Quels pouvoirs a vraiment le nouveau monsieur anti-terrorisme européen ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Quels pouvoirs a vraiment le nouveau monsieur anti-terrorisme européen ?
©capture d'écran Live Leak

Curieuse nomination

En réponse au Brexit, Jean-Claude Juncker a confié le portefeuille sécuritaire de la Commission européenne à l'ancien ambassadeur du Royaume-Uni à Paris, Julian King. Une fonction sans grand pouvoir, qui témoigne de l'impuissance européenne face aux enjeux actuels.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

Voir la bio »

Atlantico : Début août, Jean-Claude Juncker a décidé de confier le portefeuille de la sécurité et de l'antiterrorisme à Julian King, jusqu'à présent ambassadeur du Royaume-Uni à Paris. Quelles sont les prérogatives et le champ d'action d'un tel portefeuille européen ? Quelle réalité recouvre-t-il à l'heure actuelle ? 

Alexandre del Valle : Il s'agit d'un portefeuille ô combien symbolique, dont le pouvoir pourrait être considérable dans l'absolu. Dans les faits, néanmoins, la sécurité est un sujet qui fait l'objet de controverses particulièrement régulières. C'est également l'un des domaines les moins approfondis de l'Union européenne, sinon le moins approfondi. Les États ont gardé la grande majorité des prérogatives en matière de sécurité, de défense et de justice, et de facto un tel portefeuille ne peut donc pas correspondre à un pouvoir politique réel. Dans la mesure où il s'agit des domaines privilégiés des États membres de l'Union européenne, ce poste n'a pas beaucoup plus d'utilité que celle de faire sourire les homologues chinois, américains ou russes. Ils ont un numéro à appeler, qui ne représente finalement personne. D'autant plus que l'Union européenne a toujours été très divisée à cet égard et en matière de politique étrangère.

Je tiens à souligner que la situation devient de plus en plus ubuesque : nommer un diplomate en provenance d'un pays qui a projeté de quitter l'UE, puis l'a voté, et qui dispose d'un droit de retrait comme de non-application des directives, frise le burlesque.

Concrètement, la réalité que recouvre ce portefeuille aujourd'hui est mineure. Dérisoire, même. Il n'y a pas de politique étrangère et de sécurité européennes qui soit souveraine ou qui représente un intérêt précis. Et pour cause : c'est le domaine dans lequel les États ont le moins partagé et c'est également le domaine dans lequel on constate le plus de désaccords, de dissensions. En tant qu'États, ils ont évidemment des options, des histoires, des stratégies, des intérêts et des priorités très différentes. Des exemples comme la Lybie, la Serbie, le Kosovo et le traitement associé à ces cas sont représentatifs de ces divergences.

Il va de soi qu'il ne s'agit pas dans le cas présent de se mettre d'accord sur l'attitude à adopter vis-à-vis de conflits extérieurs, mais bien de sécurité intérieure. Le sujet est plus consensuel. Cependant, les États européens sont loin d'avoir tous la même conception du secret, des échanges de données, des coopérations policière, judiciaire, etc… Par conséquent, cette nomination est très loin d'avoir les ressources nécessaires pour changer la donne. A l'inverse, même, c'est un constat de l'impuissance de l'Union européenne à imposer un semblant de vision stratégique unique à ses États membres. Finalement, en nommant un Anglais, peu importe sa qualité personnelle, on nomme un individu qui aura le moins de chance de représenter l'intérêt général européen.

En considérant le contexte du Brexit, dans quelle mesure cette nomination peut-elle constituer un obstacle à l'efficacité de la lutte contre le terrorisme ? Pourquoi avoir fait le choix d'un Britannique à la tête de ce portefeuille ? 

La tradition est, souvent, de nommer des Britanniques aux postes clefs de l'Union européenne que sont la diplomatie (Catherine Ashton), le commerce (Peter Mandelson), etc. C'est assez paradoxal, mais les postes les plus importants (diplomatie, sécurité-défense, commerce, industrie) ont régulièrement été attribués à des Anglais.

Il me semble également que l'Union européenne craint une baisse de l'intensité en matière de défense à la suite du Brexit. La Grande-Bretagne compte parmi les pays disposant d'une armée parmi les plus importantes en Europe, et c'est sans compter le fait qu'elle dispose également de l'arme nucléaire. C'est avec elle que la France a tenté d'édifier un semblant de politique européenne en matière de défense. L'idée que les Anglais s'éloignent et coopèrent moins dans ce domaine et probablement source d'inquiétudes. Cette nomination apparait donc logiquement comme très politique : il s'agit d'un message délivré aux Britanniques, visant à les rassurer et à les assurer de la confiance qui est placé en eux. Il s'agit, d'une certaine manière, de compenser le Brexit voté en juin dernier.

Cette nomination ne représente pas pour autant un obstacle quelconque à l'égard de l'efficacité européenne de lutte contre le terrorisme. Nous l'avons dit tout à l'heure, ce poste n'a pas d'influence sur la question. C'est, toutefois, un symbole très surprenant. Le Royaume-Uni a toujours joué un jeu minimal vis-à-vis de l'Union européenne. Depuis Margaret Thatcher, il demande soit des remboursements, soit des exceptions… Cela dit, rien ne laisse à penser qu'à titre proprement personnel, Julian King soit moins compétent qu'un autre.

En matière d'anti-terrorisme, qui sont les bons élèves de l'Union européenne ? Sur quel modèle se baser, éventuellement, pour rendre l'anti-terrorisme européen efficace face aux enjeux et aux menaces qui pèsent actuellement sur le continent ?

Des bons élèves en matière d'anti-terrorisme en Europe, on en compte assez peu. C'est le domaine dans lequel les États ont fait le moins de concessions à l'échelon supranational. Par conséquent, les nations ont gardé le plus de prérogatives sur ces questions, ce qui rend plus complexe de répondre par une comparaison classique. Globalement, les Allemands sont assez sérieux dans la façon de traduire dans leur législation les dispositions européennes. Les Français le sont relativement également. Les Anglais ne le sont pas le moins du monde, quand les Italiens apparaissent fermes sur le papier mais autrement moins dans les faits. Les Belges ont beaucoup de carences également. Il est difficile de dire, donc, si en vertu des standards de l'Union européenne, untel ou untel autre est bon élève. On peut plus facilement faire état de qui est sérieux dans l'application des décrets européens. Le pays le plus laxiste entre tous, non pas par je-m'en-foutisme mais par manque de moyens, c'est clairement la Grèce. Or, la Grèce se doit de gérer notre sécurité, au travers d'un contrôle de l'immigration, qu'elle n'est pas en mesure de réaliser, faute de policiers et de juges. Ce manque de moyens est criant.

Quant à savoir quel modèle pourrait servir de base… La Suisse est clairement un bon exemple, bien qu'elle reste incomparable à l'Union européenne, du fait de sa taille. Néanmoins, elle est similaire à l'Europe en cela qu'il s'agit d'une fédération composée de plusieurs entités historiquement, culturellement et linguistiquement, différentes. Elles ont réussi à mettre en commun le militaire, le sécuritaire et la justice. La sécurité est confiée au peuple, c'est l'affaire de tous. Face à un phénomène de terrorisme islamisme "réticulaire", selon l'expression de Gilles Kepel, dé-professionnalisé, qui est devenu l'appel de tous à tuer tout le monde ; la réaction ne peut qu'être une implication large des citoyens. La comparaison a beau ne pas être tout à fait valable, c'est un système démocratisant vers lequel il faudrait tendre.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !