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SOS dîners de fête : 6 arguments pour ne pas vous laisser déborder par les conversations sur l’avenir de la France et du monde entre deux bouchées de foie gras
©Flickr/NickNguyen

Antisêche

Les repas de famille, à l'occasion des fêtes, sont l'occasion de se retrouver et, souvent, d'échanger sur l'année écoulée et l'état du monde. Après une année 2017 agitée, voici un petit vade-mecum pour répondre aux arguments de vos convives sur Trump, Macron ou le sexisme.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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La gauche et la droite sont mortes, Macron les a tuées définitivement

Eric Verhaeghe : Le clivage gauche-droite est une constante historique. Il départage deux sensibilités fortes de l’opinion publique dans les démocraties occidentales. Longtemps, ce clivage s’est exprimé dans l’affrontement entre progressistes et conservateurs, voire entre révolutionnaires (pour l’extrême-gauche) et réactionnaires (pour l’extrême-droite). Si ce manichéisme est évidemment trop binaire, il n’en demeure pas moins une réalité durable, même si celle-ci change de forme avec le temps. Emmanuel Macron ne l’a certainement pas supprimée. En revanche, il s’offre le luxe de « surfer » dessus, en menant une politique économique plutôt à droite, et en mettant régulièrement en avant des valeurs plutôt à gauche. Au fond, il pratique une sorte de social libéralisme qui est une superposition de la gauche et de la droite, mais certainement pas une abolition de ces clivages. 

Il faut absolument se montrer optimistes pour l’avenir, ceux qui ne le sont pas sont des réacs obsédés par le déclin et le repli

Eric Verhaeghe : La perception d’Emmanuel Macron et de sa politique par l’opinion publique est largement influencée par la communication habile du président de la République. Il n’en reste pas moins que les fondamentaux de l’ère Macron ne sont pas très différents des fondamentaux de l’ère Hollande. Disons même qu’ils s’inscrivent dans une grande continuité: augmentation des dépenses et de la dette publiques, augmentation constante du nombre de fonctionnaires, absence de réforme structurelle dans la fonction publique, augmentation du chômage. Si l’on admet l’hypothèse que François Hollande a plombé l’économie française à coup de choc fiscal, on ne peut pas dire qu’Emmanuel Macron ait décidé de rompre avec cette politique. En ce sens, les fondamentaux de l’avenir ne sont pas assainis.

Ah si seulement les élites françaises étaient capables de gérer le pays comme les Allemands le font chez eux

Eric Verhaeghe :Il existe en France un fétichisme de l’ordre germanique qui repose largement sur une ignorance profonde de la réalité allemande. D’abord, l’Allemagne n’a pas d’élite centralisée comme en France et c’est probablement son secret principal. L’Allemagne fonctionne sur un principe décentralisé, et les territoires de l’ex-Allemagne de l’Est, qui correspondent peu ou prou à l’espace prussien ancien sont très distants de territoires traditionnels proches de la France comme la Bavière. Deuxièmement, l’Allemagne est en position de prospérité parce qu’elle a mis en pratique des choix que les Français refusent obstinément: mise en concurrence de leur système de santé, réformes brutales du système éducatif pour améliorer les performances des élèves, diminution substantielle des contraintes qui pesaient sur les employeurs. Troisièmement, le modèle allemande connaît ses problèmes: extrême faiblesse du système bancaire, inféodation aux États-Unis, montée de l’euroscepticisme…

La France est sexiste, raciste et islamophobe comme l’auraient montrées les multiples polémiques ayant eu lieu pendant l’année 

Eric Verhaeghe : La France s’est (pour une partie de l’opinion publique en tout cas) convaincue qu’elle était sexiste et islamophobe. Elle oublie, ce faisant, l’impressionnant arsenal réglementaire dont elle s’est dotée pour criminaliser ces comportements. Dans la pratique, la France est championne du monde du taux d’emploi pour les femmes et a massivement investi dans des structures d’accueil pour jeunes enfants. En outre, elle donne un accès particulièrement transparent et égalitaire à ses prestations sociales pour tous. Cette ouverture explique que de nombreux Musulmans d’Afrique, d’Asie ou du Proche-Orient arrivent chaque année en France, y bénéficient de soins gratuits, et d’une parfaite liberté de culte. D’ailleurs, des communautés étrangères comme la communauté chinoise ont des résultats scolaires globalement meilleurs que ceux des « Français de souche » et ne se plaignent que d’un racisme: celui des nord-africains installés en France.

Tout projet de reprise en main de notre destin ou de notre souveraineté est un projet d’extreme-droite nationaliste qui ne peut que nous mener à la ruine ou à la guerre

Eric Verhaeghe :L’idée que la souveraineté soit une idée d’extrême droite relève d’un révisionnisme historique profond. Rappelons que le principe du peuple souverain est un héritage de Jean-Jacques Rousseau, penseur rejeté par l’extrême-droite. En outre, les adversaires prétendus du souverainisme en sont souvent les premiers promoteurs. Par exemple, les mêmes dénigrent le souverainisme mais détestent le TAFTA ou le laxisme européen devant les OGM. Les anti-souverainistes sont généralement les premiers à refuser d’appliquer les traités européens en matière de déficit public ou de libre concurrence. Dans la pratique, il existe au moins autant voire beaucoup plus de protectionnisme chez les apôtres d’un projet ouvert et non-souverainiste que chez les souverainistes assumés. Les protestations contre le rachat d’Alstom par Siemens l’ont montré. 

Trump est un dingue sans aucune rationalité qui risque de mener le monde à la guerre

Eric Verhaeghe : L’irrationalité prétendue de Trump est un credo répété en boucle dans la bien-pensance française. Dans la pratique, Trump déroule scrupuleusement son programme électoral, qui reflète l’opinion d’une majorité d’Américains. Avec la Corée du Nord, Trump poursuit une politique de dissuasion et de menace entamée de longue date contre les rogue states par les États-Unis, qui a conduit aux invasions de l’Afghanistan et de l’Irak, aux interventions contre le Libye et la Syrie et aux sanctions contre l’Iran. Ces stratégies n’ont d’ailleurs pas permis de désamorcer les crises. En Israël, Trump pratique d’une façon ou d’une autre une réal politik prenant acte d’une réalité que les Palestiniens ont eux-mêmes reconnue de longue date. D’ailleurs, la riposte palestinienne à la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël est extrêmement faible. S’il existe une montée de la conflictualité dans le monde, elle n’est pas due aux États-Unis, mais aux fondamentaux sous-jacents de l’ordre international issu de 1945. 

Jean-Eric Branaa : Donald Trump est-il fou ? L’argument n’a plus rien d’original. Cela fait maintenant un an que cette idée tourne en boucle et qu’il y a même un livre qui est paru en octobre aux Etats-Unis, intitulé « Le cas dangereux de Donald Trump ». On peut difficilement faire plus racoleur comme titre pour un livre qui a été signé par 27 psychiatres et psychologues, qui sont par ailleurs ceux-là même qui ont alimenté cette thèse pendant plusieurs mois dans les différents médias. Un bon teasing en somme.

C’est là que le bat blesse : est-il acceptable qu’un professionnel se serve de sa situation et de ses connaissances pour jeter le discrédit sur quelqu’un qu’il n’a même jamais rencontré ? Une règle est pourtant en vigueur aux Etats-Unis et doit être respectée par tous les psychiatres : il faut avoir eu un patient en consultation avant de faire un diagnostic. Une deuxième règle déontologique leur demande de ne pas divulguer leur diagnostic sans l’autorisation expresse de leur patient.

Or les psychiatres qui se sont ainsi répandus ont enfreint ces deux règles. Pour justifier cette transgression, ils ont expliqué qu’il s’agissait de leur droit à exprimer leur opinion « qui était affreusement réprimée par cette règle déontologique ». Cela n’a donc plus rien à voir avec leur qualification de médecin, mais avec leur statut de citoyen. N’est-il pas dommage de tout confondre et de se lancer dans des attaques tout azimut au mépris de règles qui sont censées nous protéger tous ? On retombe dans un vieux débat qui est de savoir si on peut fouler aux pieds les principes de la démocratie pour combattre un tyran ? (sans accuser qui que ce soit par cette phrase).

Le débat a rebondi lorsqu’on a exhumé la possibilité offerte par le 25e amendement de remplacer le président par le vice-président en cas de sénilité ou de maladie mentale. « Tout plutôt que Trump » étant désormais le slogan à la mode, on s’est penché sur tout signe qui pourrait révéler une maladie. La pauvreté de son vocabulaire a semblé une bonne preuve à quelques autres, qui se sont empressés de condamner le 45e président parce qu’il s’exprimerait avec un vocabulaire et une grammaire équivalents à ceux d’un enfant de sixième. Que l’argument soit un mélange nauséabond de condescendance, de jugement supérieur basé sur la connaissance et le savoir et de condamnation des moins fortunés que soi qui n’ont pas pu faire d’études, me semble déjà suffisant pour l’écarter, l’enterrer et de passer très vite à autre chose. J’espère aussi que mes étudiants n’ont pas penser à appeler les services d’urgence pour me faire passer une camisole de force à chacune de mes hésitations, bredouillage ou pour la pauvreté supposée ou réelle du vocabulaire que j’aurais pu utiliser dans une démonstration.

Tout ceci n’est pas très sérieux, manque d’humilité et est profondément déloyal. Cela donne tout au plus un argument au principal intéressé pour se victimiser et faire remarquer qu’il est l’objet d’une cabale. Cela détourne aussi des vrais questions qui méritent d’être posées et qui peuvent –par exemple– porter sur les propositionq du président en exercice pour unir enfin les Américains : « je serais le plus grand unificateur de la nation qui n’aura jamais existé », avait-il déclaré pendant la campagne. Une opposition solide ne serait-elle pas plus efficace en rappelant ce type de phrase et en lui demandant des comptes ?

En revanche il n’est pas interdit de s’intéresser à l’état de santé d’un chef d’Etat et donc, aussi, à son état mental. Donald Trump est tout de même –il ne faut pas l’oublier– le président américain le plus vieux de tous les temps. Même Ronald Reagan était son cadet de 306 jours, ce qui commence à compter quand on dépasse 70 ans. Il n’y a donc rien de choquant à débattre de la question et il sera judicieux d’écouter les arguments de ceux qui persistent à défendre cette thèse. Mais il y aura certainement beaucoup d’autres sujets à aborder au cours de cette soirée…

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