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Loi Travail : Républicains et socialistes unis contre la concurrence
©Reuters

Tiens donc

Mais pourquoi les Républicains, amis affichés du libéralisme et du marché, détestent-ils tant la concurrence ? Et pourquoi s’unissent-ils aux socialistes dans leur combat contre la liberté d’entreprendre ? La question mérite d’être posée au vu de trois amendements (qui sont autant de "cavaliers" sociaux) déposés notamment par la droite et la gauche dans le cadre du débat parlementaire sur la loi Travail.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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La vieille histoire des désignations

Rappelons d’abord la vieille histoire qui avait agité le landerneau social en 2013, lorsque la loi sur la modernisation du travail avait prévu, dans son article 1, de généraliser la complémentaire santé à tous les salariés par la voie des désignations. La manoeuvre, portée à l’époque par la CFDT et quelques autres, visaient à améliorer les protections dont les salariés devaient bénéficier en servant, au passage, quelques copains. C’est pourquoi la loi prévoyait d’imposer des contrats d’assurance de branche et non d’entreprise. Les contrats de branche sont en effet généralement assurés par quelques acteurs paritaires qui financent le syndicalisme : les institutions de prévoyance et quelques mutuelles.

Certains syndicalistes sont même devenus des spécialistes de ce toxique mélange des genres, et de ce scandaleux conflit d’intérêts qui consiste à se sucrer sur le dos des salariés au nom de la solidarité. L’opération est simple : elle consiste à se faire recruter, à l’issue d’un mandat syndical, dans un groupe mutuelle ou de prévoyance, pour convaincre les copains négociateurs de branche de souscrire un contrat dans la boîte qui vous emploie.

Dès le mois de mars 2013, l’Autorité de la Concurrence avait rendu un avis indiquant que le système de désignation d’un seul assureur obligatoire par branches n’était pas conforme au droit de la concurrence. L’autorité avait même pointé du doigt le fait qu’un acteur (AG2R) avait commencé à truster le marché des branches par des pratiques dont la légalité est contestable et contestée.

Dans sa décision du 13 juin 2013, le Conseil constitutionnel avait confirmé l’avis de l’autorité de la concurrence en interdisant, à l’avenir, les désignations de branche, et en considérant que les entreprises devaient rester libres de souscrire leurs propres contrats.

Une menace économique pour les organismes paritaires

Pour l’ensemble des institutions paritaires qui avaient l’habitude de négocier des accords de branche à l’abri des regards, avec force petits cadeaux adressés aux organisations syndicales (les rumeurs ont toujours prétendu qu’un contrat de branche s’achetait entre 100 000 et 200 000 euros par organisation syndicale signataire), la décision du 13 juin s’est transformée en désastre.

D’un côté, celles-ci ont perdu des marchés certains et confortables. Lorsque le contrat est souscrit par une branche qui oblige toutes les entreprises à y adhérer, le service rendu au client devient très vite évanescent. Nul n’est besoin de s’organiser pour satisfaire le salarié qui cotise, et les marges sont larges. Tout le monde sait que celles-ci avoisinent les 30%. L’obligation brutale d’affronter la concurrence pour ces organismes qui n’avaient souvent pas de réseau de distribution de leurs produits s’est révélée un véritable cataclysme.

D’un autre côté, la mise en place de la directive Solvabilité 2 dans ces organismes assurantiels les a obligés à renforcer leurs fonds propres au moment où ils devaient investir pour affronter la concurrence. Malgré de nombreux cadeaux des gouvernements qui se sont succédés depuis 2013, et sur lesquels je reviendrai dans les semaines à venir, l’exigence de solvabilité se fait durement sentir.

Rien d’étonnant donc, à voir ces groupes se livrer à un lobbying copieux pour lutter contre une concurrence qui profite aux salariés mais pénalise leurs petits arrangements.

Trois amendements frères

En réponse à ce défi, les groupes paritaires et les groupes mutualistes concernés ont donc profité de la loi Travail pour revenir à la charge sur un sujet qui n’a pourtant rien à voir avec la choucroute. On lira avec amusement les trois amendements déposés par les groupes parlementaires de droite comme de gauche.

Ceux de la droite d’abord. Les amendements 779 et 781 ont été déposés le 27 avril par M. Abad, M. Dassault, M. Luca, M. Philippe Armand Martin, Mme Louwagie, M. Hetzel, M. Perrut, M. Solère, M. Morel-A-L’ Huissier, M. Fromion, M. Ledoux, M. Straumann, Mme Dalloz, M. Salen, M. Taugourdeau, M. Vannson, M. Vitel, M. Woerth, M. Mathis, M. Brochand et M. Poisson. L’amendement propose de modifier l’article de la Sécurité sociale L 912-1 (bien connu des assureurs collectifs, puisque c’est celui qui permet la souscription de contrats santé collectifs en entreprise) en y ajoutant deux dispositions :

1) En recommandant un ou plusieurs organismes mentionnés à l’article 1er de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques ou une ou plusieurs institutions mentionnées à l’article L. 370-1 du code des assurances, auxquels les entreprises entrant dans le champ d’application de l’accord ont la faculté d’adhérer, et proposant un contrat de référence pour le remboursement ou l’indemnisation des frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident ;

2) En codésignant plusieurs organismes mentionnés à l’article 1er de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques ou institutions mentionnées à l’article L. 370-1 du code des assurances, auxquels les entreprises entrant dans le champ d’application de l’accord ont l’obligation d’adhérer à l’exception de celles qui ont conclu un accord collectif antérieur de même objet, et proposant un ou plusieurs contrats de référence permettant d’assurer une mutualisation des risques décès, incapacité, invalidité ou inaptitude. »

Autrement dit, la droite parlementaire ne propose ni plus ni moins que de mettre en place des "co-désignations" en prévoyance.

Comble d’amusement, le même amendement prévoit l’impossibilité de baisser les prix en cas de recommandation :

Les accords peuvent définir des garanties s’appliquant à un coût identique pour l’ensemble des entreprises entrant dans leur champ d’application et l’ensemble des salariés concernés, sous réserve du respect des conditions définies au II du présent article, et organiser la couverture des risques"

Autrement dit, la décision du Conseil constitutionnel du 13 juin interdisant les désignations de branche serait contournée au profit d’un tarif minimal obligatoire, alors que le tarif d’aujourd’hui est maximal.

Le 30 avril, c’est un député socialiste qui s’est fendu d’un amendement (le 4910) étrangement rédigé de la même façon :

Les accords peuvent définir des garanties s’appliquant à un coût identique pour l’ensemble des entreprises entrant dans leur champ d’application et l’ensemble des salariés concernés et, sous réserve du respect des conditions définies au II du présent article, organiser la couverture des risques :

1) En recommandant un ou plusieurs organismes mentionnés à l’article 1er de la loi n° 89‑1009 du 31 décembre 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques ou une ou plusieurs institutions mentionnées à l’article L. 370‑1 du code des assurances, auxquels les entreprises entrant dans le champ d’application de l’accord ont la faculté d’adhérer, et proposant un contrat de référence pour le remboursement ou l’indemnisation des frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident ;

2) En codésignant plusieurs organismes mentionnés à l’article 1er de la loi n° 89‑1009 du 31 décembre 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques ou institutions mentionnées à l’article L. 370‑1 du code des assurances, auxquels les entreprises entrant dans le champ d’application de l’accord ont l’obligation d’adhérer à l’exception de celles qui ont conclu un accord collectif antérieur de même objet, et proposant un ou plusieurs contrats de référence permettant d’assurer une mutualisation des risques décès, incapacité, invalidité ou inaptitude.

L’avantage de cette méthode, qui consiste à faire porter par la droite et par la gauche les mêmes amendements, est évidemment d’épargner aux députés des travaux inutiles.

Faut-il signaler que le député socialiste porteur de ce projet n’est autre que Denys Robiliard, avocat de son état, et lointain successeur de Jack Lang à Blois ?

Le lobbying contre l’intérêt des salariés

Si ce cavalier social devait passer, il marquerait la victoire tardive des adversaires des désignations au détriment des salariés et de leurs intérêts. Il est en effet établi que la concurrence mise en place en juin 2013 a permis, dans la durée, de stabiliser les prix applicables dans les branches professionnelles. La remise en cause du dispositif se traduira très vite par une inflation des tarifs, destinée à améliorer les fonds propres des groupes paritaires mis en difficulté par la Solvabilité 2.

L’idée d’imposer un tarif minimal pour une prestation obligatoire dans les entreprises relève donc du hold-up dont le seul but est de sauver le modèle économique des institutions de prévoyance en rançonnant les salariés. Il est hallucinant de voir des députés socialistes réclamer un prix minimum pour l’accès à la santé des salariés, et il est tout aussi hallucinant de voir des députés prétendument libéraux réclamer un musèlement de la liberté des entreprises au profit des groupes commandés par des conflits d’intérêt.

Pour beaucoup, cette disposition équivaudrait à supprimer du pouvoir d’achat au détriment de la liberté d’entreprendre.

Il est extravagant que la droite et la gauche se mettent d’accord sur une mesure aussi contraire à l’intérêt général, et aussi favorable aux intérêts de quelques-uns.

Ce texte a été publié initialement sur le site d'Eric Verhaeghe, et est consultable ici

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