Majoritairement favorables aux pistes du rapport Moreau en juin, 74% des Français sont aujourd’hui opposés à la réforme des retraites : comment en est-on arrivé là en si peu de temps ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Français sont résignés mais relativement réticent aux efforts.
Les Français sont résignés mais relativement réticent aux efforts.
©Reuters

En fait... non !

Un sondage IFOP pour le magazine "Pèlerin" révèle que 35% des sondés ne sont "pas du tout satisfait" pour 39% de "plutôt pas satisfaits" par la réforme des retraites du gouvernement Ayrault. Un basculement soudain mais typiquement français.

Atlantico : Le sondage IFOP publié par le magazine Pélerin révèle que 74% des Français ne sont pas satisfaits de la réforme des retraites prévue par le gouvernement. Comment expliquer qu'une opposition si nette se soit dessinée en si peu de temps ?

Jérôme Fourquet : Ce qu'il faut d'abord rappeler c'est que, comme le disait Michel Rocard en son temps, la retraite est un dossier "explosif" capable de faire chuter plusieurs gouvernements. S'il est un sujet sensible et difficile à traiter, c'est bien celui-ci. Au fil des ans, les enquêtes ont montré que les Français avaient pris acte des difficultés structurelles de notre système de retraites ainsi que du besoin de le réformer, ce que l'on peut traduire par une forme de résignation. Néanmoins, on trouve toujours une très forte réticence à accepter les mesures qui sont censées suivre une fois qu'elles sont présentées devant l'opinion.

Avant l'annonce faite par Jean Marc Ayrault, nous avions testé les principales pistes qui sont traditionnellement évoquées sur ces dossiers (augmentations des cotisations, augmentations du nombre d'annuités, recul de l'âge de départ). Nous n'avons enregistré sur aucun des choix présenté une adhésion majoritaire, ce qui tend à démontrer que l'opinion, en dépit d'une réelle inquiétude sur la bonne santé du système, continue de se crisper lorsque l'on rentre dans le vif du sujet.

L'autre élément pouvant expliquer ce basculement peut se trouver dans la question qui concernait le niveau d'aptitude future quant au financement de la retraite de chacun, celle ci n'ayant d'ailleurs pratiquement pas évolué depuis les annonces faites par Jean-Marc Ayrault. Quoi que l'on décide sur cette question, le scénario politique qui en résulte est rarement idéal : les Français sont résignés mais relativement réticent aux efforts. Ainsi, bien que la réforme ait été d'une certaine manière habile en réussissant à désamorcer les sujets les plus explosifs, elle n'a pas réussi à convaincre l'opinion qui n'y voit là qu'un sparadrap sur une hémorragie. Point similaire avec la réforme menée par la droite en 2010, réforme dont l'objectif initial était aussi de "pérenniser" le système, les Français se disent que l'on a simplement gagné du temps. On évite ainsi un mécontentement massif à brève échéance, mais l'on ne rassure pas sur l'avenir des retraites de chacun des Français.

Bruno de La Palme : Comment seraient-ils satisfaits de cette non-réforme, dont en résumé on peut dire qu’elle est un modèle de non-décision, une construction typique à la Hollande. La montagne a accouché d’une souris. Le gouvernement Ayrault, qui en niait autrefois la nécessité a tout juste consenti à allonger la durée de cotisation à partir de 2020. Mais pas question de s’attaquer à l’essentiel : rallonger l’âge légal de départ à la retraite, seul moyen efficace de combler les déficits démographiques et financiers. Mais ça c’était la réforme Sarkozy donc le diable.  On a certes échappé à une hausse de la CSG qui semblait se profiler, mais après les pluies d’impôts dignes d’une mousson dont les Français ont été victimes depuis l’arrivée des socialistes au pouvoir, ces derniers ont fini par reculer.

Il y a certes quelques avancées pour les femmes dont on prendra désormais en compte tous les trimestres de leurs congés maternité dans le calcul de leurs pensions au lieu de seulement deux auparavant. C’est évidemment une bonne mesure mais où est la lisibilité de tout cela quand dans le même temps on fait paradoxalement payer aux familles nombreuses cette avancée pour les femmes ? Les mesures prises vont en effet rendre imposable les 10% de bonus auquel les familles nombreuses avaient droit pour leurs pensions avec un objectif annoncé de le faire disparaitre totalement en 2020. C’est donc un acte hostile aux familles nombreuses, j’ai déjà pointé cette tendance dans mon ouvrage. Tout est fait par les socialistes pour encourager les femmes seules avec enfants au détriment de la famille. Après le mariage pour tous, on voit que la gauche au pouvoir milite pour que le modèle de la famille traditionnelle soit en voie de disparition.

Quant à la prise en compte de la pénibilité avec des trimestres d’exposition qui vont donner droit à des points supplémentaires c’est évidemment une concession donnée aux syndicats. On a aussi préféré faire cotiser plus les salariés, mais pas question pour la gauche de toucher au tabou des inégalités entre le régime privé et les régimes spéciaux du public. Les Français ont compris depuis longtemps que rien ne justifiait ces cadeaux d’un autre âge aux fonctionnaires et assimilés. Dans ces conditions, on comprend que la réforme, la non-réforme plutôt, ne remporte aucune adhésion.

Une autre enquête IFOP, datée de juin dernier, démontrait que l'allongement de la durée de cotisation était une option "favorable" pour 44% des Français. Un consensus minoritaire mais non négligeable. Faut-il voir dans le retournement actuel la conséquence d'une grogne mécanique contre le gouvernement ?

Jérôme Fourquet : Je ne serais pas si manichéen. Si l'on observe les chiffres depuis 2003, on remarque une évolution des opinions favorables à l'idée qu'il faudrait travailler ou cotiser davantage. Il faut cependant noter que cela reste minoritaire, et l'on tombe même à 40% dans la dernière de nos enquêtes sur le sujet. Autrement dit, le malade est conscient du besoin d'un traitement mais il ne veut toujours pas le prendre. Les Français souhaitent que ces réformes soient tout d'abord justes (tout le monde doit contribuer à l'effort) mais aussi structurelles, ce qui n'a pas totalement été le cas ici. Sur le plan de la justice, le thème a été mis en avant par le Premier ministre pour imposer un marqueur de gauche sur les retraites, notamment sur la pénibilité, la prise en compte des stages et l'égalité homme-femmes. Si les Français, en particulier à gauche, prennent en compte ces "plus", ils remarquent aussi, plutôt à droite cette fois-ci, que rien n'a été fait sur les régimes spéciaux et le mode de calcul spécifique pour les fonctionnaires. Par ailleurs, les Français savent que l'on devra revenir sur le sujet dans quelques années.

Bruno de La Palme : Que le mécontentement soit général et profond ne fait aucun doute. Mais pour qu’une réforme profonde des retraites soit comprise et soutenue, il faut un effort continu de pédagogie. Or, rien de tout cela aujourd’hui. Comment les Français y  comprendraient-ils quelque chose alors que ceux qui affirment aujourd’hui vouloir agir pour sauvegarder les régimes des retraites en niaient hier farouchement la nécessité. Ceux qui défilaient dans les rues en 2012 pour dénoncer à grands cris toute évolution du système, font maintenant mine de s’en préoccuper. La clef de voute de cette pseudo réforme étant le comité Théodule chargé d’en veiller l’application. Un comité de plus !

La vérité est plus simple et plus rude : la France vit au dessus de ses moyens payant les 30 ans d’illusion créées par l’absurde mesure - déjà en son temps - de la retraite à 60 ans décrétée ex abrupto par François Mitterrand en 1982 sans aucune discussion avec les partenaires sociaux. 30 ans plus tard et le choc démographique qui s’amplifie, les régimes sont évidemment dans le rouge. Alors qu’il faudrait une réforme structurelle majeure tendant à réformer l’ensemble du système en veillant surtout à stopper le déclin continu de la compétitivité française, la gauche fait tout le contraire.

Ce n’est pas de sans cesse plus de taxes dont le pays a besoin mais d’oxygène pour nos entreprises et nos entrepreneurs pour créer de la richesse et donc de la croissance et de l’emploi. 0,1% de cotisations patronales supplémentaires c’est 5000 emplois supprimés en un an a rappelé Gattaz. Après avoir tapé sur les riches pendant des mois, les socialistes ont pratiqué un semblant de rétro pédalage à destination des patrons sur le mode "je t’aime moi non plus". Mais personne n’est dupe ! La haine et le mépris de l’entreprise privée est une constante de la gauche française et une manette sur laquelle ils peuvent agir à la moindre occasion ou nécessité électorale. Décidément, la France paiera longtemps les 10 années d’inaction de François Hollande à la présidence du PS entre 2002 et 2012 où il ne fit rien pour faire bouger les lignes idéologiques et faire évoluer enfin le PS vers la social démocratie. Le résultat de tout cela et de 16 mois de pouvoir socialiste est éloquent : La France a encore reculé de cinq places en deux ans dans le classement mondial de la compétitivité. Le baromètre du Forum économique de Davos pointe même un recul de 2 places pour la France rien que pour l’année 2013. Nous sommes situés au 23ème rang (sur 148) alors que nous étions au 10ème rang en 2010. L’Allemagne, elle, caracole au 4ème rang, derrière la Suisse, Singapour et la Finlande mais avant les États-Unis.

Malgré tout le respect qu’on peut avoir sur la commémoration du massacre d’Oradour-sur-Glane par François Hollande, le décalage est sidéral entre d’un côté cette auto-célébration d’un passé sinistre vieux de 70 ans avec un chef d’Etat allemand non exécutif et de l’autre l’avenir que les socialistes français sont incapables de comprendre et donc d’écrire avec la toute puissante et libérale chancelière Merkel. Et dire que les socialistes osent continuer de dénoncer « l’héritage » de la présidence de Nicolas Sarkozy. Un comble : La France avait en fait bondi du 26ème rang en 2003 après les années Jospin et les 35 heures au 10 rang en 2010 sous Sarkozy. C’est assez clair.  

Autistes avérés sur le plan économique, la gauche française est néanmoins en passe de devenir championne ès communication à la George Orwell ou Aldous Huxley. Leurs mots sont employés savamment à contre sens. Quand ils disent pacte de compétitivité, ils pensent taxes sur les entreprises et on en voit le résultat. Quant à leurs prétendus « emplois d’avenir », tout le monde a compris qu’ils n’en avaient précisément aucun.

Le gouvernement doit-il s'inquiéter en conséquence d'une mobilisation importante lors de la manifestation syndicale du 10 septembre ou les Français vont-ils malgré tout accepter ces mesures ?

Jérôme Fourquet : Sachant que c'est la gauche qui mène cette réforme, on peut logiquement s'attendre à ce que la mobilisation syndicale ne soit pas conséquente. On note que cette fois ci les organisations ne se sont pas réunies en bloc contre le projet, contrairement à 2010 où la CFDT avait appelé à manifester. La résignation semble avoir pris le dessus, et les déclarations des figures de l'extrême gauche sur la difficulté à mobiliser dans une période dénuée de victoires sociales vont dans ce sens. Le fait que ce soit le PS qui engage cette réforme alors qu'il défilait avec les syndicats en 2010 a été un autre élément marquant qui a pu ancrer chez les Français l'idée que les efforts, aussi peu agréables soient-ils, étaient inévitables. On devrait donc, à mon avis, voir beaucoup moins de monde dans la rue qu'en 2010.

Bruno de La Palme : Tout cela est un jeu de rôle stérile qui prêterait à sourire si la situation de la France n’était aussi dramatique. Les syndicats qui ont déjà compris qu’ils n’avaient rien à craindre que la gauche touche quoi que ce soit aux privilèges de la fonction publique puisque c’est sa base électorale, s’offriront une belle ballade dans les grandes villes de France en criant au loup contre de prétendues attaques du patronat. Les syndicats se contentent finalement fort bien d’un chômage de masse à plus de 10% avec des pointes à 25% pour les jeunes. Du moment qu’on réembauche leurs chers fonctionnaires ! N’y aurait-il pas un lien évident entre nos déficits, l’épouvantable descente aux enfers de la compétitivité française et le niveau des fonctionnaires ? Le taux de fonctionnaires est de 50 pour 1000 habitants en Allemagne pour près de 100 en France. Cherchez l’erreur !

La France en est encore là, engluée dans de pseudo-guerres de tranchées idéologiques que justement "Hollande le Paresseux" n’a jamais voulu trancher. C’est qui explique cette permanence de la gauche française dans le déni de la réalité qu’elle soit économique ou sociologique et sécuritaire. Et il suffit d’un vague petit souffle de reprise économique avec quelques pouièmes de points pour que nos gouvernants s’auto-congratulent et y voient la justification de leurs erreurs. Errare humanum est, perseverare diabolicum disaient les sages autrefois. On frémit en songeant qu’à ce rythme la France va perdre encore au moins 10 places dans la compétitivité mondiale. Ou décrocher définitivement.

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