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Poussée de défiance : le gouvernement délègue sa responsabilité sanitaire à des interlocuteurs qui n’en veulent pas
©Francois Mori / POOL / AFP

Déconfinement

Dans le cadre de la mise en place du déconfinement, l’exécutif est confronté à une poussée de défiance. Sans l’action déterminée et quotidienne des collectivités et des entreprises, il sera pourtant impossible de réaliser les objectifs.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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À plusieurs reprises dans la presse ou sur les plateaux de télévision une véritable apologie de notre système politique hypercentralisé a été tenté par plusieurs commentateurs. Dans le domaine de la réponse à l'épidémie de la Covid-19, c'est véritablement un comble et un non sens. La centralisation de la réponse depuis l'Elysée ou Matignon a d'abord interdit toute initiative régionale et ensuite a figé le pays dans un confinement indifférencié prolongé qui n'était nécessaire que dans les foyers épidémiques explosifs. Bref cette réponse centralisée a montré de manière criante les limites de l'absence de transversalité et de subsidiarité dans une société développée. Elle aura coûté très cher du point de vue économique.

Dans ce contexte, dos au mur le gouvernement a fait un changement doctrinal complet. Fini le confinement indifférencié, fini l'illusion de l'uniformité géographique, fini l'inutilité des tests, fini l'incohérence sur les masques. On allait voir ce que l'on allait voir, Édouard Philippe seul contre tous et en particulier la bureaucratie donc il est lui-même le produit, venait de déléguer aux collectivités locales l'essentiel de la responsabilité de la mise en œuvre du confinement sélectif, notre mode de vie pour plusieurs mois. 

Dans la vie réelle cela s’avère plus compliqué et le diable se loge dans les détails. L’exécutif va devoir maintenant affronter une poussée de défiance qui fait suite au programme de sortie du confinement indifférencié. Pourtant sans l’action déterminée et quotidienne des collectivités (essentiellement les régions et les communes) et des entreprises il sera impossible de réaliser les objectifs. 

Déléguer des pans entiers du programme aux collectivités ou aux entreprises, un enjeu essentiel et indispensable

La délégation est le fait de confier une tâche à une autre personne, généralement un subordonné tout en lui fournissant le support et les ressources nécessaires. 

La délégation ne désengage pas le délégant de sa responsabilité. Sauf que la responsabilité de celui qui effectue, dirige et contrôle la tâche en question est aussi entière. Dans le plan de déconfinement (qui est en fait un programme de confinement différencié et sélectif) les responsabilités éventuelles ne relèvent pas des mêmes juridictions. Un chef d’entreprise, un maire sont responsables pénalement de manière très large et peuvent être renvoyés devant un tribunal correctionnel. Un ministre devant la cour de justice de la république. Les élus, les entrepreneurs le savent. C’est un premier niveau de réflexion. 

Les tâches à effectuer sont complexes

Quel que soit le secteur il va falloir beaucoup s’employer pour réussir c’est à dire obtenir des résultats mesurables. Un critère et un objectif auquel les politiques tentent d’échapper en temps calme. Sans compter sur l’imprévu, l’inattendu juridictionnel, la dynamique propre de l’épidémie dans les foyers de forte contamination. L’ouverture des écoles et collèges est subordonnée au respect d’un document de plus d e 50 pages et j’ai bien entendu le ministre de l’enseignement déclarer: “si on n’est pas prêt on n’ouvre pas”. Certains estiment bien sur que rien n’est prêt. Sans innovations radicales dans l’organisation de la vie scolaire cette reprise sera difficile. Pour autant la situation sera la même en Septembre et nul doute que si on avait anticipé depuis le 17 mars nous n’en serions pas là. Le gouvernement n’est pas seul à porter cette responsabilité de l’inaction pendant le confinement. En effet sauf divine surprise l’organisation ancienne ne sera pas possible avant des mois et probablement pas en 2020.

Les personnels des collectivités et la mobilisation du 11 mai

La situation des fonctionnaires territoriaux est très diverse. Certains ont connu une activité importante au front office des services quotidiens, police, pompiers, acteurs sociaux. D’autres sont au chômage technique depuis presque deux mois. Et les tâches vont être singulièrement augmentées dans le cadre de ce programme de maîtrise de la Covid-19. Les exécutifs sont inquiets à ce sujet.

Les entreprises et les salariés prennent conscience de l’urgence économique

Pour la majorité des entreprises le double objectif qui est devant elles est un défi considérable: assurer la sécurité des salariés et retrouver un carnet de commande. Surtout quand les règles sont floues ou incertaines à quelques jours de l’échéance. Dans ce contexte il est étonnant que l’état n’ait pas délégué totalement la question des tests des salariés aux entreprises et à la médecine du travail qui dispose de moyens considérables. Il existait 5 291 médecins du travail en activité en France en 2018, et il existe des infirmiers du service de santé au travail en fonction du nombre de  salariés (Pour l’industrie : 1 pour 200 à 800 salariés et 1 de plus par tranche de 600 salariés. Pour le tertiaire : 1 pour 500 à 1 000 salariés et 1 de plus par tranche de 1 000 salariés. Dans les entreprises de moins de 200 salariés : à la demande du médecin du travail et du comité d’entreprise. Si l'employeur conteste la demande, la décision est prise par l'inspecteur du travail après avis du médecin inspecteur du travail). Tester les salariés sur le lieu de travail permettrait de désengorger les cabinets de médecine libérale qui vont devoir faire face à un double afflux: ceux qui ont besoin de voir leur médecin pour une affection non Covid-19 et ont reporté leur visite et ceux qui veulent obtenir une prescription pour se faire tester car ils sont symptomatiques.

Les entreprises de transport SNCF et RATP ne sont apparemment pas d’accord avec le programme du gouvernement

Pourtant la reprise du transport est indispensable à la reprise économique. En premier le port du masque doit être obligatoire dans les transports en commun sans exception. La question est de savoir qui contrôle et qui sanctionne un mot très compliqué en France. Il faut aussi que les trains soient nettoyés suivant un protocole précis et de ce point de vue l’hygiène qui prévalait avant la Covid-19 n’est pas un atout. Nos trains sont assez sales comme les rames de métro. Cette épidémie pourrait nous faire progresser dans ce domaine. Afin de diminuer le temps de rémanence du virus dans l’air des rames de trains ou dans les bus l’ouverture des vitres est plutôt favorable pour éviter le confinement des aérosols contenant potentiellement du virus. La question des barres de maintien et des poignées qui permettent de garder l’équilibre est compliquée. Deux paires de gants jetables par jour sont nécessaires pour éviter une contamination. En réalité si les voyageurs portent un masque et se lavent les mains après la sortie d es transports et avant d’entrer dans leur lieu de travail ainsi qu’au retour la transmission sera sérieusement cassée par rapport aux deux mois et demi écoulés depuis le début de l’épidémie. Le but ne l’oublions pas est de diminuer la contamination interhumaine au dessous de 1. 

Tester, tracer, traiter: comment en est-on arrivé à la crispation?

Il semble que le gouvernement se soit accordé avec la CNAM sur un scénario impliquant les médecins généralistes de ville comme premier rideau de la stratégie de test pour les patients symptomatiques. Retour au départ sur l'incroyable erreur de Mme Buzyn. 

Déclaration par le médecin à l’administration

Là où les choses sont incompréhensibles c’est que la sécu demande à ces mêmes médecins de déclarer le résultat du test et les cas contacts sur un serveur étatique. C’est avant tout très inefficace. Pourquoi? Parce que la sécu a les données concernant ce tests grâce au remboursement. Avant que l'écouvillonnage soit commencé la carte “vitale” est utilisée pour le tiers payant avec le code de l’acte comme pour tout examen de laboratoire. Ensuite le laboratoire envoie le résultat au patient et au médecin prescripteur. C’est à ce moment là que l’envoi à l’ARS doit être effectué. Comme le remboursement est à 100% depuis peu il est difficile de concevoir que le patient puisse s’y opposer puisqu’il peut s’opposer à la quarantaine ou à n’importe quel soin qui lui serait conseillé. Plus de rapidité et une saisie à la source sans intermédiaire ni papier. 

Recherche des cas contacts par le médecin

Il ne s’agit ni d’un travail médical ni du bon moment pour ce faire. La consultation est un temps de diagnostic et de traitement. Les cas contacts c’est de l’enquête, un travail à faire à distance, hors consultation par une personne des “brigades” qui n’a à être ni médecin, ni infirmier. Il faut économiser au maximum le temps des soignants pour les raisons déjà précisées.

Les “brigades” sont totalement sous staffées

Comment peut on imaginer que le nombre de personnes des brigades puisse être de 3000 - 4000 collaborateurs de l’assurance maladie? C’est bien évidemment ridicule. On attend que les services de l’état fassent très vite une évaluation précise, transparente avec une répartition géographique des personnels sur une carte géographique actualisée. Là aussi il faudra être discriminant. Les populations des zones de forte activité épidémique devront être massivement testées et ce en ayant accès à une granulation fine de la localisation des personnes porteuses du virus. Sans cela ce sera inefficace. Les médecins, les “brigades” vont devoir faire mieux que le doigt mouillé. En effet nous faisons peu de tests et surtout seulement 17,3% sont positifs (Figure N°1).

Figure N°1: Nombre de tests effectués en France et nombre de résultats positifs du 10 mars au 3 mai 2020.

Au total le chemin vers l’efficience va être long et semé d'embûches. Certes les ARS ont été écartées et le duo Préfet/Maire ou l’inverse est maintenant aux manettes. C’est probablement une concession faite au coordonnateur Jean Castex et à l’opposition LR qui en a fait un cheval de bataille. C’est insuffisant car au regard de la responsabilité les maires signeront les arrêtés et ouvriront ou pas les écoles dans un climat d’insécurité. 

Pour tracer les personnes porteuses du virus et leurs contacts nous avons besoin des solutions numériques. Un besoin urgent. 

- Nous n'avons pas besoin d'une application qui fonctionnerait aux calendes grecques. Il nous faut un outil rapide facile à utiliser. 

- Espérer que volontairement les Français vont choisir l'État comme collecteur de leurs données, dans le cadre de ce qui s'est passé depuis le 1er janvier 2020 est très surprenant. 

- Alors le gouvernement devrait très vite faire demi-tour et choisir de confier les données à un acteur indépendant de l’état pour rétablir une confiance minimale.

Il faut agir vite pour réussir à rattraper le retard et sauver l’économie comme la santé des français. Chacun doit se rappeler qu’on ne peut pas choisir la santé contre l’économie ou la liberté contre la santé alors que les trois ne peuvent prospérer séparément. 

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