Les populistes écartés du pouvoir : la Suède victime d’un calcul stratégique qui pourrait se révéler dangereux à long terme<!-- --> | Atlantico.fr
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Mattias Karlsson, le leader du parti SD
Mattias Karlsson, le leader du parti SD
©Reuters

Déni de démocratie ?

Face à la montée en puissance du parti d'extrême droite SD en Suède, la gauche et le centre droit du royaume se sont mis d'accord pour annuler les élections législatives anticipées qui devaient avoir lieu en mars 2015, et maintenir une alliance au moins jusqu'en 2022. Un accord qui permet "à un gouvernement minoritaire de gouverner", selon les propres mots du Premier ministre.

François-Charles  Mougel

François-Charles Mougel

François- Charles Mougel  est professeur des Universités d'Histoire contemporaine à Sciences-po Bordeaux. Il est l'auteur de L'Europe du Nord contemporaine de 1900 à nos jours aux éditions Ellipses (2006) et de Histoire des relations internationales. De la fin du XVIIIème siècle à l'aube du IIIème Millénaire (2013).

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William Genieys

William Genieys

William Genieys est politologue et sociologue. Il est directeur de recherche CNRS à Science-Po.

Il est l'auteur de Sociologie politique des élites (Armand Colin, 2011), de L'élite politique de l'Etat (Les Presses de Science Po, 2008) et de The new custodians of the State : programmatic elites in french society (Transaction publishers, 2010). William Genieys est l’auteur de Gouverner à l’abri des regards. Les ressorts caché de la réussite de l’Obamacare (Presses de Sciences Po [septembre 2020])

Il a reçu le prix d’Excellence Scientifique de la Fondation Mattéi Dogan et  Association Française de Science Politique 2013.

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Mis en minorité en décembre 2014 sur le vote de son budget par l’extrême droite du SD et un autre parti d’opposition, le gouvernement de coalition social-démocrate et écologiste a dans un premier temps annoncé des élections anticipées pour mars 2015. Mais celles-ci ont été annulées après que le gouvernement et l’opposition de centre-droit se sont mis d’accord pour voter le budget et maintenir une alliance au moins jusqu’en 2022. Un accord qui met de facto l’extrême droite sur la touche, alors que celle-ci aurait pu se retrouver en position de faiseur de roi si les élections avaient eu lieu en mars.

Atlantico : D’aucuns disent que face à la montée en puissance de l’extrême droite dans l’opinion, qui aurait empêché l’alliance socialistes-verts comme le centre-droit d’espérer pouvoir gouverner, ces partis ont tout simplement décidé de protéger leur place, procédant ainsi à une sorte de « coup d’Etat en douceur. » Y a-t-il effectivement eu déni de démocratie en Suède en décembre par des partis qui se disent eux-mêmes démocrates ?

François-Charles Mougel : Le terme de coup d'Etat est sans doute excessif: ni la Constitution ni la légalité n'ont été violées. Il n'y a pas eu non plus d'exclusion de l'extrême droite du Parlement, du champ électoral ou du droit d'expression. Si on peut  considérer qu'il y a eu atteinte au libre jeu des partis, le mécanisme de "majorité organisée" mis en place le 27 Décembre ne s'apparente-t-il pas, plutôt, à une forme de "grande coalition",  idéologique sinon strictement politique? Si les partis de gouvernement avaient formé ensemble un cabinet d'union nationale aurait-on crié à la "dictature"? De fait, si l'on ne peut exclure un calcul politicien de partis soucieux de se réserver les postes gouvernementaux, l'objectif de l'accord de décembre semble plus ambitieux: conserver le caractère pleinement modéré et consensuel du fonctionnement des institutions et de la démocratie. Et cette dernière dépend toujours du peuple: à lui de dire par ses votes s'il soutient l'accord ou s'il considère que les Démocrates Suédois ont été injustement mis sur la touche; à ces derniers de montrer que leur projet peut s'inscrire dans l "système" : n'est-ce pas ce que Syriza, dans un autres contexte idéologique tente aujourd'hui de faire en Grèce ? 

Cette pratique, excluant une formation soutenue par une partie du peuple, n'est-elle pas discutable ?

William Genieys : Je crois qu’il est bon rappeler certains faits afin que les débats et la comparaison avec la situation politique d’autres démocraties européennes notamment plus méridionales soit possibles. Tout d’abord, il est fondamental de rappeler que les mouvements populistes récents, liés à la longue crise de nos systèmes de Welfare State, sont nés à la fin des années 1980 au cœur des démocraties scandinaves. En effet, c’est autour de la question du « démembrement » du modèle social démocrate nordique que certains partis politiques ont inventé ce qui allait devenir le populisme de bien être. Originellement fondé sur une critique du modèle d’intervention de l’Etat et de son poids fiscal et sur un discours anti émigré, ces populistes appelaient à l’invention d’un modèle de gouvernement de la société alternatif…

Depuis, les partis populistes de droite en Suède mais également en Finlande ont connu un certains succès électoral. Face à cette montée en puissance, les partis de gouvernement ont mise en place une politique d’union sacrée. Dans une monarchie constitutionnelle et parlementaire où le pouvoir démocratique résulte de l’élection des députés à la proportionnelle, la stratégie de la grande coalition est l’outil politique mobilisé pour garantir une certaine continuité dans l’action publique actuellement engagée. La démocratie doit garantir la libre expression et l’accès à la représentation politique des forces politiques qui le revendiquent dans un cadre légal. Charge après à la libre réalisation de coalition en vue d’exercer le pouvoir de gouvernement.

Le pluralisme est fondamental dans une société démocratique. L'Europe est constituée de nombreuses démocraties où les populistes ont de plus en plus de succès : Syriza en Grèce, le FN en France ... N'est-il donc pas légitime de les inclure dans le débat démocratique, et par là d'écouter ce qu'ont à dire 10, 20 ou 30% des électeurs ?

William Genieys : Je souhaite revenir ici sur la question de l’expression du pluralisme politique, de son expression toujours nécessaire mais surtout de sa bonne compréhension : il est dangereux pour la démocratie d’opposer les ‘populistes’ aux élites traditionnelles. Cette inversion sémantique n’a n’ont seulement aucun fondement empirique, mais surtout elle conduit à présenter les leaders populistes comme de nouvelles élites, donc ‘bonnes’ et moderne. Pourtant, si l’on regard le contenu de l’ensemble des programmes politiques de tous les partis politiques populistes, il n’est question que de solutions politiques conservatrices et traditionnelles au sens propre du terme.

En effet, je trouve qu’il est aberrant d’opposer les ‘populistes’, ces nouveaux exclus du jeu démocratique aux élites traditionnelles (sous-entendu celles qui gouvernent [depuis] tout le temps). Cela repose sur une double erreur de jugement et une dérivation sémantique. La première erreur : Les ‘élites traditionnelles’ sont en général définies par opposition aux ‘élites modernisatrices’ (religion vs. laïques ; agraires vs. industrielles ; autoritaires vs. démocratiques…). La deuxième erreur : qu’on le veuille ou non dans nos démocraties, il y a fréquemment une alternance politique entre droite et gauche ou encore entre conservateurs et progressistes. Alors même si les marqueurs sont peut être moins forts que par le passé, il n’est que dans le registre populiste que l’amalgame s’opère pour dénoncer la ‘caste’ ou ‘l’UMPS. Mais cela, c’est une dérivation sémantique, une charge politique, pour faire croire au citoyen à l’avènement d’un régime ‘nouveau’ délesté des ‘élites traditionnelles’. Bref, cela conduirait à faire ‘Peau d’âne’ en politique.

Le Premier ministre suédois a déclaré le 27 décembre que l’accord trouvé avec le centre-droit  permettait « à un gouvernement minoritaire de gouverner. »  Cet accord courant jusqu’en 2022, cela veut-il dire que les élections de 2018 sont dès le départ rendues caduques, puisque les électeurs connaîtront par avance la composition globale du futur gouvernement ?

François-Charles Mougel :Dans un Parlement où le parti social-démocrate -certes premier en sièges- et son allié vert s'appuient sur 38% des suffrages pour gouverner face à une Alliance de droite qui en a obtenu 39%  sans avoir un nombre de sièges supérieur à celui de ses rivaux de gauche, l'accord a pour but de stabiliser le fonctionnement des institutions jusqu'aux élections de 2018. Mais celles-ci se dérouleront normalement et il n''est pas exclu que les Démocrates suédois accroissent leur représentation. Dans ce cas l'accord de Décembre 2014 pourra-t-il continuer de fonctionner ? Ne devra-t-il pas déboucher sur une véritable coalition ? A l'inverse si les DS perdent des voix, le jeu parlementaire ne reviendra-t-il pas aux modes de fonctionnement anciens. La prolongation de l'accord jusqu'à 2022 s'apparente donc plus à une garantie de stabilité qu'à un véritable volonté de manipuler les élections futures ni de réserver à une quelconque formation ou groupe de partis l'exercice des responsabilités gouvernementales.

Comment expliquer que l’opinion publique suédoise ne s’en soit pas particulièrement émue ?

François-Charles Mougel :La culture civique suédoise reste plutôt légitimiste et les électeurs trouvent dans les 7 partis "de gouvernement" l'occasion d'exprimer leurs opinions et leurs choix idéologiques et la majorité de la population ne souhaite pas, pour le moment, la remise en cause du système de pouvoir national que pourrait constituer les Démocrates Suédois. D'autant que, malgré leur discours anti-raciste, ceux-ci sont soupçonnés de jouer la carte de l'anti-immigration pour attiser les tensions entre les communautés ethniques et religieuses -déjà exploitées par les groupuscules néo-nazis- et , de ce fait, fragiliser la  paix sociale à laquelle les Suédois sont très attachés. Enfin l'accord du 27 Décembre 2014 ne préjuge en rien des intentions de vote au scrutin de 2018: si l'électorat ne se satisfait pas du nouveau système, les électeurs pourront se prononcer pour les partis anti-système, à commencer par les Démocrates suédois. C'est donc sur le moyen terme qu'il faudra évaluer les réactions profondes de l'opinion: le problème du fonctionnement des institutions pèsera-t-il plus que les questions de l'immigration, du chômage et de la sécurité ? Pour l'heure, les Suédois ne semblent pas considérer que leur démocratie, à laquelle ils sont très attachés, soit menacée.

Cet événement fait écho à ce qui se passe en France, avec la forte popularité de Marine Le Pen qui est donnée par deux sondages gagnante du premier tour des élections présidentielles si celles-ci avaient lieu ce dimanche 1er février. Si nous avions un système électoral proportionnel, peut-on supposer que la réaction de notre classe politique serait semblable à celle des partis suédois ?

François-Charles Mougel :Le FN a obtenu environ un  quart des suffrages aux dernières élections européennes de 2014 soit près du double du score des Démocrates suédois en septembre dernier. Avec un mode de scrutin proportionnel et avec le même  pourcentage de votants qu'en Juin 2014, le FN constituerait la seconde ou la troisième force à l'Assemblée Nationale ce qui rendrait difficilement légitime son exclusion de la vie parlementaire tout en rendant délicat la constitution d'une majorité de gouvernement : pourrait-il y avoir un accord entre le FN et d'autres formations ? ou les partis de centre-droit et de centre-gauche devraient-ils s'unir en une grande coalition à l'allemande ? De plus il existe des verrous à toute exclusion du FN : les institutions d'abord (le Président de la République, le Conseil Constitutionnel et le Sénat) qui doivent veiller au respect de la démocratie élective  et les citoyens ensuite qui pourraient considérer comme illégitime et injuste la mise à l'écart d'un quart du corps électoral et, donc, manifester, dans la rue comme dans les urnes, leur mécontentement.  N'oublions pas non plus que les partis français souffrent d'un discrédit qui leur rend difficile toute manoeuvre politicienne qui serait aussitôt interprétée comme moralement corporatiste et idéologiquement inacceptable

On en vient aussi à se demander si le remède ne peut pas être pire que le mal. Les électeurs de partis populistes - on pense au FN en France - peuvent se sentir méprisés et trahis par les élites. Ne va-t-on pas alors vers une cristallisation des tensions et une radicalisation des positions de ces partis et électeurs ?

William Genieys : Là encore, il ne faut pas traduire le discours du FN ou d’autres partis populistes comme allant de soi, et ainsi affubler les élites de gouvernement de trahison, mépris, etc. Je veux dire par là que si la critique de l’action politique des élites est on ne peut plus légitime, et qu’elle est au fondement de la démocratie, il ne faut pas la transformer en procès en sorcellerie permanent. La vision par les citoyens de ces dirigeants démocratiques peut varier fortement en France, et il me semble que c’est ce qui s’est passé depuis les attentats du 11 janvier.

En France, la seule question qui mérite d’être débattue est celle des effets du scrutin majoritaire sur la représentation politique nationale. En effet, les logiques propres à ce type de mode électoral tendent à rendre difficile l’accès à la représentation quand la situation politique renvoie à une réalité ternaire. Lorsque la bipolarisation de la vie politique est de plus en plus difficile les vertus de ce mode de scrutin sont nulles. En effet, il exclut les logiques de grande coalition politique sur la base d’un programme partagé, et il ouvre la voie à toute les tactiques et les calculs stratégiques que l’électeur normal ne peut comprendre.

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