur essentiel de la croissance fait cruellement défaut aux sociétés occidentales
©Reuters

En panne

La croissance de la productivité des pays occidentaux seraient au plus bas selon une étude de l’OCDE. Si ce phénomène dure, probablement lié à la crise et à la faiblesse de la demande mondiale, il pourrait s’avérer inquiétant.

Sarah Guillou

Sarah Guillou

Sarah Guillou est économiste à l’OFCE dans le domaine de l’économie internationale et des politiques publiques affectant la compétitivité des entreprises. Son travail mobilise l’exploitation statistique de bases de données d’entreprises et de salariés ainsi que les données de commerce international par pays. Une partie de ses recherches porte sur les politiques industrielles et les politiques commerciales.

Voir la bio »

Atlantico : D’après une note de l’OCDE publiée ce 26 mai 2016, tous les pays du G7, hormis le Canada connaissent un ralentissement de leur productivité. A quoi est dû ce phénomène ? La faiblesse de la demande mondiale depuis quelques années impacte-t-elle la productivité ?

Sarah Guillou : Le ralentissement de la productivité signifie précisément une faible croissance de la productivité, c’est-à-dire que la capacité d’une heure de travail à produire de la valeur ajoutée augmente faiblement (hors augmentation des prix). Or dans les économies contemporaines, on s’attend à ce que l’innovation, l’usage croissant du numérique ou des technologies de l’information et des communication (TIC), et plus généralement le progrès technique conduisent à une augmentation de la capacité productive d’une heure de travail. Si la productivité ne croît pas sur une période donnée, c’est que l’amélioration des conditions de production et la croissance du contenu technique ne conduisent pas à produire plus, ce qui est interroge fortement les économistes et crée "l’énigme de la productivité".

Comment expliquer ce ralentissement ? Il y a en effet des raisons conjoncturelles ou autrement dit liées au cycle économique baissier. La faiblesse de la demande mondiale freine les investissements qui sont la source des gains de productivité : sans investissement productif, pas de gains. L’économie mondiale souffre d’un déficit d’investissement et d’une orientation non productive de l’épargne. S’ajoute la baisse des prix des matières premières et la faible inflation, elle-même résultat de l’intensité de la concurrence mondiale, qui comprime les marges et en conséquence les investissements. Mais cette explication ne permet pas de comprendre le ralentissement de la croissance de la productivité amorcée avant la crise.

Dans cette même note de l’OCDE, nous constatons que les technologies de l'information et de la communication (TIC) contribuent de moins en moins à la croissance de la productivité des pays développés. Pourtant dans de nombreux pays, comme en France ou au Japon, la part des investissements dans le PIB  s’est maintenue. A quoi est dû ce recul ?

Plus structurellement, ce ralentissement questionne donc le rôle des "améliorations" technologiques en cours, de la robotisation à la numérisation. Ici deux thèses proposent des explications alternatives. Il y a la thèse du courant de la "stagnation séculaire" dont les tenants sont Larry Summers ou Robert Gordon. Celle-ci juge les améliorations technologiques de la "révolution des TIC" comme incapable de produire des gains de productivité comparables à ceux des grandes innovations de la première moitié du 20ème siècle. Les TIC motivent les investissements mais la productivité de ce type de capital est décroissante. Autrement dit la contribution à l’augmentation de production d’un euro d’investissement dans les TIC décroît. Cela signifie que si l’usage des TIC crée au début une rupture qui augmente la productivité, ensuite la poursuite de la numérisation, digitalisation, automatisation ne crée pas de rupture fondamentale. Il faut atteindre un pallier supérieur. Cela expliquerait que malgré la poursuite de la croissance de la part des TIC dans l’investissement, la productivité ne suive pas. 

Il existe par ailleurs une explication plus technique qui tiendrait à l’incapacité des indicateurs de productivité à mesurer les gains de cette "révolution" pour deux raisons : d’une part parce que les économies relèvent de plus en plus des services pour lesquels la productivité est un concept moins bien adapté qu’il ne l’est pour le manufacturier ; d’autre part parce qu’on ne mesure pas correctement l’amélioration qualitative que procure les TIC, mesure pourtant nécessaire pour corriger les prix qui servent de déflateur. Autrement dit, l’amélioration qualitative, qui augmente le bien-être économique, devrait, si elle était correctement prise en compte, augmentait la valeur produite. Deux téléphones mobiles à 20 ans de distance ne procurent pas le même service ou "bien-être" : on comprend aisément que la disposition, en 1990, des performances d’un mobile de 2016  aurait eu un prix incroyablement élevé (sans tenir compte de l’inflation). Malgré les efforts de l’intégration de la qualité dans les prix, une marge d’erreur subsiste.

Les deux thèses sont probablement conjointement des solutions de l’énigme mais on mesure encore mal la contribution de chacune.

Ce ralentissement de la croissance de la productivité peut-il durer ? Comment les Etats peuvent-ils enrayer ce phénomène ? Quelles sont les politiques publiques à mettre en oeuvre afin de renouer avec une hausse de la productivité ?

Seule la première cause cyclique peut donner lieu à une inversion de la dynamique baissière. La reprise mondiale pourrait enclencher des investissements productifs qui augmentent les gains de productivité. En revanche, qu’il s’agisse de la stagnation séculaire ou de l’erreur de mesure, les causes structurelles impliquent que le rythme de croissance de la productivité reste faible.

En termes de politiques publiques, il faut contribuer à la relance de l’investissement privé mais aussi public car ce dernier peut améliorer les infrastructures productives. Ces derniers doivent donc être relancés prioritairement dans les pays  qui disposent de marges de manœuvre budgétaire. C’est la raison pour laquelle le FMI enjoint l’Allemagne de procéder à de tels investissements. Du côté de l’investissement privé, la fiscalité est l’instrument privilégié mais les incitations fiscales – comme les mesures françaises créant le dispositif de sur-amortissement -- ne peuvent remplacer le moteur de la demande et on revient à la première cause. Restent alors les politiques de soutien à l’innovation tout comme les programmes d’orientation des investissements vers la robotisation de l’industrie ou la digitalisation des relations inter-entreprises (type programme industrie du futur ou industrie 4.0 en Allemagne) qui sont des politiques industrielles qui visent l’amélioration de la productivité. Les gouvernements ne doivent pas les négliger même si les chiffres ne semblent pas montrer qu’on ait à en attendre un rebond majeur de la productivité. Toutefois, sachant que tout écart de croissance de productivité entre les pays crée les écarts de compétitivité, il faut donc veiller à ce que la croissance de la productivité, aussi faible soit elle, ne diffère pas de la croissance des partenaires.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !