Lier les rémunérations des patrons du CAC 40 à leurs performances : gare aux pièges derrière la bonne intention<!-- --> | Atlantico.fr
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Chez Renault, la rémunération du PDG, Carlos Ghosn, n'a été approuvée qu'à 58 %.
Chez Renault, la rémunération du PDG, Carlos Ghosn, n'a été approuvée qu'à 58 %.
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Terrain miné

En pleine saison des assemblées générales, la tension monte dans les entreprises du CAC 40 à propos des salaires de leurs patrons respectifs. Trop opaque et trop peu appliquée, la question de la prise en compte de la performance est néanmoins nécessaire dans un pays où résultats et salaires sont particulièrement déconnectés. Reste à trouver la bonne formule.

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

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Atlantico : Les assemblées générales des entreprises du CAC 40 sont de plus en plus tendues, à l'image de celle de la semaine dernière, chez Renault, où la rémunération du PDG, Carlos Ghosn, n'a été approuvée qu'à 58 %.  Les rémunérations des grands patrons ne seraient, du goût de leur actionnaires, pas suffisamment corrélées à leurs performances. En quoi cette critique est-elle fondée ? Existe-t-il sur ce point une réticence particulière en France ? Quels en sont les effets ?

Gilles Saint-Paul : Il faut tout d'abord se réjouir que les actionnaires exercent leur esprit critique face à la rémunération des dirigeants. C'est là le fondement de la démocratie actionnariale et du capitalisme, et c'est infiniment préférable à l'intrusion démagogique et indue de l'Etat dans la fixation des salaires. Il est normal que les actionnaires s'interrogent sur des pratiques comme les parachutes dorés ou le versement de bonus non justifiés par les performances.

Dans le cas de la France, l'existence de capitalisme de connivence (encouragé par l'Etat), de participations croisées et de surreprésentation d'une élite restreinte (souvent issue de la haute fonction publique) dans de nombreux conseils d'administration où l'on se renvoie l'ascenseur nuit aux petits actionnaires et à l'exercice d'une concurrence saine. On a observé que lorsque le dirigeant est membre d'un réseau influent (comme par exemple l'Inspection des finances), cela a un effet négatif sur la rentabilité de l'entreprise, et que cela réduit la probabilité que ce dirigeant soit remercié à la suite d'une mauvaise performance. 

Toutes les rémunérations à la performance se valent-elles ? A quels potentiels effets pervers s'expose-t-on suivant les modalités choisies ?

Une bonne rémunération à la performance doit obéir à des règles précises fixées à l'avance pour un intervalle de temps donné: détention d'un paquet de stock-options, intéressement selon un barème prédéterminé. Les bonus votés discrétionnairement par le conseil d'administration chaque année, donnent de moins bonnes incitations; le dirigeant tentera d'influencer les membres du conseil plutôt que de gérer optimalement son entreprise. Le principal effet pervers des rémunérations à la performance est que le dirigeant peut sacrifier les profits de long terme pour augmenter ceux de court terme. Cela peut se faire en liquidant en partie certains actifs, tangibles ou non, de l'entreprise: formation des salariés, propriété intellectuelle, réputation, fidélité de la clientèle, capital productif. Par ailleurs, en ce qui concerne les rémunérations liées explicitement à la performance boursière de l'entreprise, celles-ci pâtissent de la volatilité excessive des cours boursiers et de leur lien ténu avec les fondamentaux. On peut concevoir par exemple qu'une entreprise ait intérêt à propager certaines rumeurs, etc.

Sur quelle échelle de temps évaluer cette performance ? Peut-on éviter de céder à la dictature du court terme ?

Il est difficile de ne pas céder à dictature du court terme, car dès lors que l'entreprise est cotée en bourse, il est également dans l'intérêt des actionnaires de faire monter le cours de l'action. D'une manière générale, on peut faire monter le cours de l'action en faisant les investissements les plus rentables possibles pour l'entreprise, ce qui est une bonne chose. Mais on peut également parfois le faire en sacrifiant le long terme au court terme. Par exemple, une entreprise peut liquider sa réputation en réduisant ses coûts au détriment de la qualité du produit. A court terme, cela augmente les profits, mais à long terme, les clients s'étant rendus compte de la moindre qualité, ne seront plus prêts à payer aussi cher.

Si la baisse de qualité n'est pas initialement observable par les marchés financiers, ceux-ci interpréteront à tort les mesures prises comme des gains de productivité et les rémunéreront en faisant monter le cours de l'action. Les actionnaires informés pourront alors avantageusement revendre leurs parts et ils ne pâtiront pas de la baisse inévitable du cours qui aura lieu lorsque la baisse de qualité sera connue du marché. Cela étant, renoncer à la rémunération à la performance implique d'autres inconvénients, également néfastes aux actionnaires, comme l'absence d'incitation à rationaliser la production ou la tentation pour le dirigeant de maximiser la taille et la gamme de ses activités indépendamment de toute notion de rentabilité (le syndrome Messier). 

Face à la déconnexion grandissante entre les rémunérations des grands patrons et celles de leurs salariés, lier les rémunérations à la performance peut être considéré comme une façon d'n faire baisser les montants. Mais cela est-il forcément le cas ? Est-il au contraire possible qu'elles soient globalement tirées vers le haut ?

Les rémunérations des dirigeants sont tirées vers le haut pour des raisons à mon avis non liées à la performance. Premièrement, il existe un marché international des managers qui donne des rentes considérables aux "superstars". Un dirigeant qui est plus talentueux qu'un autre, ne serait-ce que marginalement, augmente les profits d'une grande entreprise d'un montant qui se chiffre en centaines de millions, voire en milliards. Il suffit qu'il soit capable de s'approprier ne serait-ce qu'une petite partie de ce gain, pour que ses revenus soient considérables. Deuxièmement, l'évolution des technologies et la modularité de la chaîne de valeur globale permet à ces managers de s'approprier une partie bien plus importante de leur contribution que par le passé.
Plus que jamais, un cadre supérieur de haut niveau peut, plutôt que d'être employé dans une organisation hiérarchique, intervenir comme consultant et facturer ses services à ses clients à leur vraie valeur, ou monter sa propre entreprise et s'insérer dans la chaîne de valeur où il l'entend, en s'adressant à des intermédiaires faciles à trouver pour ses fournitures et sa clientèle. Cela était beaucoup plus difficile au temps de la chaîne de montage. Troisièmement, l'évolution de la fiscalité et l'abandon des taux d'imposition confiscatoires sur les hauts revenus qui prévalaient dans bien des pays au cours de l'après-guerre, font qu'il est plus intéressant pour les dirigeants d'être rémunérés sous forme monétaire qu'en nature -- les rémunérations moindres du passé étaient en partie apparentes et dues au fait que l'on ne prenait pas en compte la jouissance d'un jet d'entreprise, les parties de golf, etc.

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