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"Sortir de l’Europe" : pourquoi le message ferme de François Hollande au président de UKIP ne s’adresse pas qu’aux eurosceptiques
©Reuters

"Tu l'aimes ou tu la quittes"

Alors que la question est ouvertement posée au Royaume-Uni, François Hollande a invité Nigel Farage, du parti britannique UKIP, à quitter l'Union européenne si elle ne parvenait pas à le convaincre. Cette petite pique, adressée à tous les eurosceptiques lors du discours au Parlement européen qu'il a mené avec Angela Merkel, fera certainement réagir Outre-Manche.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : "La seule voie possible pour celles et ceux qui ne sont pas convaincus de l’Europe, c’est d’en sortir !",  répondait François Hollande au plaidoyer de Nigel Farage (UKIP), qui  prône une sortie de l’Union Européenne pour le Royaume-Uni. Quelles sont les raisons qui peuvent pousser François Hollande à asséner une telle déclaration ?

Christophe Bouillaud : Comme le montre le ton adopté en général lors de cette intervention devant le Parlement européen, nous assistons à une dramatisation des enjeux. Il s’agit sans doute de préparer les esprits à une initiative franco-allemande qui ira dans le sens d’un renforcement des structures communautaires. Cela veut dire que des gouvernements auront du mal à suivre ces innovations, et il faut les prévenir d’ores et déjà que cela sera à prendre ou à laisser. J’ai un peu l’impression par ailleurs qu’en prenant au mot Nigel Farage, le leader du "Parti pour l’Indépendance du Royaume-Uni", François Hollande signale à David Cameron qu’il n’est pas question qu’il gêne une éventuelle avancée européenne à venir par des réticences. Comme pour le TSCG sous Nicolas Sarkozy, si les Britanniques ne sont pas contents, on se passera donc d’eux pour avancer. Sur le plan de la politique intérieure française, c’est bien sûr essayer d’obliger le FN à apparaître comme le parti de la sortie de l’Union européenne, autrement dit de l’aventure. Car, vu la présentation catastrophiste qu’en font les médias (avec par exemple, cette mini-série télévisée sur la sortie de la France de l’euro diffusée il y a quelques mois finissant rien moins qu’en guerre civile), cette sortie ne peut que faire peur à une bonne partie de l’électorat. En même temps, la symétrie avec le vieux slogan du FN ("La France, tu l’aimes ou tu la quittes") des années 1980 me parait pour le moins  frappante : "l’Europe, tu l’aimes ou tu la quittes" en somme. Il n’y a plus ni de discussion possible ni de réflexivité permise sur les dilemmes européens. 

En Angleterre, la question de la sortie de l’UE est ouvertement posée. Concrètement, ce genre de phrase est-il susceptible d’échauffer les esprits ? Comment est-ce vécu par le peuple anglais et la classe politique britannique ?

Je ne suis pas sûr que les propos de F. Hollande aient une grande importance pour le public britannique. En même temps, c’est tout de même assez maladroit, parce que cela revient à dire aux eurosceptiques d’outre-Manche qu’on ne les retient pas. Surtout, c’est à dire que les Britanniques, s’ils veulent rester dans l’Union européenne, doivent accepter un nouvel approfondissement de l’intégration. Or c’est exactement le contraire que David Cameron a promis aux électeurs dans sa dernière campagne électorale. Il a en effet promis de renégocier le statut britannique avec les partenaires européens. Il veut modifier les règles pour donner au moins l’impression aux Britanniques, et en particulier aux électeurs conservateurs les plus eurosceptiques, que l’Union européenne n’intervient pas indûment dans les affaires du Royaume-Uni. Bref, c’est là un jeu dangereux de la part de F. Hollande en ce qu’il ne manquera pas de renforcer le camp des eurosceptiques d’outre-Manche qui auront là  la preuve des volontés fédéralistes de moins en moins cachées du camp franco-allemand. Je crois aussi que la réflexion finale de F. Hollande dans sa réponse aux interventions des chefs de groupe parlementaire sur le nationalisme, la guerre, et la sortie de la démocratie, feront  bien rire les eurosceptiques britanniques. En effet, s’il y a bien une nation européenne qui peut s’enorgueillir d’avoir combattu dans deux guerres mondiales sans trop de nationalisme et pour la survie de la démocratie avec un grand "D", c’est bien le Royaume-Uni. L’idée que "sortir de l’Europe, c’est sortir de la démocratie", est l’inversion exacte d’un thème bien connu des eurosceptiques qui dénoncent le manque de démocratie en Europe ou même son absence. Dans le cas britannique, l’accusation est absurde, et d’ailleurs elle visait bien plus directement et simplement Marine Le Pen et son parti.  

Quel serait le nouveau visage d’une Europe sans Royaume-Uni ? Fondamentalement, quels sont les risques pour l’Union Européenne ?

Le risque majeur, avec un éventuel départ du Royaume-Uni, fut-il négocié dans les termes de l’article 50 du Traité de l’Union européenne, ce serait de donner au monde entier l’image d’un délitement qui commence vraiment. La crise européenne, dont tout le monde est bien conscient, prendrait un tour plus tragique encore. Si, en plus, le Royaume-Uni avait la mauvaise idée de se trouver fort aise, économiquement en particulier, de ce divorce à l’amiable, alors même que le reste de l’Union européenne continuerait à stagner, les dégâts d’image seraient encore plus considérables. Même en dehors de cette hypothèse,  il y aurait la création d’un précédent, et  d’autres pays seraient tentés de suivre. Il faut aussi souligner les difficultés que cela créerait du côté de la définition d’une défense européenne commune. Pour l’instant seules les armées françaises et britanniques ont des capacités d’intervention sur les théâtres extérieurs. Elles ont tendu à se rapprocher depuis des années, et là avec la sortie britannique de l’Union européenne, on se créerait une difficulté supplémentaire. Ce n’est pas insurmontable, mais c’est là compliquer encore plus les choses. On aurait à vrai dire des problèmes dans tous les secteurs jusqu’ici intégrés, comme la pêche par exemple. Cela serait sans doute surmonté, mais que de complications supplémentaires. Il faut aussi supposer que les Britanniques n’accepteraient sans doute pas un statut au rabais comme celui de la Norvège et préféreraient un statut semblable à celui de la Suisse ou quelque autre statut ad hoc leur permettant de refuser tout choix bruxellois ne leur convenant pas. 

Par ailleurs, sur le plan pratique, on se retrouverait avec le paradoxe d’une Union européenne utilisant l’anglais comme langue principale de travail, et qui n’aurait plus que la petite Irlande (ou éventuellement l’Irlande et l’Ecosse), pour justifier cet usage de l’anglais et pour recruter des hauts fonctionnaires étant habitués dès l’enfance à parler cette langue. 

En fait, surtout ce que signalerait un éventuel « Brexit », c’est l’échec complet de la construction européenne en matière de rapprochement des peuples européens. On payerait alors l’illusion d’avoir voulu une Union européenne sans jamais travailler en profondeur depuis les années 1950 à unir les Européens.

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