Retraites : les batailles que pourraient mener les syndicats s’ils voulaient vraiment défendre les intérêts de l’ensemble des salariés<!-- --> | Atlantico.fr
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Reconstitution d'une bataille de l'armée française de Napoléon.
Reconstitution d'une bataille de l'armée française de Napoléon.
©Reuters

Les vraies injustices du système

La CGT, FO et la FSU appellent à manifester ce mardi pour protester contre la réforme des retraites. Mais la bataille menée par les syndicats ne permettra probablement pas de mettre un terme aux réelles injustices du système actuel.

Atlantico : Alors que 81% des Français se disent "inquiets" pour leurs retraites selon un sondage CSA pour le journal L'Humanité, trois syndicats - CGT, FO, la FSU - organisent ce mardi une journée de protestation contre la réforme des retraites présentée le 27 août dernier. Quelles sont les vraies batailles que devraient mener les syndicats pour remédier aux injustices du système actuel ou à ses failles ?

Philippe Crevel La grève du 10 septembre est éminemment politique. Elle a été annoncée avant même que Jean-Marc Ayrault ne fasse ses propositions. La CGT, FSU et FO veulent avant tout affirmer qu’ils sont contre toute réforme quelle qu’elle soit. Il y a de leur part un déni de réalité. Cette protestation est devenue surréaliste à partir du moment où le gouvernement a privilégié l’ajustement au fil de l’eau à la réforme de fond. En rejetant les recommandations du rapport Moreau, le gouvernement a donné raison aux deux organisations syndicales pour lesquelles l’augmentation des cotisations était la seule solution légitime. Certes, la CGT, FSU et FO sont également opposées à l’augmentation de la durée de cotisation dont l’entrée en vigueur n’est prévue qu’après 2020. Certes, elles demandent l’abrogation de la réforme Sarkozy et la revalorisation des pensions. Elles demandent une hausse du SMIC, jusqu’à 1700 euros. Les deux syndicats veulent adresser un avertissement au gouvernement afin qu’un virage à gauche toute soit réalisé.

Vincent Touzé Les revendications de ces trois syndicats sont essentiellement la défense des pensions retraite et la hausse des cotisations. L’idée principale est que c’est aux recettes de s’ajuster aux dépenses, et jamais l’inverse. Cette manifestation peut paraître surprenante car les mesures adoptées par le gouvernement sont très minimalistes : le gouvernement a préféré remettre à plus tard les véritables mesures et le plan d’économie annoncé ne couvrira qu’entre 35% et 50% des besoins de financement. Les Français sont inquiets et ils ont raison. Ils sont dans l’incertitude et se demandent à quoi pourrait bien ressembler un prochain ajustement. Les syndicats se méfient également d’un possible "autre" plan d’économie, surtout pour le secteur public. Une manifestation, même seulement de principe, est importante car elle permet aux syndicats de montrer au gouvernement que leur détermination face à une réforme massive des retraites reste intacte. Egalement prudents de ne pas alimenter un combat intergénérationnel, les syndicats ne vont pas manifester pour défendre un plan alternatif mais simplement revendiquer des hausses importantes de salaires avec un slogan très simple : plus de salaire = plus de consommation = plus de croissance = plus de recettes pour les régimes de retraite. Un collectif de "jeunes" intitulé "La Retraite une affaire de jeunes" devrait se joindre à la manifestation. 

Existe-t-il des batailles orphelines dans le cadre de ce débat, des sujets centraux qui n'ont jamais été vraiment abordés ? Lesquels ?

Philippe Crevel : Le débat sur la retraite a été enterré en deux temps. La publication du rapport Moreau avait fermé la porte à la réforme systémique ainsi qu’à l’ouverture sur les fonds de pension. L’idée de la création d’un grand régime unique par points comme en Suède ou en Italie n’a pas été retenue par la Commission, pas une seule ligne n’a été consacrée à la capitalisation. Avec la présentation du projet de réforme par Jean-Marc Ayrault, à la fin du mois d’août, nous avons un deuxième enterrement, celui des rares propositions réformatrices du rapport Moreau. Exit le rapprochement entre le non régime de la fonction publique et les régimes du privé, exit la CSG, exit l’harmonisation fiscale et sociale des retraités sur les actifs….

Certes, le projet de loi sur les retraites comporte quelques avancées pour améliorer les pensions des femmes qui sont encore de 30 % inférieures à celles des hommes. Il n’en demeure pas moins que le gouvernement a opté pour un plan a minima qui ne règle rien.

Les salariés sont les perdants de cette non-réforme à laquelle il faut ajouter celle bien plus importante concernant les complémentaires. Les salariés comme tous les actifs devront supporter des augmentations de cotisations qui ponctionneront leur pouvoir d’achat. L’augmentation de la durée de cotisation après 2020 aboutira à pénaliser les actifs les plus jeunes, entrant tard sur le marché du travail. A terme, il y aura de moins en moins de retraités qui auront le nombre complet de trimestres ce qui conduira à des baisses de pension.

Les cadres figurent parmi les principales victimes. Ils doivent tout à la fois supporter l’allongement de la durée de cotisation, la baisse du rendement du régime Agirc et les majorations fiscales décidées par les gouvernements depuis trois ans. Si une catégorie sociale devait manifester ce 10 septembre, c’est certainement les cadres et les classes moyennes ainsi que les parents de famille nombreuse.

Les entreprises sont les autres grandes perdantes de ce plan. Le Medef a espéré une hausse de la CSG mais a du avaler une augmentation des cotisations et la création d’un compte pénibilité. Elles devront sortir de 4 à 6 milliards d’euros de leurs poches d’ici 2020. Au moment où leur taux de marge est au plus bas, ces mesures ne feront que dégrader leur compétitivité.

Vincent Touzé Le mode de calcul des pensions n’intègre pas explicitement les différences d’espérance de vie catégorielle. Il faudrait pouvoir établir de façon objective des mesures d’espérance de vie en fonction des parcours professionnels et en tenir compte lors de la liquidation des droits. Le compte pénibilité devrait en théorie améliorer ce problème. En pratique, la mise en place s’annonce compliquée. Ouvrir ce débat est important mais il peut aussi conduire à s’interroger sur toutes les formes d’inégalité d’espérance de vie, notamment celle entre les hommes et les femmes.

Le secteur public semble relativement épargné par la réforme. D’un certain point de vue, cela peut créer un sentiment d’injustice. Pourtant, les salariés du public subissent, depuis plusieurs années, une pression salariale importante avec un quasi-gel de la valeur du point d’indice. Il serait plus juste, de la part de l’Etat, de maintenir une hausse de la valeur du point dans la fonction publique et de l’associer à une hausse du taux de cotisation salarié, ce qui permettrait d’évaluer exactement la contribution supportée par les agents de l’Etat pour financer les retraites de leurs aînés. Le financement des retraites par répartition est, avant tout, un problème de partage des ressources entre les générations. Il ne faut jamais l’oublier.

La jeunesse semble payer un lourd tribut à la réforme des retraites dessinée par le gouvernement. De quels arbitrages ces "oublis" dans le débat sont-ils le signe ? Quels intérêts sont les plus défendus ?

Philippe Crevel : Le gouvernement considère qu’il suffit d’attendre 2020 voire 2035. Il parie sur l’amélioration de la démographie, du retour de la croissance pour ne rien faire aujourd’hui. Il acte le transfert des dettes et des charges sur les jeunes générations. Les jeunes subissent une triple peine, celle de rencontrer des difficultés pour s’insérer professionnellement, celle de payer les dettes accumulées et à venir, celle de subir une baisse pour leur future pension. En allongeant la durée de cotisation de 41,5 à 43 ans de 2020 à 2035, le pouvoir décide de faire payer la réforme aux générations les plus jeunes. Ce choix repose sur un cynisme et un réalisme à toute épreuve. Ce ne sont pas les électeurs de 2020 qui éliront les conseillers municipaux de 2014. En revanche, nul n’ignore que les retraités sont des électeurs qui connaissent le chemin des urnes.

La retraite est une affaire lointaine pour les jeunes qui considèrent pour une grande partie d’entre eux qu’ils n’en auront pas. De ce fait, leur capacité de mobilisation est relativement faible. Par ailleurs, ils sont mal représentés. Mal insérés dans le monde du travail, ils sont peu pris en compte par les syndicats. Par définition, il y a peu de jeunes dans les instances syndicales qui sont avant tout composées de fonctionnaires de plus de 40 ans…

Vincent Touzé La moyenne d’âge des représentants politiques et syndicaux est plutôt élevée. A titre d’exemple, celle des responsables des trois syndicats qui appellent à manifester est de 55 ans. Il peut donc y avoir un biais générationnel important dans les discussions. Il faudrait améliorer la représentation générationnelle dans les instances de gouvernance des systèmes de retraite et, surtout, aussi mettre en place des verrous institutionnels afin de limiter voire interdire le recours à des hausses des taux de cotisation retraite pour régler les problèmes de financement.

Aujourd’hui, le gouvernement propose à la jeunesse de cotiser plus, plus longtemps pour des pensions plus faibles après d’interminables études et d’immanquables passages par les cases stages et chômage. Il pousse aussi l’ironie jusqu’à subventionner le rachat de trimestres d’études, ce qui signifie bien que les plus jeunes générations valideront très difficilement le nombre de trimestres requis pour bénéficier d’une retraite "normale". Que fait la jeunesse ? Est-elle résignée ? Il est temps que la France ouvre un grand débat national pour redéfinir le pacte de confiance entre les générations.

Quelles pourraient être les conséquences de la mise de côté, volontaire ou non, de l'ensemble de ces problématiques ?

Philippe Crevel : La France manque une fois plus un rendez-vous. Le gouvernement a choisi ses priorités, les élections de 2014 au détriment des réformes structurelles. En revanche, il prend le risque de se retrouver dans l’angle du viseur de l’Union européenne. La Commission a accordé un délai de deux ans à la France pour revenir sous la barre des 2 % de déficit public à condition que conduire des réformes de fond. Elle a de manière non officielle émis des réserves sur le plan français qui ne reprend aucune de ses recommandations. La Commission de Bruxelles avait notamment demandé une harmonisation des règles entre le privé et le public et une refonte des régimes spéciaux.

Le gouvernement risque de se retrouver avec le problème des retraites très rapidement surtout si la croissance continue à se dérober. Son pari est de passer l’échéance de 2014 voire de 2017 mais si la conjoncture reste morose, il pourrait être obligé de traiter le dossier à chaud.

Vincent Touzé : La hausse des taux de cotisation retraite n’est pas la bonne solution : elle pèse sur le pouvoir d’achat des jeunes ménages et alourdit le coût du travail, ce qui peut être un facteur d’aggravation du chômage.

Le système de retraite doit offrir des garanties à tous les citoyens, y compris aux plus jeunes générations. Il ne doit pas être un facteur de désespérance pour la jeunesse, ni donner l’impression que certaines générations ont des droits et les autres, seulement des devoirs. Le financement du système ne doit pas peser sur la croissance économique, au contraire, il doit s’en enrichir.

A titre d’exemple, l’Allemagne a plafonné le taux de cotisation malgré une structure de population vieillissante. Le pari sur l’avenir porte sur la défense du pouvoir d’achat du salaire et sur l’emploi (pas d’alourdissement du coût employeur). Le plus gros risque pour la France serait de voir ses meilleurs talents quitter le territoire pour bénéficier d’un emploi, d’un meilleur salaire, d’un meilleur avenir ailleurs. En Allemagne, par exemple. Avec la libre circulation de la main-d’œuvre en Europe, notre avantage démographique, souvent envié, n’est donc pas si certain.

Une autre voie pour les syndicats est-elle possible dans ce débat ?

Philippe Crevel : La France souffre d’un manque de consensus social. La division syndicale a pour conséquence une surenchère permanente. Un bon syndicat doit s’opposer et non être acteur d’une réforme. Le syndicalisme est, en France, politique. Du fait de la loi Le Chapelier en 1791, le monde ouvrier s’est placé sur le terrain de l’affrontement au pouvoir en place. Les idéaux marxistes ont renforcé cette tendance. L’obtention d’un accord est synonyme de compromission. La CFDT a été souvent ostracisée pour ses participations à des négociations. Par ailleurs, la France, pays jacobin, laisse peu de place au dialogue social. Le champ dévolu aux partenaires sociaux est étroit. La concertation est avant un simulacre. Le Premier ministre n’a-t-il pas annoncé son plan le soir même de ses rencontres avec les responsables syndicaux. L’exercice est convenu. Il y a un jeu syndical mais in fine, c’est l’administration et le gouvernement qui prennent les décisions. Il faudrait que les syndicats abandonnent leur posture, leurs a priori idéologiques pour élaborer un véritable projet.

Vincent Touzé : Pour réussir une réforme juste et durable, il serait très utile d’avoir des syndicats forts et représentatifs de tous les travailleurs de la nation qu’ils soient jeunes ou vieux, hommes ou femmes, salariés du secteur public ou du secteur privé. Malencontreusement, le taux de syndicalisation en France est très bas (moins de 8%). Les syndicats font donc face à un défi immense : partir à la conquête de nouveaux adhérents. Il faut espérer que les difficultés actuelles de financement de la protection sociale seront aussi un facteur important de mobilisation et de prise de conscience.

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