Qui sera vraiment puissant en 2050 ? (et pourquoi la réponse est loin de ne dépendre que du PIB par habitant) <!-- --> | Atlantico.fr
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Qui sera vraiment puissant en 2050 ?
Qui sera vraiment puissant en 2050 ?
©Reuters

Choc des Titans

Le début des années 2000 était témoin de l’arrivée en fanfare des nouveaux dragons, les BRICs (Brésil, Russie, Inde, Chine). Après l’interruption due à la grande récession, la course économique avec les pays développés peut reprendre. Pour les pays les plus avancés, l’horizon 2050 promet de nombreux bouleversements.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Au cours des dernières années, plusieurs firmes, comme Goldman Sachs, ou, plus récemment PWC, ont pu s’essayer à la prévision économique sur longue période afin de dessiner les contours de ce à quoi ressemblerait la planète économique en 2050. D’autres instituts, quelques économistes, ont également pu se livrer au même type d’exercice concernant la distribution de revenus à travers le monde, ou au sein mêmes des pays, ou concernant l’impact du progrès technologique sur les emplois, et ce, afin d’établir une cartographie de ceux qui bénéficieront le plus de ces évolutions. Entre jeux de puissances des nations, niveau de vie des populations, lutte contre la pauvreté, et lutte contre les inégalités, les enjeux de l’après "grande récession" forment une promesse de profonds bouleversements pour les prochaines décennies.

Le classement des pays par PIB

Selon la nature des approches menées, le classement des puissances mondiales va pouvoir varier. D’une part, la richesse d’un pays peut être calculée sur la base de parité de pouvoir d’achat, ce qui offre l’avantage d’une comparaison plus "équitable" de la situation.

Ainsi, selon l’approche de PWC, utilisant cette méthode de parité de pouvoir d’achat, le classement économique mondial était déjà dominé par la Chine pour l’année 2014. Une place que le pays conservera en 2050. Les Etats Unis, malgré la forte progression de leur économie, se verraient également dépasser de justesse par l’Inde au cours de cette même année 2050. La France, de son côté, devra faire face à son déclin relatif par rapport aux nouvelles puissantes émergentes, comme le Mexique, l’Indonésie, le Nigéria ou encore l’Arabie saoudite.

Tableau : classement des pays par PIB en parité de pouvoir d’achat (Source: PWC)

Ce qui correspond à un état du monde analogue à celui présenté par les prévisions faites par Goldman Sachs quelques années auparavant. A noter que les chiffres de Goldman Sachs ne sont pas comptabilisés en parité de pouvoir d’achat, ce qui donne un classement plus fidèle de l’état du pays en termes de "puissance économique" plutôt qu’en termes de niveau de vie. Parce que l’unité est fixe et permet ainsi de mesurer les poids et l’impact des échanges.

Graphiques: classement des pays par PIB en USD (Source: Goldman Sachs)

Alors que depuis les années 70, le classement semblait figé, l’accélération du développement des pays émergents change la donne. Selon ce classement, après la Chine il y a déjà quelques années, ce sont  l’Inde,  le Brésil,  la Russie, le Mexique, l’Indonésie qui dépasseront la France d’ici à 2050. Une France qui sera alors talonnée par le Nigéria ou la Turquie, mais qui aura, pour sa part, dépassée une Allemagne à la population décroissante. Dans ce cas de figure, France et Royaume Uni seront les économies européennes dominantes dans un monde aux puissances profondément remaniées.

En prenant du recul, les déplacements de puissance se trouvent ainsi profondément modifiés. Si le poids économique des nations se reflétait avant tout par leur poids démographique avant le XIX siècle, la révolution industrielle avait inversé la tendance, et brouillé les cartes :

Graphique : poids économiques des zones économiques en % au fil des siècles

L’apparition de ces nouveaux blocs économiques fait ressurgir la question du choix, que posait Walt Whitman Rostow, dans "Les étapes de la croissance économique" dès 1963.

"Lorsque la maturité technologique est atteinte, et qu’une nation dispose alors d’un outil industriel moderne et différencié, à quelles fins doit-il être soumis ? Dans quelles proportions ? Une progression de la sécurité sociale à travers l’Etat providence, pour étendre la consommation de masse ? Soutenir la puissance et stature de la nation sur la scène mondiale ou soutenir le loisir ?"

Entre stratégie de bien-être des populations et stratégie de puissance, la question reste en suspens.

PIB Par habitant

Si l’évolution des puissances économiques a beaucoup à voir avec la croissance démographique, l’évolution des PIB par habitant permet de mesurer plus justement le niveau de vie de la population. Et ici, les résultats sont très différents.

Graphique : PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat (Source: PWC)

Si le fort développement des pays émergents va rebattre les cartes de la domination économique, les niveaux de vie vont encore longtemps rester favorables aux pays les plus avancés. Selon PWC, la France ne sera ici dépassée que par le Japon, la Corée du Sud, et le Royaume Uni. Malgré ce déclassement relatif, le pays devrait rester parmi les pays les plus riches de la planète en termes de PIB par habitant. Une situation qui peut encore être pondérée par les chiffres de Goldman Sachs, qui ne tiennent pas compte de la "parité de pouvoir d’achat " :

Graphiques : PIB Par habitant (Source: Goldman Sachs)

Selon ce dernier classement, les populations nationales les plus riches de 2010 resteront encore les plus riches en 2050. Les forts taux de croissance anticipés pour les pays émergents permettront un accroissement considérable des niveaux de vie à travers le monde, mais ne suffiront pas à "colmater" l’écart existant.

Et ce, malgré des taux de croissance bien plus mesurés dans les pays les plus avancés que dans les émergents :

Tableau : taux de croissance moyen par pays (Source : Goldman Sachs)

Cependant, si la croissance des pays les plus riches s’annonce satisfaisante pour les années à venir, reste à se poser la question du partage de cette croissance au sein des populations. Entre baisse effective de la pauvreté dans les pays émergents et partage inégalitaire des richesses dans les pays les plus avancés.

Revenus, classes moyennes et inégalités

Le développement économique des dernières années avait pu mettre en évidence un double niveau de lecture des inégalités. D’une part, le fort développement des pays les plus pauvres, notamment de la Chine, a permis de faire sortir près d’un milliard de personnes d’une situation d’extrême pauvreté, fixée à 1.25 dollar par jour. C’est ainsi que le plan de lutte contre la pauvreté présenté par l’ONU bat régulièrement ses prévisions précédentes. Cette évolution, très favorable, devrait perdurer. Notamment pour des pays parmi les plus pauvres comme le Bangladesh, dont le PIB par habitant est attendu en 2050 à un niveau 10 fois supérieur à ce qu’il était en 2010. De cette façon, les inégalités mondiales continueront de décroître, comme cela est avancé ci-dessous par la projection de la courbe de Lorenz (plus la courbe est proche de la diagonale, plus la distribution de revenus est égalitaire).

Graphique : « Une distribution des revenus mondiaux plus égalitaire » (Source: Goldman Sachs)

Une telle réduction de la pauvreté qui va contribuer à la constitution de très larges classes moyennes au sein de ces nouveaux empires économiques :

Source : Direction Générale du Trésor

Cependant, comme l’indique le document publié par PWC, les pays émergents sont soumis à un important défi concernant leurs institutions.

"Cependant, les problèmes profonds apparaissent lorsque l’on se tourne vers les institutions sociales et politiques. La recherche économique, notamment de Daron Acemoglu et James Robinson, montre que les facteurs institutionnels sont critiques pour une croissance durable. Lorsque ces institutions sont "extractives", seule une petite élite s’enrichit. (..) Mais ces pays ne seront pas capables d’avancer progressivement vers le club des pays les plus riches sans réformer leurs institutions sociales, économiques et politiques". Ce qui signifie que seule une croissance "inclusive" permet un développement économique durable.

Ce qui, d’autre part, permet de pointer les inégalités mesurées à l’intérieur même des pays les plus développés. Car cette question représentera, après la croissance, le plus grand défi des pays les plus avancés pour les années et les décennies à venir. En effet, depuis la fin des années 80, le partage des richesses a été un échec majeur au sein des économies occidentales. Comme le démontre le graphique ci-dessous, réalisé par les économistes Gabriel Zucman et Emmanuel Saez et prenant l’exemple de l’évolution de la distribution de richesse des Etats Unis :

Graphique : partage de la richesse aux Etats Unis (0.01% les + riches et 90% les – riches)

Un partage de richesse inégal qui, selon les prévisions du CBO (Congressional Budget Office) n’est pas prêt de changer :

"Entre 1984 et 2000, le coefficient de Gini est estimé avoir progressé de 0.34 à 0.40, une hausse de 18%. Au courant de la décennie suivante, les inégalités sont apparemment restées inchangées, et, en 2009, le coefficient de Gini était à un niveau comparable à celui de 2000. Jusqu’en 2035, le CBOLT projette que les inégalités vont continuer d’augmenter, mais à un rythme moindre. Entre 2009 et 2035, le coefficient de Gini pour tous les travailleurs devrait progresser de 17%, de 0.40 en 2009 à 0.46 en 2035."

Comme le démontre le graphique ci-dessous, la seule catégorie de population qui verra sa part de richesse progresser au cours des 20 prochaines années est composée des 10% les plus riches. Pour les autres, c’est un lent déclin ou la stagnation qui devrait être la règle.

Une inégalité qui conduit à la progression continue de l’indice de Gini, cité plus haut :

"Goldin et Katz (2007) constatent que la majorité de l'augmentation des inégalités depuis 1980 peut être attribuée à l'augmentation des écarts de salaires selon le niveau éducatif. Au cours des prochaines décennies, affirment-ils, ces écarts vont probablement continuer à croître, mais à un rythme plus lent (…) les changements technologiques et les technologies informatiques, par exemple, joueront également un rôle dans la montée des inégalités puisque ces facteurs ont eu tendance à augmenter les revenus de ceux qui sont au sommet de la distribution et à pousser les travailleurs (avec des revenus inférieurs) au bas de la distribution"

Une perception de l’impact des nouvelles technologies, et du niveau d’éducation, que partagent les économistes Frey et Osborne dans une étude datant de 2013 et dressant un tableau alarmant du marché de l’emploi  pour les décennies à venir. Les deux économistes prévoient en effet que près de 47% des emplois actuels ont une forte probabilité de pouvoir être automatisés au cours des 15 prochaines années.

Graphique : niveau de qualification et probabilité de "remplacement" par l’automatisation (Source : Frey & Osborne)

"Nos recherches impliquent que la course technologique qui s’annonce va déplacer les travailleurs faiblement qualifiés vers des taches non susceptibles d’être "automatisées". C’est-à-dire des taches qui nécessitent des capacités d’intelligence créative et sociale. Cependant, pour que les travailleurs gagnent cette course, ils vont devoir acquérir ces compétences sociales et créatives."

Les prévisions sont faites pour être contredites par la réalité. Mais le défi majeur qui se profile pour les pays les plus avancés sera d’offrir les ressources nécessaires pour soutenir la croissance, et optimiser le niveau d’éducation des populations. Sans cela, les classes populaires et moyennes de ces pays seront confrontés à une double concurrence, celle des pays émergents et celle des machines.

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