Molenbeek, la ville belge où l’on apprend à être terroriste<!-- --> | Atlantico.fr
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Intervention des forces de l'ordre à Molenbeek.
Intervention des forces de l'ordre à Molenbeek.
©Reuters

Mauvaise école

Dans cette ville de 96 000 habitants, limitrophe de Bruxelles, ont habité la plupart des auteurs des récents attentats de Paris. Dès 1995, à l’occasion des attentats qui ensanglantèrent la capitale, des connexions avaient été mises au jour avec cette commune. Aujourd’hui, Molenbeek, dont le quart de la population est d’origine marocaine, connaît un taux de chômage de 25%, contre 8% pour l’ensemble du pays. Si on y ajoute des imams qui prêchent un islam radical à une jeunesse déboussolée, peu scolarisée, on comprend mieux pourquoi la ville est devenue une fabrique d’apprentis terroristes.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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- La plupart des auteurs des attentats du 13 novembre à Paris sont de nationalité française et ont résidé à Molenbeek, une commune limitrophe de Bruxelles.

- Selon le bourgmestre de la commune, une trentaine de jeunes sont partis faire le djihad en Syrie.

- Pour bon nombre d’observateurs, c’est le multiculturalisme en vogue depuis des années dans la ville qui est - en partie - à l’origine des dérives de ces jeunes.

- Le ministre de l’Intérieur, Jan Jambon, promis juré, va "nettoyer" la ville de Molenbeek et mettre un terme à toutes les formes de radicalisation.

- Pour l’avenir, doit-on demeurer optimiste ? Surtout lorsqu’on entend ici et là à Bruxelles que "le sang n’a pas assez coulé à Paris".

"Vous savez, ici à Molenbeek, il ya plus de femmes voilées qu’à Casablanca". Certes, c’est une boutade, mais quand on se promène dans les rues de cette ville limitrophe de Bruxelles de près de 96 000 habitants, il se dégage une impression bizarre. Non seulement parce qu’on ne se croirait pas dans le royaume de Belgique, mais aussi parce qu’ il y règne une atmosphère pesante. Comme si, subrepticement, re-défilaient dans nos têtes les terribles images des trottoirs ensanglantés de Paris ce vendredi 13 novembre. Avec ses morts, ses blessés dont certains encore en sursis et ses centaines des familles anéanties. Tout cela, à cause de  fanatiques originaires de cette commune dont 25% de la population est d’origine marocaine, les autres minorités étant composés de Roumains ( près de 12%), de Polonais, de Turcs et de ressortissants de la République du Congo. Oui, les faits sont là. Têtus.

Qu’on le déplore ou qu’on y trouve une excuse, Molenbeek est devenue l’un des hauts lieux du terrorisme européens dans un pays qui compterait selon l’islamologue Mathieu Guidère 19 foyers de candidats au djihad toujours prêts à partir en Syrie. Un pays, faut-il le rappeler, qui compte 4 à 600 jeunes ayant fait le voyage en Syrie. Ce qui est énorme pour un pays de 10 millions d’habitants et proportionnellement beaucoup plus que la France qui, avec 67 millions d’habitants ne compterait, si l’on peut dire, que 500 de ses ressortissants en Syrie.

C’est à Molenbeek qu’a résidé Abdelhamid Abaaoud, l’un des commanditaires supposés des attentats du vendredi 13 novembre. Actuellement introuvable, air rigolard qui masque une évidente cruauté, il a rejoint les rangs de l’Etat islamique en 2012. C’est là aussi qu’a habité l’homme le plus recherché de Belgique et de France, Salah Abdelsam, qui est parvenu à fuir Paris dès le vendredi 13 novembre au soir après son équipée meurtrière pour retourner en Belgique. Les unités spéciales de la police belge ont cru pouvoir l’appréhender, à Molenbeek, en fin de matinée le lundi 16 novembre .En vain. Salah était le frère de Brahim, l’un des kamikazes qui s'est fait exploser à proximité d’un café, boulevard Voltaire dans le 11ème arrondissement de Paris. Comme son frère Salah, Brahim a séjourné en Syrie. A plusieurs reprises, la justice bruxelloise l’a alpagué pour trafic de drogue.

A dire vrai, que cette commune soit devenue l’épicentre d’un islamisme radical, une sorte de centre d’apprentissage, n’est pas surprenant. Alors que dans l’ensemble de la Belgique, les communautés d’origine étrangère sont bien intégrées, surtout celle en provenance du Maroc - elles disposent du droit de vote, sont souvent  propriétaires de leurs appartements, comportent bon nombre de cadres supérieurs visiblement issus du Maroc comme en témoigne leur patronyme, rien de tout cela à Molenbeek. Bien au contraire. En attestent quelques chiffres. Chez les jeunes de 20-29 ans, le taux de chômage dépasse les 25%. Contre un peu plus de 8% sur l’ensemble du territoire. Chez les 30-54 ans, le chômage grimpe jusqu’à 30% pour atteindre 35% chez les 55-60 ans. Si on prend toutes les tranches d’âge à Molenbeek, le taux de sans-emploi atteint 26%. Contre 8% pour l’ensemble de la Belgique. Aussi n’est-il pas surprenant que cette commune, la deuxième ville la plus jeune de Belgique, soit également la deuxième plus pauvre. Et aussi l’une des plaques tournantes du trafic d’armes et de stupéfiants.

Ici à Molenbeek, petite ville délaissée par les Belges dans les années 60-70 qui souhaitaient vivre à la campagne, pas beaucoup de propriétaires… Mais beaucoup d’imams aux prêches violents dans les mosquées. Prêches qui s’en prennent aux femmes avec une violence inouïe. Prêches aussi qui  demandent à toute une jeunesse déboussolée, inoccupée, qui ne se sent pas chez elle, de faire le djihad et de rejoindre la Syrie. Le temps de se former et de revenir en Occident pour y commettre des attentats.  Dans cette commune limitrophe de Bruxelles, on ne compte pas les salles de prière cachées dans les appartements. On ne compte pas le nombre d’habitants qui omettent de se déclarer en mairie, ce qui facilite les activités illicites et rend très difficile de retrouver un fugitif.

Au jour d’aujourd’hui, le bourgmestre  de la ville, Françoise Schepmans, évalue à une trentaine de personnes qui seraient touchées par l’islamisme radical et tentés par le départ en Syrie. Certains y sont allés. Certains y sont revenus. Un phénomène qui n’est pas nouveau en Belgique. En effet, cela fait des années que Molenbeek est une ville à problèmes, résume Me Sven Mary, l’un des avocats les plus prestigieux de Bruxelles. Et d’expliquer : "Nous avons trop misé sur le développement du multiculturalisme. Ca n’a pas marché. Et comment aurait-ce été possible, puisque les jeunes, qui sont nés ici ne parlaient ni le français, ni le flamand, mais l’arabe ? Aussi, toute intégration dans un cadre scolaire doublé d’une volonté d’apprendre est-elle apparue vaine."  Alors, cette jeunesse s’est tournée vers les trafics en tout genre et la délinquance, dès l’âge de 14-15 ans. 

Il y a encore trois ans, lorsqu’il occupait les fonctions de bourgmestre de Molenbeek, le socialiste Philippe Moureaux, ancien ministre de la Justice - il fut à l’origine d’une loi contre le racisme et la xénophobie en 1981- avait fait du multiculturalisme l’un des axes de sa politique municipale. Sans doute a-t-il été trop optimiste, durant ses mandats (1992-2012), en pensant que c’était un facteur d’intégration. De bonne foi, il a cru que c’était la clé du vivre ensemble. Depuis trois ans, c’est Françoise Schepmans qui est aux commandes de la ville. Elle critique vertement son prédécesseur, répétant à l’envie qu’à Molenbeek, on a vécu dans le déni. "J’ai souvent répété qu’il y avait un problème, qu’il fallait développer  des programmes d’intégration, permettre aux habitants d’apprendre le français. Mais on me disait que les choses se feraient naturellement", vient de déclarer Françoise Schepmans à la Libre Belgique. La réponse de Moureaux n’a pas tardé : "c’est la libérale Mme Schepmans qui est restée totalement passive face à des départs importants vers la Syrie".Voilà bien une polémique qui nous rappelle la France...

Depuis le dimanche 15 novembre, un homme amis tout le monde d’accord. C’est le ministre de l’Intérieur, Jan Jambon, qui a averti : "Nous allons nettoyer Molenbeek". Sous-entendu, mettre un terme aux velléités de ceux qui veulent partir en Syrie. Il était temps. Dire qu’à Molenbeeek, un seul policier de l’antiterrorisme a pour mission de surveiller le contenu de message  prônant sur Internet l’islamisme radical ou le départ vers la Syrie. Mais promis, juré, des moyens vont être mis en œuvre pour que Molenbeek cesse d’être une fabrique de terroristes. En effet, 150 000 euros viennent d’être débloqués à la ville par le gouvernement fédéral. Oui, il faut à tout prix que les AbdessarDahmane, l’un des assassins du commandant Massoud,  Amely Coulibaly, le preneur d’otages à l’Hyper-Cacher de la porte de Vincennes, Mehdi Nemmouche, le tueur du musée juif de Bruxelles, AbdellhamidAbaaoui soupçonné d’être le cerveau des attentats de Paris  tombent dans les oubliettes de l’Histoire de Molenbeek. Tout comme les fanatiques, originaires de la même ville qui ont assassiné la jeunesse parisienne cet apocalyptique vendredi. Pour l’heure, dans la France une nouvelle fois meurtrie après Charlie Hebdo il y a moins d’un an, dans une Belgique abasourdie, pleine de compassion, pas un n’oserait contredire ce souhait. Encore qu’un notable bruxellois, nous confiait : "vous savez, je connais des gens qui m’ont lancé : le sang n’a pas assez coulé à Paris le vendredi 13 novembre."

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