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Blé, cacao, sucre : libérez-les !
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La régulation en question

Les négociations sur la libéralisation du commerce international entreprises dans le cadre du cycle de Doha seront au menu de la réunion informelle qui se tient à l’OMC ce mardi à Genève. L'occasion de comprendre la volatilité des prix agricoles et le rôle des États dans la régulation du marché des matières premières.

Jean-Philippe Feldman

Jean-Philippe Feldman

Jean-Philippe Feldman est agrégé des facultés de droit, ancien Professeur des Universités et maître de conférences à SciencesPo, et avocat à la Cour de Paris. Il est vice-président de l’Association pour la liberté économique et le progrès social (A.L.E.P.S.).

Dernier ouvrage publié : Exception française. Histoire d’une société bloquée de l’Ancien Régime à Emmanuel Macron (Odile Jacob, 2020).

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Dans le monde entier, de nombreux gouvernements, craignent des « émeutes de la faim » à cause des matières premières trop chères, tandis qu’en France nos hommes politiques les plus médiatiques, à commencer par Nicolas Sarkozy, entendent « garantir » des revenus suffisants aux agriculteurs.

En termes mesurés, il conviendrait, selon le président de la République, d’« encadrer » le marché trop fluctuant afin de permettre à ceux qui travaillent la terre de subsister, mais plus encore de croître. En termes radicaux, il s’agirait selon les « écologistes » et l’extrême gauche, de mettre fin à un marché mondial irrationnel qui aboutirait à affamer les citoyens et à paupériser les agriculteurs au bénéfice de quelques privilégiés. Dans les deux cas, les hommes politiques, les syndicalistes, les journalistes pour la plupart éreintent des « spéculateurs » amoraux, sinon immoraux, et ils en appellent aux autorités. 

L’ignorance des hommes politiques

Pour convenue qu’elle soit, cette thèse témoigne d’une double ignorance, peu important qu’elle soit volontaire ou non. D’abord, une ignorance de la nature humaine : les hommes politiques qui entendent réglementer les marchés sont décrits comme des individus omniscients, débonnaires et rivés à un mythique « intérêt général », tandis que les opérateurs du marché, forgés pourtant dans le même métal, n’auraient en vue que leurs petits et médiocres intérêts personnels.

Ensuite, une ignorance des lois économiques. L’analyse de la fluctuation des prix ne souffre pas de l’irrationalité qu’on lui prête trop souvent. Nos hommes politiques devraient apprendre que lorsqu’il y a surproduction, les prix baissent et que, en revanche, lorsque la production prévue est décevante, du fait par exemple d’événements climatiques graves ou d’erreur dramatiques commises par les gouvernants, les prix  augmentent…

Privilégier la liberté des marchés plutôt que l’interventionnisme

Certes, objectera-t-on, les hommes politiques les plus modérés ne rejettent pas tant la variation légitime des prix agricoles que leur variabilité excessive et ils favorisent l’interventionnisme toujours, le protectionnisme parfois, aux fins de juguler toute crise.

En vérité, aucun gouvernement n’est apte à établir le « juste prix » d’une matière première ou d’un produit agricole, sauf à faire preuve de dons extralucides. Les hommes politiques cherchent en fait à favoriser de manière électoraliste, soit les producteurs au détriment des consommateurs, soit les consommateurs – et avant tout les citadins – au détriment des producteurs.

Autre vice caché : l’interventionnisme, par un effet pervers, accroît la « volatilité » des prix excessive que la « spéculation » permet au contraire d’amortir. Le fait que certains opérateurs achètent des marchandises quand leur prix est bas, revient justement à éviter une disette, plus encore une famine généralisée, lorsque les récoltes sont insuffisantes. Les économistes l’avaient déjà démontré au milieu du XVIIIe siècle lors de la fameuse querelle des grains qui faisait rage dans une France arc-boutée sur elle-même et qui opposait les partisans de la liberté du commerce aux protectionnistes.

Une réalité du marché agricole méconnue

On l’oublie trop souvent, si les variations des prix sont parfois élevées, c’est que, du fait des barrières tarifaires, des quotas, des embargos, des multiples interventions et subventions  gouvernementales, le marché agricole mondial n’est pas assez développé et que, notamment, toute baisse de production est susceptible d’entraîner des conséquences démesurées. Sait-on que le commerce international des produits alimentaires ne porte que sur 15 % environ de la production mondiale et sur moins de 10 % des échanges de marchandises dans le monde ? Sait-on que, dans les pays de l’OCDE, le taux moyen des droits de douane pour les produits agricoles s’élève à 60 % contre seulement 5 % pour les produits industriels ? Sait-on que les pays africains imposent un taux moyen de 34 % sur les produits agricoles des nations du même continent et de 21 % sur leurs propres produits ? [1]

Plutôt que de honnir les « spéculateurs » et de jeter l’anathème sur les marchés à terme, de prohiber les exportations ou d’empêcher les importations, les hommes politiques devraient plutôt s’employer à libéraliser enfin les marchés agricoles.


[1] Dambisa Moyo, L’aide fatale(JC Lattès, 2009)

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